La substitution nicotinique doit être un plaisir, pas une punition.
FOCUS
Il y a 50 ans, le tabagisme était avant tout un comportement car il était débuté à l’âge adulte. En 2018, à cause de son initiation précoce, l’immense majorité des fumeurs consomment leur première cigarette dans l’heure du lever car ils sont dépendants, c’est-à-dire atteints d’une maladie chronique récidivante contractée à l’adolescence et dont le vecteur principal est l’industrie du tabac.

Dépendance : organique

Les fumeurs disent quasiment tous que la première cigarette fumée au lever n’est ni un plaisir ni un comportement volontaire : c’est une exigence absolue de leur corps en manque (en hyponicotinémie). Un sujet qui fait une hypoglycémie le matin doit recevoir une dose de sucre, un fumeur qui fait une hyponicotinémie matinale a besoin de nicotine.
La psychothérapie, l’entretien motivationnel ou l’éducation thérapeutique du patient risquent d’être inefficaces si l’on n’a pas d’abord soulagé le manque.
L’hyponicotinémie peut être comblée par une cigarette, mais cela a deux inconvénients majeurs :
1. on inhale 1 milliard de particules fines PM2,5 à chaque bouffée (ce qui correspond à une journée d’exposition à l’air d’une ville très polluée – niveau alarmant, avec 50 µg/m3 de PM2,5 !). La fumée de tabac produit aussi des centaines de substances toxiques, dont des dizaines de cancérogènes, elle est responsable de la mort de la moitié des fumeurs ;
2. prendre 15 bouffées d’une cigarette en quelques minutes a un autre effet, encore plus grave : augmenter le nombre de récepteurs nicotiniques et les désensibiliser par un phénomène d’up regulation1 provoqué par le pic de nicotine. Fumer une cigarette, c’est prendre la nicotine « cul sec » ! Chaque cigarette augmente la nécessité de fumer la suivante.

Remplacer la cigarette ?

De nombreuses sources de nicotine corrigent l’hyponicotinémie sans apport de particules solides, de monoxyde de carbone (CO), et avec infiniment moins de cancérogènes et de produits irritants, diminuant ainsi considérablement les dommages. La nicotine est apportée progressivement, sans pic, évitant ainsi l’up regulation et conduisant à la régression du nombre de récepteurs nicotiniques d’environ 1 % par jour : au bout de 90 jours, les besoins de nicotine sont le plus souvent réduits de 90 %. La substitution nicotinique complète, outre qu’elle soulage le manque, est aussi un outil de mise en rémission de la dépendance tabagique.2
Les autres produits du tabac fumé proposés par l’industrie du tabac sont à bannir :
les cigarillos, utilisés en remplacement des cigarettes, ont les mêmes effets néfastes et maintiennent l’addiction ;
les nouveaux tabacs chauffés con-tiennent certes moins de particules mais ils sont conçus pour être addictifs,3 avec la nécessité de prendre toute la dose de nicotine en quelques minutes (3,5 min sur un des modèles !). Les données épidémio-logiques issues des études publiées4 montrent que ces produits (IQOS, Ploom et GLO) sont davantage des portes d’entrée que de sortie du tabagisme. Étant donné qu’ils ne plaisent pas suffisamment aux fumeurs, la grande majorité soit les abandonne, soit les utilise combinés aux cigarettes conventionnelles ;
la chicha, bien qu’elle soit moins addictive du fait d’une montée lente de la nicotine, ne peut absolument pas être recommandée car chaque bouffée produit autant de particules nocives qu’une cigarette entière !
La vape (cigarette électronique) a été et est une solution pour des millions de fumeurs.
Ce n’est pas un dispositif médical,5 mais un produit de consommation courante. Cependant, comme les substituts nicotiniques oraux, elle corrige rapidement l’hyponicotinémie, sans phénomène d’up regulation et avec une toxicité infiniment moindre que celle de la fumée du tabac.
Le principal produit potentiellement toxique qui persiste est la nicotine, qu’il faut formellement déconseiller aux non-fumeurs mais qui, chez les fumeurs, comble bien le manque si la même dose est délivrée qu’avec la cigarette. Sous cigarette électronique seule (sur l’incitation d’un ami, sans consulter) ou associée à des patchs nicotiniques prescrits par un médecin ou conseillés par le pharmacien, l’adaptation de dose est facilitée et le manque peut être totalement comblé en 1 à 2 semaines tout au long de la journée. Il faut rassurer les fumeurs, qui sont pour la plupart nicotinophobes et très inquiets vis-à-vis de la nicotine non fumée.
Ainsi, la vaporette a toute sa place dans l’arrêt du tabac. Comme les substituts nicotiniques oraux, elle n’est efficace que si elle plaît. Il est donc important d’inviter le patient à multiplier les essais afin de trouver le plus rapidement possible le produit qui provoque la sensation la plus agréable dans les premières 5 secondes de la prise, irritant un peu la gorge, mais sans faire tousser.
La seule grande erreur de manipulation est de la faire fonctionner sans liquide ; elle dégage alors une odeur de brûlé imposant de changer la résistance et ses mèches.
L’achat en boutique spécialisée permet d’essayer différents e-liquides et augmente les chances d’en trouver un qui soit satisfaisant.

Substitution : en 8 à 15 jours

Pour être efficaces, les substituts nécessitent une adaptation progressive de posologie (tableau).
Le plus simple est de partir d’une dose un peu en dessous de celle estimée nécessaire, et de laisser le patient fumer autant que le corps le demande. Il faut l’encourager les premiers jours à consommer des cigarettes qui sont « bonnes jusqu’au bout », car s’il peut les terminer sans éprouver un mauvais goût, voire des nausées, c’est qu’il reste sous-dosé en nicotine. Un sujet bien compensé éteint toutes les cigarettes qu’il allume avant la fin.
Par exemple, si le premier jour un fumeur consomme plus de 10 cigarettes avec un patch de grande taille (Pg), il faut en ajouter un supplémentaire le lendemain et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il fume moins de 5 cigarettes par jour.
On conseille cependant de ne pas dépasser 3 patchs simultanés par jour sans avis médical (certains patients, en particulier les schizophrènes, en ont parfois besoin de beaucoup plus).
On demande au fumeur de garder la même marque en cours de traitement car, par exemple, le patch carré étiqueté 21 mg Niquitin délivre plus rapidement la nicotine et a une aire sous la courbe plus importante que le patch rond 21 mg Nicotinell ou Nicopatch.
Les formes orales des substituts nicotiniques – pastilles sublinguales, comprimés à sucer, gommes à mâcher), inhaleurs ou sprays buccaux – sont d’autant plus efficaces qu’elles plaisent. Il est donc important d’inciter le patient à bien lire les conseils d’utilisation et goûter plusieurs produits afin de choisir celui qu’il préfère.

Varénicline : quelle place ?

Cette molécule (Champix) agissant sur les récepteurs a4b2 nicotiniques a été très décriée à sa sortie, comme tous les médicaments d’arrêt du tabac. Elle est maintenant totalement réhabilitée après un recul de 6 ans car les données de pharmacovigilance ont globalement confirmé le profil de tolérance décrit initialement. Elle est désormais remboursée à 65 %.5
Les principaux effets secondaires sont une bouche pâteuse et des nausées (donnant la sentation d’avoir trop fumé) considérées comme des effets indésirables par certains patients, mais bénéfiques pour d’autres car ils dégoûtent du tabac. Les perturbations du sommeil sont fréquentes, avec souvent des rêves colorés semblables à ceux parfois décrits avec les substituts nicotiniques.
L’efficacité est bonne en monothérapie, même si certains patients doivent attendre 3 à 8 semaines pour abandonner les dernières cigarettes. Dose : 0,5 mg 1 fois/j du 1er au 3e jour ; 0,5 mg 2 fois/j du 4e au 7e j ; 1 mg 2 fois/j du 8e jour à la fin du traitement (12 semaines au total). La posologie peut être réduite de moitié (1 mg/j) en cas d’effets secondaires, si plus aucune cigarette n’est fumée.
Tout patient qui fume dans l’heure du lever est atteint d’une maladie organique, la dépendance tabagique, et non d’un problème de comportement.
Pour traiter au mieux l’hyponicotinémie 24 h/24, le médecin doit idéalement trouver la bonne dose en 1 ou 2 semaines.
La substitution nicotinique est adaptée quand plus aucune cigarette n’est bonne.
La motivation du patient n’est pas un préalable obligatoire au traitement. Elle joue un rôle chez un sujet bien substitué qui fume encore.
D’ici fin 2018, les principaux substituts nicotiniques seront remboursés à 65 % (comme tout médicament apportant un service médical rendu important) et/ou pris en charge à 100 % dans les 26 maladies ALD pour lesquelles ils sont recommandés (guide HAS).
Encadre

D’ici fin 2018, les principaux substituts nicotiniques seront remboursés à 65 % (comme tout médicament apportant un service médical rendu important) et/ou pris en charge à 100 % dans les 26 maladies ALD pour lesquelles ils sont recommandés (guide HAS).

Références
1. Gowind AP, Vezina P, Green WN. Nicotine-induced upregulation of nicotinic receptors: underlying mechanisms and relevance to nicotine addiction. Biochem Pharmacol 2009;78:756-65.
2. Dautzenberg B. Le plaisir d’arrêter de fumer. Paris: First; 2017.
3. Auer R, Concha-Lozano N, Jacot-Sadowski I, Cornuz J, Berthet A. Heat-Not-Burn Tobacco Cigarettes: Smoke by Any Other Name. JAMA Intern Med 2017;177:1050-2.
4. Tabuchi T, Kiyohara K, Hoshino T, Bekki K, Inaba Y, Kunugita N. Awareness and use of electronic cigarettes and heat-not-burn tobacco products in Japan. Addiction 2016;111:706-13.
5. Dautzenberg B, Adler M, Garelik D, et al. Practical guidelines on e-cigarettes for practitioners and others health professionals. A French 2016 expert’s statement. Rev Mal Respir 2017;34:155-64.
6. HAS. Commission de la transparence. Avis du 9 novembre 2016 sur la varénicline. https://bit.ly/2PRMNbM

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essentiel

Tout patient qui fume dans l’heure du lever est atteint d’une maladie organique, la dépendance tabagique, et non d’un problème de comportement.

Pour traiter au mieux l’hyponicotinémie 24 h/24, le médecin doit idéalement trouver la bonne dose en 1 ou 2 semaines.

La substitution nicotinique est adaptée quand plus aucune cigarette n’est bonne.

La motivation du patient n’est pas un préalable obligatoire au traitement. Elle joue un rôle chez un sujet bien substitué qui fume encore.