Sensibilisation ou véritable allergie ?
Il ne s’agit pas de faire un cours d’immunologie, mais quelques notions sont à rappeler pour ne pas se tromper dans la prise en charge. En effet, on ne déclare pas un diagnostic d’allergie immédiate IgE médiée uniquement sur la positivité de tests sanguins ou cutanés. Pour affirmer une allergie, il est capital de mettre en évidence une pertinence entre la clinique (chronologique et symptomatique) et les tests positifs cutanés ou sanguins avec dosages d’IgE spécifiques. Un exemple pour illustrer ce propos :
« Maxime a une rhinite permanente, encore plus marquée à partir de l’automne. Lorsqu’il fait le ménage, les symptômes s’accentuent. Les antihistaminiques prescrits deviennent insuffisants. La dernière bataille de polochons lui laisse un souvenir amer : un nez comme une fontaine et des yeux de lapin russe pendant 24 heures. Il possède un chat, mais là, aucun problème. Minet peut se lover sur ses genoux sans qu’aucun symptôme n’apparaisse. Chez l’allergologue, le jeune homme bénéficie des prick-tests et dosages d’IgE spécifiques qui montrent une positivité pour les acariens domestiques, le chat et les pollens de graminées ».
Maxime est donc allergique aux acariens (tests cutanés positifs, rhinite en faisant le ménage, aggravation également en période automno-hivernale). De fait, il doit mettre en place des mesures de prévention et peut bénéficier d’une désensibilisation sublinguale aux acariens. En revanche, il est seulement à l’étape de sensibilisation (phase préalable à l’allergie) au chat et aux graminées : il fabrique des IgE spécifiques vis-à-vis de ces allergènes mais il n’a pas de symptôme clinique. On lui conseille donc de ne pas dormir avec son chat. Quant aux graminées, pour l’instant, il est asymptomatique. Cependant, si, dans l’avenir, il a une rhinite entre mai et juillet, c’est qu’il aura franchi le pas et sera devenu allergique.
Dépister : première étape
Les tests de dépistage sont à réaliser en première intention en pratique de ville. Rappelons que les prescriptions des examens biologiques d’allergies et cotations en France sont régies selon le chapitre 7-02 de la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM), arrêté du 05/11/2003 (JORF du 28/11/2003), modifié par l’arrêté du 09/12/2010 (JORF du 11/01/2011).
Le plus répandu d’entre eux en cas de suspicion d’allergie respiratoire, le Phadiatop, fournit une réponse qualitative (positif ou négatif). Sa sensibilité se révèle être de 92 % chez l’adulte et de 61 % chez l’enfant de plus 5 ans avec un seuil de positivité à partir de 0,35 kUA/L. Mais attention : on ne peut pas l’associer sur la même prescription à des dosages d’IgE spécifiques car cela ne rentre pas du tout dans le cadre de la NABM. On serait tenté de se dire « on va faire d’une pierre deux coups », mais ce n’est pas autorisé par la législation. Pas de possibilité non plus d’ajouter un dosage d’IgE totales (qui d’ailleurs n’a que peu d’intérêt pour le diagnostic d’allergie, à quelques exceptions près).
L’hyperéosinophilie (taux de polynucléaires éosinophiles (PNE) > à 400/mm3 en valeur absolue) ne signe pas non plus une suspicion d’allergie.
Attention : un test négatif n’exclut pas toujours l’allergie, si l’allergène respiratoire n’est pas contenu dans le mélange. Il faut alors pousser davantage les investigations avec un bilan allergologique si aucune autre cause n’est à envisager. Enfin, il faut bien garder à l’esprit que la sensibilisation aux pneumallergènes débute au minimum après l’âge de 12 mois, rendant ainsi ce dépistage inutile avant cet âge.
Quant à l’allergie alimentaire, le dépistage Trophatop est utile en cas d’apparition de symptômes (urticaire, œdème de Quincke ou choc anaphylactique) dans les quelques minutes à 2 heures après un repas composé de plusieurs sources allergéniques potentielles (entrée, plat de résistance, dessert). Depuis 2020, 33 mélanges comportant 3 à 6 aliments sont mis à disposition des praticiens (de fx1 à fx74)*.
Toujours selon la NABM, seuls 3 d’entre eux peuvent être ajoutés à un Phadiatop si l’on soupçonne une allergie alimentaire et respiratoire. Le test de dépistage Trophatop est un condensé de 3 mélanges :
- Trophatop adulte à partir de l’âge de 15 ans = fx5 + fx24 + fx25.
- Trophatop enfant jusqu’à 15 ans = fx26 + fx27 + fx28.
On ne peut toujours pas ajouter de dosage d’IgE unitaire spécifique ! On pourrait être tenté de prescrire Trophatop adulte et Trophatop enfant pour élargir la recherche, mais ce n’est pas possible car cela ferait 6 mélanges.
Quant à l’interprétation, la positivité d’un mélange fx ou d’un Trophatop signifie sensibilisation. Si un des mélanges est positif, il faut donc interroger le patient pour savoir si un aliment de ce mélange positif déclenche une réaction allergique. Si oui, il est retiré de l’alimentation en attendant la consultation allergologique. Mais il n’est pas question d’éviter tous les aliments cités sans pertinence clinique.
N’oublions pas les tests de dépistage semi-quantitatifs multi-allergéniques comme le CLA (chemiluminescent assay), le TAP (test poly-allergènes) et Euroline. Leur utilisation, en réalité, sème encore plus le troubleavec le risque de mettre en place un régime d’éviction totalement inutile. En effet, des faux positifs peuvent gêner l’interprétation, surtout chez les patients polysensibilisés.
Pour résumer, en pratique :
Prescrire Phadiatop et Trophatop (adulte ou enfant) ou 3 mélanges d’aliments fx sur même ordonnance : OUI
Prescrire Phadiatop et Trophatop, IgE totales et/ou IgE spécifiques et/ou CLA sur même ordonnance : NON
Dosage des IgE spécifiques : retenez le chiffre 5
En cas d’histoire clinique simple, la prescription du dosage des IgE spécifiques (anticorps dirigés contre un allergène spécifique) peut être utile, en attendant la consultation chez l’allergologue : lorsque l’on a besoin d’une orientation diagnostique et que le délai de rendez-vous chez le spécialiste est de plusieurs mois, ou pendant la grossesse (les tests cutanés n’étant pas recommandés, le dosage des IgE spécifiques peut être une option).
Autre avantage : contrairement aux tests cutanés, il n’est pas nécessaire d’arrêter les antihistaminiques pour les effectuer.
Pour les allergies respiratoires, la prescription doit être choisie en fonction des symptômes, de la chronologie des événements et de l’environnement.
De plus, la rédaction doit être précise pour que le biologiste s’y retrouve. Par conséquent, les termes « dosages IgE pneumallergènes » (trop vaste) ou « IgE acariens » (il y en a tout de même près de 9 !) sont inadaptés.
Voici quelques pistes pour vous aider dans la rédaction des dosages IgE (5 maximum selon la NABM) :
- rhinite toute l’année : évoquer en premier lieu les acariens (Dermatophagoides pteronnysinus et D. farinae), les animaux de compagnie présents au domicile ou peut-être les moisissures si le domicile est humide ;
- rhinite saisonnière qui se déclare :
– dans le sud de la France dès janvier : on recherche une allergie au cyprès (IgE cyprès) ;
– en février et mars dans le nord de la France : on mise sur IgE bouleau et dans la période suivante sur le frêne (IgE frêne) ;
– dans la région du bassin rhodanien et le pourtour méditerranéen : entre août et octobre, l’ambroisie est un véritable fléau (IgE ambroisie) ;
– sur la période estivale : envisager le dosage IgE phléole (graminée la plus représentative) mais aussi IgE Alternaria (moisissure).
Sur le plan de l’allergie alimentaire, le chiffre 5 est aussi de mise.
Mais, bonne nouvelle, vous pouvez rédiger sur une même prescription 5 IgE respiratoires et 5 IgE alimentaires en cas, par exemple, d’allergie multiple ou de suspicion d’allergie croisée trophallergènes et pneumallergènes, toujours en attendant la consultation chez l’allergologue.
Pour l’interprétation, là encore, on parle de sensibilisation lorsque les manifestations cliniques sont absentes. Ces dosages sont dits quantitatifs car ils sont exprimés avec un seuil minimal de 0,10 kUA/L et maximal > 100 kUA/L.
En ce qui concerne le dosage unitaire d’IgE vis-à-vis d’allergènes recombinés, la prescription et son interprétation sont réservées aux allergologues.
Mise en garde : le dosage sanguin des IgG alimentaires n’a aucune place dans le diagnostic des allergies !
Chabane H, Dalampira G, Klingebiel C, et al. Recommandations pour la prescription et l’interprétation des examens biologiques utilisables dans le cadre du diagnostic ou du suivi des allergies, disponibles en France. Partie 3 : allergie alimentaire.Rev Fr Allergol 2021;61(7):495-524.