En ces temps de pandémie de coronavirus, c’est bien en puisant dans leur dévouement, leur engagement, la certitude qu’ils sont indispensables, que les soignants se sont mis au service des patients et de la société. En parallèle, nous avons vu surgir leur héroïsation, véhiculée par les discours patriotiques, les soutiens politiques et médiatiques, les applaudissements populaires. 

 

Après la bataille, que deviendront les discours, que deviendront ces héros ? Il y a tout lieu de craindre quelques désillusions…

– Un héros est-il un être d’exception ? Après un engagement massif de 2 mois, peut-il se prévaloir d’une compensation/rétribution/reconnaissance à la hauteur de son investissement exceptionnel ?

– Un héros est-il infatigable ? La reprise du travail « normal », voire le rattrapage du retard pris notamment pour les actes chirurgicaux, prendra-t-elle en compte la fatigue accumulée des équipes soignantes qui auront été « sur le front » ?

– Héros d’un jour, héros toujours ? Faudra-t-il dans quelques jours, semaines ou mois, être confronté aux mêmes difficultés, aux mêmes manques de moyens, aux mêmes rythmes de travail épuisants, qui pourraient s’avérer pérennes devant les incertitudes sur l’évolution de l’épidémie et les gestions comptables de la santé ?

 

Si cette pandémie a engendré une transformation profonde de l’hôpital, elle s’est faite avec la participation active et la transformation des personnels hospitaliers. De nouveaux circuits de communication, d’échanges, de collaboration sont apparus. Cela a permis aux soignants de se mettre en accord avec leur éthique professionnelle au travers d’un engagement sans faille, qui leur a permis de résister à l’épuisement. Car ce qui protège toujours de l’épuisement, c’est la possibilité de faire du travail de qualité, de donner du sens à ce qu’on fait – et que ce sens soit reconnu.

Ce travail est une source de souffrance quand il s’agit de se confronter soi-même à la dureté de la maladie, mais il est aussi l’occasion extraordinaire de se dépasser, et une source inépuisable de constructions collectives.

Ne négligeons pas que les soignants éprouvent ces souffrances, même s’ils les assument pour s’y confronter. Mais ils n’accepteront pas qu’on joue d’eux comme des pions au temps des tranchées, par défaut de préparation, d’anticipation, de communication ou, pire, par incompétence ou par suffisance.

Il est à souhaiter que l’exemplaire construction collective que le monde hospitalier a mis en œuvre ne se dissolve pas dans le retour frénétique au monde d’avant, celui des tableaux de bord, de la santé réduite aux algorithmes dont on a vu qu’ils étaient sans effet sur le Covid.

Le retour « à l’hôpital d’avant », s’il signifie la fin des héros du moment, risque d’être ressenti comme un abandon, un mensonge, voire une trahison. Or, celle-ci peut conduire à des effondrements psychiques ou physiques.

Nous avons convoqué des héros pour nous sauver. N’oublions pas que nos héros sont nos voisins, nos amis, nos familles, nos collègues, nos subordonnés. Ce sont des hommes et des femmes qui partagent notre quotidien, pour le meilleur et pour le pire.

De l’héroïsation du travail des soignants au risque de leur désillusion massive, blog de Marie Pezé, Mediapart, 3 mai 2020.

Thomas Lieutaud, service anesthésie, centre hospitalier de Bourg-en-Bresse.

Marie Pezé, docteur en psychologie, psychanalyste, responsable du réseau de consultations Souffrance et travail.

Crédit photo : Vincent Martin