L’emploi massif d’antibiotiques génère des résistances bactériennes de plus en plus préoccupantes. Mais nous ne serions pas les seuls coupables : selon une étude publiée dans Nature, des staphylocoques dorés résistants à la méticilline auraient acquis cette capacité il y a plus de deux cents ans, chez des… hérissons ! Certaines bêtalactamines, qui comptent entre autres les pénicillines M (oxacilline, cloxacilline, méticilline), sont les principaux antibiotiques utilisés contre les staphylocoques. Cependant, certaines souches résistantes aux bêtalactamines comme les staphylocoques dorés résistants à la méticilline (SARM) inquiètent. Avec près de 100 000 morts dans le monde en 2019, les SARM sont à la hausse et comptent parmi les premières causes de décès dus à des bactéries multirésistantes. Sans surprise, ce sont des habitués des hôpitaux. Mais, plus étonnant, quelques-uns d’entre eux semblent avoir acquis leur ténacité sur la peau d’un hérisson teigneux ! Selon l’article paru dans Nature, les résistances de certaines souches de SARM se seraient en effet développées par sélection naturelle chez le hérisson, bien avant l’utilisation d’antibiotiques. Pour démontrer cette antériorité, les scientifiques ont analysé 828 prélèvements nasaux réalisés sur 276 hérissons communs originaires d’Europe. Absentes des hérissons français, des lignées de mecC-SARM – des SARM résistants aux bêtalactamines grâce au gène mecC – étaient fréquentes en Europe du Nord. En se fondant sur les séquences génétiques de mecC-SARM, les chercheurs ont déterminé leur parenté et leur date d’apparition. Stupeur : sur les six lignées de mecC-SARM identifiées, deux sont apparues bien avant la commercialisation des bêtalactamines, il y a respectivement cent et deux cents ans. Parfois retrouvées chez l’homme, ces deux mecC-SARM seraient apparues chez le hérisson, avant de se transmettre aux autres animaux. Mais pourquoi le hérisson ? Sans doute car un de ses plus fréquents champignons cutanés, Trichophyton erinacei – la « teigne » du hérisson –, produit naturellement deux bêtalactamines qui exercent une forte pression de sélection sur les staphylocoques dorés… et auxquels les mecC-SARM résistent.

 

François Mallordy

Bactéries multirésistantes : la faute aux hérissons ? Nature 2022;602(7895):135-41. Larsen J, Raisen CL, Ba X, et al. Emergence of methicillin resistance p redates the clinical use of antibiotics. PMID : 34987223.