De plus en plus d’études montrent que des séquelles persistent longtemps après l’infection par le SARS-CoV-2. Comprendre leur physiopathologie est essentiel, afin de mieux les traiter ou les prévenir. Plusieurs équipes de recherche évoquent actuellement un possible mécanisme auto-immun. Explications…
Bien que la notion de « Covid long » ne soit pas encore formellement définie, une partie des patients infectés par le SARS-CoV-2 ont des séquelles pendant plusieurs mois, soit organiques (pulmonaires, mais aussi cardiaques et rénales), soit des symptômes comme la fatigue chronique malgré un examen clinique normal.
Selon une étude récente chinoise sur 1 733 patients, publiée dans The Lancet, 6 mois après le début de la maladie, plus de 75 % des personnes hospitalisées pour Covid-19 à Wuhan entre janvier et mai 2020 ont déclaré avoir encore au moins un symptôme. La fatigue ou la faiblesse musculaire (63 %), les troubles du sommeil (26 %), l’anxiété et la dépression étaient les plus fréquents. Les auteurs ont retrouvé des anomalies pulmonaires persistantes chez 22 à 56 % des patients, surtout chez ceux ayant eu une forme grave, mais aussi des atteintes extrapulmonaires, notamment rénales.
Compte tenu de la fréquence élevée de ces symptômes, il est essentiel de comprendre les mécanismes sous-jacents, afin de les prendre en charge ou les prévenir.
Fin septembre, une étude menée par l’équipe de Jean-Laurent Casanova, que nous avons analysée précédemment, a rapporté que plus de 10 % des 987 individus atteints de Covid-19 sévère avaient des autoanticorps qui bloquaient l’action des interférons de type 1, molécules impliquées dans la réponse immune antivirale.
Dans une autre étude parue en preprint (qui n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs), une équipe de la Yale School of Medicine a recherché un large panel d’autoanticorps dans une cohorte de 194 sujets (patients hospitalisés et soignants) ayant une forme de Covid de gravité variable. Les chercheurs ont observé une prévalence plus élevée de nombreux autoanticorps chez les personnes infectées par rapport aux contrôles : il s’agit d’anticorps dirigés contre des cytokines, des chimiokines, des composants du complément, des protéines de surface exprimées par des lymphocytes. Dans un modèle murin, ces autoanticorps étaient capables d’augmenter la sévérité de l’infection, suggérant qu’ils peuvent modifier l’évolution de la maladie en perturbant la réponse immune et provoquer des lésions au niveau des tissus.
Des autoanticorps pathogènes contre les phospholipides (protéines impliquées dans le contrôle de la coagulation sanguine) ont été retrouvés, dans une autre étude, chez 30 à 52 % des 172 individus hospitalisés pour Covid. L’injection de ces IgG purifiés à partir du sérum des patients chez des souris accélère les phénomènes de thrombose veineuse.
Les autoanticorps contre l’annexine A2, protéine impliquée dans la fibrinolyse et la stabilité des membranes des petits vaisseaux sanguins des poumons, seraient plus élevés chez les personnes décédées de Covid que chez celles ayant une forme moins grave.
La théorie des autoanticorps pourrait expliquer en partie l’apparition tardive des symptômes graves du Covid-19. Générés lors de l’inflammation induite par l’infection virale, ils doivent s’accumuler avant de provoquer les lésions tissulaires, qui apparaissent donc une ou deux semaines après, une fois le SARS-CoV-2 éliminé.
La capacité des virus d’induire des processus auto-immuns n’est pas une notion nouvelle. Le virus Epstein-Barr, par exemple, a été impliqué dans d’apparition de plusieurs maladies auto-immunes dont le lupus.
Il est encore difficile de savoir si ces autoanticorps préexistent, certaines personnes pouvant avoir une prédisposition génétique à les produire en réponse à une infection, ou s’ils sont induits par le SARS-CoV-2. En effet, l’orage cytokinique provoquant une destruction importante de cellules saines de l’organisme, le système immunitaire serait induit à considérer, à tort, comme « étrangers » ces antigènes du « self », générant ainsi des autoanticorps (vidéo explicative, Yale School of Medicine).
Ces découvertes ont des implications thérapeutiques. Par exemple, les sujets ayant des autoanticorps contre l’interféron pourraient recevoir, dès le diagnostic de Covid, une supplémentation d’interféron-β (cette thérapie est en cours d’étude après les résultats encourageants d’une étude préliminaire publiée en novembre 2020). De plus, le plasma de ces patients (pouvant contenir des autoanticorps) ne devrait pas être utilisé dans les essais cliniques pour traiter les malades de Covid.
D’autres études sont en cours pour mieux comprendre le rôle de l’auto-immunité au cours de l’infection et dans les séquelles post-Covid…
Pour le moment, la prise en charge à proposer à ces patients n’est pas codifiée. En cas de séquelles pulmonaires, la Société de pneumologie de langue française a validé 17 propositions diagnostiques et thérapeutiques qui vont des examens complémentaires à réaliser après le bilan minimal à la place de la corticothérapie inhalée ou systémique et des médicaments antifibrosants.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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