Le 1er décembre 2019, le 1er cas « officiel » de Covid était détecté à Wuhan. Le confinement de la ville chinoise, le 23 janvier 2020, parut une décision exceptionnelle, sans que nous imaginions que presque toute la planète allait subir, par étapes, le même sort. Un siècle après la grippe espagnole, l’humanité affrontait une nouvelle pandémie qui depuis n’en finit pas de nous désespérer. Dans nos sociétés hyperconnectées et non préparées à un tel évènement, la marche de l’épidémie cristallise, au grès de ses vagues, une succession ininterrompue de crises et un singulier retournement. Quand on déplorait au début le manque de moyens pour se protéger (masques, tests, vaccins…), ce qui fait aujourd’hui l’actualité est le rejet de la vaccination par une fraction minoritaire mais néanmoins conséquente de la population, dont une part, après avoir applaudi les soignants, les vilipende désormais. Jamais le rejet vaccinal alimenté par les réseaux sociaux n’a eu autant d’ampleur et de résonance. L’irruption, avec une telle force, de la pensée irrationnelle et sa confrontation au raisonnement médical est un phénomène inouï dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences. Le paradoxe est immense. Dès son origine, la médecine s’est construite autour d’un patient dont l’état d’infériorité, du fait de sa maladie, était manifeste. Ce patient, jugé dépendant, était encore la règle il y a peu. En témoigne, par exemple, le discours remarqué que Louis Portes, qui présida l’Ordre des médecins, prononça en 1950 à l’Académie des sciences morales et politiques : « Face au patient, inerte et passif, le médecin n’a en aucune manière le sentiment d’avoir à faire à un être libre, à un égal, à un pair qu’il puisse instruire véritablement. Tout patient est et doit être pour lui comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper – un enfant à consoler, non pas à abuser - un enfant à sauver, ou simplement à guérir à travers l’inconnu des péripéties (…) [rien] ne peut masquer cette inégalité vivante des forces en présence si bien que la seule définition à la fois sincère et humble des échanges médicaux, envisagée sur le plan psychologique s’exprime ainsi « tout acte médical normal n’est, ne peut être et ne doit être qu’une confiance qui rejoint librement une conscience ».1 C’est la pandémie de sida qui, au début des années 1980, rebattit les cartes avec l’apparition de puissantes associations de patients qui, par leur action, permirent aux personnes séropositives de devenir des acteurs à part entière de leur prise en charge. Cette matrice diffusa le mouvement associatif dans tous les champs de la pathologie et sonna le glas du statut de personne mineure qui corsetait le malade depuis toujours, ce dont de nombreuses dispositions législatives prirent acte. Cette émancipation, cette prise du pouvoir par des patients éclairés, et pour certains experts, n’était-elle qu’une parenthèse face à l’irruption de la vérité alternative et du complotisme dans les questions de santé ? Chaque individu devenant potentiellement, par la force des réseaux sociaux et des algorithmes, son propre média autocentré, sommes-nous à l’aube d’un grand bond en arrière ? Nous aurions aimé conclure ce dernier éditorial (il est temps de passer la main…) de façon plus optimiste. Consolons-nous en pensant que, si l’exercice de la médecine est loin d’être un long fleuve tranquille, cette relation puissante qui se noue entre deux consciences égales, dans la liberté que confère le secret médical, est probablement le cap qui permet de résister aux tempêtes et aussi ce qui fait qu’être médecin, c’est un peu plus qu’exercer un métier… 
Référence
1. Du consentement du malade à l’acte médical, communication à l’Académie des science morales et politiques, 30 janvier 1950.