Cette revue de la littérature sur plus de 5 000 articles croisait des données concernant la différence par sexe en pharmacocinétique, pharmacodynamique et les effets indésirables pour 86 classes médicamenteuses. Ses conclusions : certaines caractéristiques de la pharmacocinétique chez les femmes, comme des concentrations plus élevées du médicament dans le sang et une plus faible vitesse d’élimination, étaient fortement liées à une plus grande incidence d’effets indésirables, dont nausées, maux de tête, somnolence, dépression, prise de poids excessive, déficits cognitifs, convulsions, hallucinations, agitation et anomalies cardiaques.
La disparité entre les sexes sur ce point est bien connue : les femmes ont non seulement un risque 2 fois plus important que les hommes de subir des effets indésirables – toutes classes pharmaceutiques confondues –, mais aussi un risque significativement plus élevé d’être hospitalisées pour cette cause.
Cependant, les mécanismes biologiques qui pourraient sous-tendre cette différence sont encore mal compris. Selon les auteurs de l’étude, si le poids a souvent été signalé comme la cause principale, il ne peut expliquer à lui seul ces disparités, bien que la masse corporelle généralement moins importante des femmes, ainsi que la plus petite taille de leurs organes et le plus grand pourcentage de tissu adipeux, influent en effet sur l’absorption et la distribution des médicaments.
D’autres facteurs ont aussi un impact sur la distribution des médicaments et la pharmacocinétique : l’exposition différente aux hormones stéroïdiennes endogènes, mais aussi exogènes, tout au long de la vie ; les taux de polymédication plus élevé chez les femmes ; la clairance rénale réduite des médicaments (en raison d’un taux de filtration glomérulaire plus faible que chez les hommes) ; un temps de vidange gastrique plus lent et un pH gastrique plus bas ; un volume de plasma plus faible. De plus, les réactions aux médicaments sont également affectées par les changements physiologiques au cours du cycle menstruel.
Or, les essais pharmaceutiques ont historiquement été conduits en majorité chez des sujets masculins, que ce soit en phase préclinique sur modèles animaux mâles ou en phase clinique chez des hommes. De plus, même lorsque les essais sont menés sur les deux sexes, cela ne garantit pas que la variable soit prise en compte : une revue de littérature portant sur plus de 100 essais conduits par les National Insitutes of Health (États-Unis) sur des femmes et des hommes a révélé que seuls 26 % d’entre eux ont présenté des données ventilées par sexe pour au moins un des résultats cliniques évalués (ou tout simplement inclus le sexe comme une variable), tandis que 72 % n’ont pas du tout inclus le sexe dans les analyses.
Tout cela contribue à négliger les différences entre les sexes et aboutit à une surmédicalisation des femmes, à qui on prescrit par conséquent la même dose que celle testée sur les hommes, sans prendre en compte ni le dimorphisme sexuel ni les disparités pharmacocinétiques qui exposent les patientes à des concentrations sanguines de médicaments plus élevées et à des temps d’élimination plus longs, donc à un plus grand risque d’effets indésirables.
Des 86 médicaments évalués, 76 montraient effectivement des valeurs pharmacocinétiques plus élevées chez les femmes (entre autres : liraglutide, héparine, morphine, mais aussi certains anticancéreux et psychotropes), et pour 96 % d’entre eux, ce biais était associé à une plus forte incidence d’effetsindésirables chez la femme. Selon eux, il est probable que cette corrélation soit aussi vraie pour d’autres classes médicamenteuses pour lesquelles les données sur ces différences pharmacocinétiques ne sont pas disponibles.
Ces résultats incitent à revoir les dosages de certains médicaments. Les auteurs recommandent ainsi de tenir compte des différences pharmacocinétiques dans le processus d’approbation de tout nouveau médicament ; de promouvoir la parité dans le recrutement des essais, afin de mieux comprendre l’importance clinique des biais sexuels dans les traitements médicamenteux (ce qui permettrait, en particulier, de disposer d’évidences pour ajuster les doses administrées aux femmes) ; de rendre publiques les données de pharmacocinétique des médicaments actuellement sur le marché, et de préciser quand c’est possible les différences par sexes dans les effets indésirables, afin de faciliter les mesures correctives pour réduire leur incidence dans la population féminine.
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien