La teneur en fer du lait maternel étant faible, l’allaitement prolongé peut être associé à une carence martiale. Cette dernière peut entraîner la survenue d’une anémie, ce qui retentit sur le développement psychomoteur et les défenses immunitaires de l’enfant.
Néanmoins, il manque aujourd’hui des preuves solides sur l’effet de la supplémentation en fer sur le développement psychomoteur. Par conséquent, il n’y a pas de consensus entre les différentes guidelines en la matière. L’Académie américaine de pédiatrie recommande, par exemple, de supplémenter tous les nourrissons majoritairement allaités après l’âge de 4 mois (par 1 mg/kg/j), jusqu’à ce que leurs besoins en fer soient couverts par la diversification alimentaire. En revanche, selon la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN), il n’est pas nécessaire de donner cette supplémentation générale aux nourrissons nés avec un poids normal, qui sont en bonne santé et vivent dans des régions où les taux d’anémie ferriprive sont faibles.
Pour la première fois, un essai clinique randomisé a étudié les effets sur le développement psychomoteur d’une supplémentation à faible dose en fer entre 4 et 9 mois chez des nourrissons allaités.
Pas d’effet significatif sur les scores moteurs, cognitifs et de langage
Cet essai randomisé en double insu, contrôlé par placebo, a été mené en Suède et en Pologne entre décembre 2015 et mai 2020, avec un suivi jusqu’en mai 2023. Les 221 nourrissons recrutés (dont 111 filles) étaient nés à terme avec un poids > 2 500 g, nourris majoritairement au sein (> 50 % des apports quotidiens) et n’avaient pas d’anémie à l’âge de 4 mois. La présence de maladies graves, anomalies congénitales ou d’allergies alimentaires étaient parmi les critères d’exclusion.
Dans le groupe supplémenté en fer, 111 nourrissons ont reçu une supplémentation quotidienne à raison de 1 mg/kg/j sous forme de fer pyrophosphate micronisé et microencapsulé, entre 4 et 9 mois. L’allaitement maternel exclusif concernait 61 % des nourrissons de ce groupe à 6 mois contre 50 % du groupe placebo ; à 9 mois, les proportions d’allaitement maternel prédominant (> 50 % des apports quotidiens) étaient semblables dans les deux groupes (30 %). Au total, 66 % des participants ont suivi correctement le traitement ; l’observance était un peu plus élevée dans le groupe « fer » (68 %) que dans le groupe « placebo » (65 %), mais les niveaux de ferritine à 12 mois étaient similaires chez les participants observants et les non-observants.
Le développement psychomoteur à 12 mois était le critère de jugement principal, mesuré grâce au score moteur des Bayley Scales of Infant and Toddler Development III. Les critères secondaires comprenaient les scores cognitifs et de langage à 12 mois ; les scores moteurs, cognitifs et de langage à 24 et à 36 mois ; la carence martiale (ferritine sérique < 12 ng/mL) et l’anémie ferriprive (carence martiale et hémoglobine < 10,5 g/dL) à 12 mois. Les résultats ont été ajustés pour des variables telles que l’âge gestationnel, le sexe et le niveau d’éducation de la mère ; 200 nourrissons (soit 90 % de ceux recrutés) ont été inclus dans l’analyse.
Résultats : aucun effet significatif de la supplémentation en fer n’a été observé sur le développement psychomoteur (différence moyenne [DM] de - 1,07 point sur ce score ; IC95 % : - 4,69 à 2,55), ni sur les scores cognitif (DM : - 1,14 ; IC95 % : - 4,26 à 1,99) ou linguistique (DM : 0,75 ; IC95 % : - 2,31 à 3,82) à 12 mois, en comparaison au placebo. Il n’y avait pas de différences significatives à 24 et 36 mois non plus. Par ailleurs, la supplémentation n’a pas réduit le risque de carence en fer ni d’anémie ferriprive à 12 mois.
La plupart des nourrissons n’ont pas eu d’effets indésirables. La diarrhée, les vomissements et la constipation ont touché, respectivement, 31 %, 32 % et 22 % d’entre eux, sans différence significative entre les deux groupes.
Ces résultats suggèrent que supplémenter en fer des nourrissons allaités en bonne santé, avec une faible dose de fer entre 4 et 9 mois, n’améliore pas les scores de développement à 12, 24 ou 36 mois, et ne réduit pas le risque de carence en fer ni d’anémie ferriprive à 12 mois.
Ces conclusions étayent les recommandations de l’ESPGHAN, mais les auteurs soulignent qu’elles ne sont peut-être pas généralisables et ne s’appliquent qu’aux contextes semblables à ceux de l’essai (pays à revenu élevé où les taux d’anémie ferriprive sont faibles).