Quel est le bilan de la grippe dans l’hémisphère sud ?
Dans l’hémisphère nord, entre février et mars, l’activité grippale était élevée dans la plupart des pays, mais à partir de la mi-mars, avec les mesures de confinement, la circulation des virus grippaux s’est arrêtée drastiquement. Depuis avril, les virus influenzae ont circulé à des niveaux extrêmement faibles au niveau mondial, notamment dans l’hémisphère sud. Selon l’OMS, sur plus de 145 068 échantillons testés dans 52 pays par les Centres nationaux de référence entre le 17 et le 30 août 2020, seuls 34 étaient positifs pour la grippe. D’après une autre publication incluant les données de l’Australie, du Chili et de l’Afrique du Sud, sur un total de 83 307 échantillons testés, seuls 51 étaient positifs, soit seulement 0,06 % ! Il faut savoir que dans ces 3 pays, les années précédentes (2017-2019), ce taux était de 13,7 % (sur 178 690 échantillons testés).
Quelles sont les raisons de cette absence d’épidémie ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces chiffres. La pandémie actuelle de Covid-19 a conduit à une diminution de la surveillance des virus influenzae dans plusieurs États. Mais ce n’est pas la seule raison, car cette dernière s’est poursuivie dans plusieurs pays tempérés de l’hémisphère sud, comme indiqué par les chiffres que j’ai cités précédemment. Il est donc probable que les mesures mises en place pour lutter contre la propagation du SARS-CoV-2 – restrictions de la circulation, des voyages, confinement, fermetures des écoles, télétravail, distanciation sociale, gestes barrière, port du masque, mesures d’hygiène, lavages des mains – ont permis de réduire également la circulation de la grippe, ces virus ayant des modes de transmission similaires (gouttelettes, aérosol, surfaces contaminées). Théoriquement, ces mesures devraient être davantage efficaces sur la grippe, car le taux de reproduction (le fameux R0) du virus influenza est légèrement plus faible que celui du SARS-CoV-2 (1,28 versus 2–3,5), en raison de l’existence d’une immunité contre les virus influenzae saisonniers dans la population. Le phénomène d’interférence virale a pu aussi jouer un rôle. On observe habituellement, en automne et en hiver dans l’hémisphère nord, une circulation des rhinovirus, puis du VRS, puis l’épidémie de grippe, avec un recouvrement partiel des courbes, qui sont successives comme s’il y avait un mécanisme de compétition entre les différents virus. Le SARS-CoV-2 aurait pris en quelque sorte « toute la place ».
Contrairement au SARS-CoV-2, les enfants sont le réservoir principal de la grippe. La fermeture des écoles a-t-elle été un facteur déterminant ?
C’est une bonne question, mais il est difficile d’y répondre car les politiques ont été très différentes selon les pays de l’hémisphère sud. L’impact de la fermeture des écoles sur la transmission des virus influenzae n’est pas clair. À Singapour, par exemple, elles n’ont pas été fermées, mais les mesures mises en place contre la Covid-19 (distanciation sociale, groupes plus restreints, mesures d’hygiène, isolement chez soi pendant 5 jours en cas de signes respiratoires) ont été apparemment efficaces pour réduire la circulation du virus grippal par rapport aux années précédentes.
Comment allez-vous mettre en place la surveillance cette année ?
La surveillance communautaire par le réseau Sentinelles, qui a été interrompue lors de la première vague de Covid-19, a bien repris depuis début septembre, comme avant la pandémie. En tant que CNR, nous recevons donc des prélèvements des médecins généralistes et des pédiatres qui participent à ce réseau. Nous récupérons aussi des prélèvements qui sont effectués pour les dépistages du SARS-CoV-2 à Lyon.
Faut-il s’attendre aussi à un hiver sans grippe ?
À mon avis, il y aura une circulation des virus grippaux, car les enfants continuent d’être infectés par les virus respiratoires et les transmettent à leur entourage, le port du masque et la distanciation n’étant pas forcément respectés dans la sphère familiale. En ce moment, les virus qui circulent (à part le SARS-CoV-2) sont des picornavirus et notamment des rhinovirus. Toutefois, on peut espérer que les mesures mises en place à la fois au niveau individuel et collectif pourront limiter la circulation du virus... Mais pendant combien de temps ces contraintes seront-elles acceptées ? La prévention par la peur ne fonctionne pas sur le long terme…
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien