La campagne de vaccination contre la grippe a débuté le 13 octobre. Depuis 2019, après deux années d’expérimentation, les pharmaciens peuvent vacciner certains patients à risque de forme grave. Combien de pharmacies ont mis en place ce dispositif ? Quel fonctionnement en pratique ?
Interview d’Audrey Janoly Dumenil, enseignant chercheur en santé publique, co-responsable avec Florence Morfin de la formation vaccination antigrippale en officine à la faculté de pharmacie de Lyon.

 

Ce dispositif est-il bien implanté ?

Après deux années d’expérimentation, depuis mars 2019 la vaccination contre la grippe peut être réalisée par les pharmaciens d’officine sur l’ensemble du territoire. Les pharmaciens y ont adhéré massivement : 86 % des 20 940 pharmacies en France proposent ce service aux patients. En 2019, le vaccin contre la grippe a été injecté par un pharmacien d’officine dans 34 % des cas !*

Qui peut se faire vacciner ? 

Uniquement les adultes ciblés par les recommandations vaccinales, et notamment les personnes de plus de 65 ans, celles ayant des pathologies chroniques, les immunodéprimés, les femmes enceintes, les obèses. En dehors de ce cadre, on ne peut pas bénéficier du dispositif, même si on a l’ordonnance d’un médecin.

Quelles sont les conditions pour pouvoir vacciner ?

La pharmacie doit disposer d’un local confidentiel clos pour accueillir le patient, indépendant de la zone de vente, sans accès possible aux médicaments, avec des équipements adaptés : une chaise ou un lit, un point d’eau, une table, des solutions hydroalcooliques, des gants, le matériel nécessaire pour la vaccination. L’officine doit également disposer d’une enceinte réfrigérée pour stocker les vaccins, une trousse de première urgence en cas de réaction allergique et un système d’élimination des déchets des soins.

Le pharmacien doit avoir validé une formation (durée 6h) conforme aux objectifs pédagogiques définis par l’arrêté du 23 avril 2019, comportant des connaissances théoriques (sur la grippe, le vaccin, l’organisation de la vaccination à l’officine), une partie pratique d’apprentissage du geste vaccinal (entraînement sur des bras d’injection) et des éléments de communication pharmacien-patient autour de la vaccination (entretien motivationnel).

Les étudiants en pharmacie sont formés durant leurs cursus et pourront vacciner une fois thésés et inscrits à l’Ordre. 

Comment ça marche en pratique ? 

Le patient se présente à la pharmacie. S’il fait partie de la population cible, il a souvent déjà reçu son bon de prise en charge ; dans le cas contraire, le pharmacien peut l’émettre (pour les femmes enceintes, par exemple). S’il le souhaite, il peut, dans la grande majorité des cas, se faire vacciner directement sans prise de rendez-vous. Le pharmacien vérifie bien sûr l’absence de contre-indications : antécédent de réaction allergique sévère à l’ovalbumine ou à une vaccination antérieure, hypersensibilité à un des composants du vaccin, infection aiguë fébrile le jour de l’injection. À l’issue de la vaccination, le pharmacien remet une attestation au patient; il est recommandé de la transmettre aussi au médecin traitant via une messagerie sécurisée. L’acte vaccinal est facturé 6,30 € HT (remboursé par la Sécurité sociale à 65 %).

Quels sont les avantages ?

Le patient a aujourd’hui le choix de se faire vacciner par son médecin, une infirmière, une sage-femme ou un pharmacien. C’est donc une offre supplémentaire par rapport à celle qui existait déjà, intéressante pour les patients ayant des difficultés à obtenir un rendez-vous chez le médecin, par exemple. 

L’année dernière, le taux de couverture vaccinale de la population ciblée par les recommandations n’était que de 47,8 %... c’est donc une corde supplémentaire à l’arc ! 

Il y a aussi un intérêt plus global : les pharmaciens sont encore plus des acteurs dans la promotion de la vaccination, même lorsqu’ils ne réalisent pas l’injection. Dans nos formations, par exemple, on organise des ateliers animés par des psychologues avec des simulations d’entretien, le but étant de motiver le patient à se faire vacciner…

Et les limites ?

Ce dispositif nécessite une organisation, qui doit être anticipée, ses objectifs étant la proximité et la disponibilité, avec une offre de larges plages d’ouverture. Le but est de vacciner la personne dès qu’elle se présente en officine. Il faut donc être suffisamment nombreux pour pouvoir accueillir un flux important de patients, sur une période assez courte, surtout cette année car, en raison de la pandémie de Covid-19, les médecins et les pouvoirs publics ont incité fortement les patients à risque à se faire vacciner.

Le dispositif sera-t-il élargi à terme à d’autres patients (non à risque de forme grave de grippe) et/ou d’autres vaccins ?

Pour l’instant, on donne la priorité aux patients fragiles, chez lesquels il faut à tout prix éviter une co-infection SARS-CoV-2 – grippe. Il serait intéressant ensuite d’étendre ce dispositif à une population plus large (pour le vaccin de la grippe), voire à d’autres vaccins chez l’adulte, pour lesquels le calendrier des rappels n’est pas bien suivi. Compte tenu des faibles taux de couverture vaccinale en France, on ne peut que se réjouir du fait que de nouveaux professionnels de santé soient impliqués ! Il y a un autre aspect important : le temps de la vaccination est un moment privilégié d’écoute et d’échanges pendant lequel d’autres questions peuvent être abordées avec le patient, comme des problématiques d’adhésion à des traitements chroniques, des difficultés de gestion au quotidien des médicaments ou une mauvaise tolérance.

*Nous remercions Olivier Rozaire, président de l’URPS pharmacien de la région AURA, pour la communication de ces chiffres.

 

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien