Malgré la mobilisation des médecins généralistes, la loi Rist a été votée en première lecture par l’Assemblée et le Sénat. Cette loi risque de mettre à mal le parcours de soins et la notion de médecin traitant, piliers d’une médecine générale de qualité, et suscite de nombreuses interrogations…

Députés et sénateurs légifèrent actuellement pour une évolution de l’offre de soins de premier recours. Leur objectif est d’apporter, en urgence, une réponse aux déserts médicaux ; en effet, la démographie médicale baisse dangereusement et affecte progressivement tous les territoires. Cette situation ne dépend pas des médecins, comme certains voudraient le faire croire, mais de décisions prises par les autorités sanitaires depuis de très nombreuses années : un numerus clausus trop longtemps restrictif, des quotas de postes de médecine générale/autres spécialités proposés aux épreuves classantes nationales (ECN) inadaptés, un accompagnement insuffisant des nouvelles conditions d’exercice, une charge administrative de plus en plus importante et chronophage au détriment des temps de soins, une perte d’attractivité de l’exercice par un blocage tarifaire déconnecté des coûts de la pratique et, tout récemment, l’idée d’une restriction de la liberté d’installation…

La loi Rist, qui vient d’être votée par les députés en première lecture, institue l’accès direct à certains paramédicaux, en particulier aux infirmières en pratique avancée (IPA). Outre cet accès direct, les prérogatives des IPA sont élargies par rapport à ce qu’elles étaient à leur création par la loi Touraine : suivi clinique, prescriptions d’examens complémentaires et de médicaments. Il ne s’agit plus d’une délégation de tâches protocolisée mais d’un véritable transfert de compétences, avec une certaine autonomie. Sans faire preuve d’un corporatisme excessif, tous les syndicats médicaux s’inquiètent de ces nouvelles dispositions qui mettent à mal le parcours de soins et la notion de médecin traitant, piliers d’une médecine générale de qualité ! L’application de la loi Rist risque d’aboutir à la sectorisation des compétences des acteurs de soins de premier recours, avec un probable morcellement croissant de l’offre de soins ; ce serait tout à fait contraire à une démarche thérapeutique globale, à une approche holistique de la santé individuelle nécessaire à la qualité et à la sécurité des soins.

De plus, cette loi donne un véritable camouflet au travail que les généralistes enseignants réalisent depuis plus de quarante ans dans le but de construire une spécialité avec un corpus de connaissances et de compétences nécessaires à l’exercice professionnel – qui ne demandent qu’à être mutualisées avec celles des paramédicaux. La gestion de la complexité et de l’incertitude des situations cliniques de premier recours n’est pas toujours facile ; pourtant, différencier ce qui est simple de ce qui est potentiellement grave est essentiel. Les législateurs ont-ils vraiment mesuré l’importance de la formation et de la responsabilité des IPA liées à cette autonomie accordée ?

Cette loi suscite bien d’autres interrogations : comment sera-t-elle comprise par les patients ? Sauront-ils à qui s’adresser – médecin traitant ou IPA – et pour quelles demandes ? Sans pédagogie, l’appropriation de cette nouvelle offre de soins risque d’être complexe.

Et comment vont réagir les médecins ? Certains se disent déjà prêts à « déplaquer » ; la filière médecine générale à l’issue des ECN ne sera-t-elle pas moins choisie par les internes (avec, en plus, les incertitudes autour d’une quatrième année de formation) ? Si cette loi veut apporter une réponse rapide aux déserts médicaux, elle risque surtout de les étendre…

Ne faudrait-il pas plutôt faciliter la restructuration de l’offre de soins en respectant le cœur de métier des différents professionnels, diminuer le mille-feuille administratif, en améliorant les aides pour déléguer leur gestion à un personnel ad hoc, et simplifier les devoirs conventionnels ? Des bonnes idées, ceux qui œuvrent quotidiennement auprès des patients en ont beaucoup… mais les énarques qui conseillent les politiques ne savent, hélas !, faire preuve ni de pragmatisme ni d’écoute.