Population plus jeune, moindre prévalence des comorbidités liées à un mauvais pronostic de la Covid, habitude dans la gestion des épidémies ont figuré parmi les hypothèses évoquées pour expliquer que le nouveau coronavirus n’ait pas touché l’Afrique aussi durement que les continents européen ou américain. Mais à ces facteurs démographiques, épidémiologiques et sociétaux pourrait s’ajouter aussi l’existence d’un facteur biologique, à savoir la présence d’une immunité croisée qu’auraient conférée des infections plus récurrentes par d’autres coronavirus humains : cette immunité serait en effet 6 à 8 fois supérieure dans certains pays d’Afrique sub-saharienne, par rapport aux États-Unis, selon les résultats de cette étude.
Des échantillons sérologiques datant d’avant la pandémie et provenant de 289 sujets de 18 ans et plus ont été analysés grâce à des tests d’immunofluorescence à la recherche de la protéine Spike et des protéines de la nucléocapside du SARS-CoV-2 : 105 échantillons tanzaniens collectés entre mars et mai 2019 et 99 échantillons zambiens collectés entre 2017 et 2019 ont ainsi été comparés à 85 échantillons états-uniens recueillis en 2005, 2007 et 2009.
Conclusion : entre 14 et 19 % des sérums des participants africains affichaient une immunité croisée contre le SARS-CoV-2, contre 2,4 % des sérums américains. Cette immunité était principalement dirigée contre les protéines de la nucléocapside, bien plus que contre la protéine Spike, ce que les chercheurs expliquent par une très grande variabilité de celle-ci entre les différents coronavirus. Cependant, tous les échantillons africains analysées ont montré des anticorps contre la protéine Spike de 4 coronavirus responsables des rhumes communs (mais non contre ceux responsables du SRAS et du MERS). Plus précisément, il est apparu que l’antigène le plus reconnu dans ces sérums appartenait au HCoV-NL63, qui se trouve être le seul coronavirus, avec le SARS-CoV-1 et le SARS-CoV-2, à utiliser l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 comme récepteur.
Bien que la portée réelle de cette immunité croisée – la fonction de ces anticorps et le fait qu’ils protègent effectivement ou non contre l’infection par le SARS-CoV-2 ou la progression de la maladie – demeure peu claire, il s’agit d’une piste intéressante, d’autant que d’autres études ont aussi montré que l’exposition aux coronavirus responsables des rhumes suscitait aussi une immunité croisée par les cellules T contre le SARS-CoV-2.
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien