L’efficacité de filtration des masques en tissu est généralement inférieure à celle des masques médicaux, qui ont, quant à eux, une capacité filtrante inférieure par rapport aux modèles FFP2. C’est en tout cas ce que montrent les tests faits en laboratoire… Mais que disent les études cliniques ?
La démonstration de l’efficacité du port de masque sur la propagation du virus dans la population n’est pas chose aisée. La majorité des études sont observationnelles : elles ont retrouvé une transmission plus faible du SARS-CoV-2 dans les communautés où le port du masque est généralisé. Par exemple, dans une étude récente, réalisée aux États-Unis, qui reposait sur une large enquête incluant 378 207 sujets, les États américains dans lesquels un pourcentage élevé d’habitants déclaraient porter le masque avaient un taux de reproduction virale plus bas, traduisant un meilleur contrôle de l’épidémie. L’efficacité du masque est majorée par une autre mesure clé : la distanciation sociale.
Rappelons que le principal objectif de la généralisation du port du masque dans une communauté est le contrôle « à la source » (protéger les autres contre les particules émises par le porteur). Des études de modélisation mathématique ont montré que, si l’observance est élevée, des réductions, même minimes, de la transmission individuelle avec des masques et des masques « imparfaits », ont des effets importants sur la propagation virale, en particulier dans les espaces intérieurs surpeuplés. Le masque pourrait également protéger le porteur, en réduisant l’inoculum viral auquel il est exposé, conduisant ainsi à des infections légères ou asymptomatiques, mais cela reste à démontrer. Autre avantage observé : les personnes se touchent moins le nez et la bouche.
Les essais randomisés sur le sujet sont rares. La fameuse étude danoise Danmask-19 a été conçue pour examiner uniquement l’effet protecteur des masques, non le contrôle « à la source ». Au printemps 2020 (période où les masques n’étaient pas recommandés), les chercheurs ont recruté 6 024 adultes qui passaient au moins 3 heures par jour hors de chez eux, exerçant des professions qui ne nécessitaient pas de masques. Dans le groupe qui a porté le masque, après 1 mois de suivi, 1,8 % des personnes – versus 2,1 % dans le groupe témoin – ont eu une infection par le SARS-CoV-2 : le degré de protection personnelle auquel un porteur de masque peut s’attendre dans un contexte où la majorité des individus ne l’utilise pas est donc faible… ce qui confirme en effet l’utilité d’une mesure généralisée.
Y a-t-il des études cliniques comparant les différents types de masques ? Même si une méta-analyse sur des études observationnelles suggère que les modèles FFP2 protègent mieux que les masques chirurgicaux et ceux en tissus, les (rares) études randomisées qui ont comparé les masques FFP2 et chirurgicaux, chez les soignants, n’ont montré aucune différence significative dans la prévention de l’infection. « Ces résultats nous ont surpris… », nous explique le Pr Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, « mais les masques FFP2 étant inconfortables, les soignants les baissent probablement plus souvent… Dans leur utilisation quotidienne, donc, ils sont moins efficaces par rapport à ce qui a été montré en laboratoire. Au-delà de la capacité filtrante prouvée dans les tests, ce qui est important est la pratique ! À ma connaissance, il n’y a pas d’étude randomisée comparant masques chirurgicaux et en tissu… Je ne suis pas sûr que dans la pratique un masque chirurgical (mal utilisé, non changé assez fréquemment) soit plus efficace d’un bon masque en tissu avec plusieurs épaisseurs… sans parler de l’impact écologique ».
En effet, la performance d’un masque, qu’il soit porté pour protéger le porteur ou les autres, dépend de 3 paramètres : il doit avoir une bonne efficacité de filtration, bien sûr (sa capacité à bloquer toute la gamme des particules), mais aussi être bien ajusté (pour minimiser les fuites des aérosols au niveau des bords), et suffisamment confortable (permettant de bien respirer) pour être porté correctement et maintenu pendant une longue période… Si les masques en tissu ont des performances légèrement inférieures à celles des masques chirurgicaux en termes de filtration et d’étanchéité, leur utilisation n’a pas été écartée par les autorités de santé afin de privilégier l’acceptabilité d’une mesure contraignante devant être appliquée par tous, chaque jour et pour une longue durée.
La circulation de variants plus contagieux dans la population risquant d’aggraver la situation épidémiologique actuelle, le Haut Conseil de la santé publique préconise de ne porter que des masques chirurgicaux ou des masques en tissu de catégorie 1 (norme Afnor) et d’abandonner les masques artisanaux. La direction générale de la santé (DGS) ne s’est pas encore exprimée sur cet avis.
En l’absence d’études randomisées, cette nouvelle contrainte ne risquerait-elle pas d’entretenir la confusion générale, déjà induite par les discours contradictoires tenus au début de l’épidémie, et alimenter les arguments des « anti-masques » ? Sans compter l’impact économique pour les foyers qui ont déjà confectionné leurs masques en tissus ?
Selon l’Académie de médecine, « un tel changement des recommandations concernant une pratique avec laquelle l’ensemble de la population avait réussi à se familiariser risque de susciter de l’incompréhension et de raviver les doutes sur le bien-fondé des préconisations officielles ». Elle ajoute : « Le renforcement proposé par le HCSP relève d’un principe de précaution… mais il manque de preuve scientifique : variant ou non, le SARS-CoV-2 utilise les mêmes voies de transmission, avec la même aptitude à franchir les masques faciaux. L’efficacité des masques “grand public” n’a jamais été prise en défaut dès lors qu’ils sont correctement portés. »
Ne serait-il pas plus efficace de communiquer encore plus sur le bon usage du masque, qui doit être bien porté (couvrant la bouche et le nez), surtout dans les lieux clos, et dans la mesure du possible lors des réunions familiales, amicales, professionnelles ? L’étude épidémiologique ComCor, menée par l’Institut Pasteur, a montré en effet que la majorité des contaminations des Français pendant l’automne a eu lieu dans des circonstances où ils retiraient leur masque…
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien