Un an après le début de la pandémie, la prise en charge thérapeutique des patients hospitalisés pour Covid s’est améliorée et affinée. Le point avec Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat, membre de la mission COREB (coordination opérationnelle du risque épidémique et biologique).

 

Vous avez tout récemment élaboré de nouvelles recommandations à l’AP-HP sur la prise en charge des patients hospitalisés…

Oui, nous avons mis en place un groupe de travail afin d’émettre des propositions de prise en charge qui prennent en compte, bien sûr, les recommandations nationales du Haut Conseil de santé publique (fondées sur l’evidence-based medicine), mais aussi l’expérience clinique acquise depuis 1 an au lit du malade. Un ensemble de spécialistes ont participé à leur élaboration : infectiologues, anesthésistes-réanimateurs, gériatres, urgentistes, pneumologues, spécialistes des traitements anticoagulants... Elles sont mises à jour régulièrement en fonction de l’évolution des connaissances. Ces recommandations sont disponibles sur l’application « Reco Covid AP-HP » qui est téléchargeable sur les téléphones portables.

Que faut-il en retenir ?

Tout d’abord, les modalités d’administration de l’oxygénothérapie se sont nettement affinées. Que ce soit en hospitalisation conventionnelle ou en réanimation, on a essayé d’optimiser ce traitement de support, qui est parfois opérateur-dépendant, surtout dans la phase initiale de mise en route, mais aussi lors du sevrage. Il faut savoir, par exemple, que le fait de donner de l’oxygène trop longtemps sans fixer les bonnes cibles (Sp02 entre 93 et 96 % ; si BPCO : 88-92 %) peut se révéler toxique. Autre question cruciale : comment et dans quelles conditions oxygéner en service de médecine quand les réanimations sont saturées ? Pour réaliser de l’oxygénothérapie à haut débit en hospitalisation conventionnelle, il faut disposer de modalités de surveillance, donc du personnel infirmier en nombre suffisant, et le faire systématiquement en lien avec les collègues réanimateurs. L’oxygénothérapie doit donc être optimisée pour qu’elle soit un pilier de la prise en charge : on a tous beaucoup appris en oxygénothérapie dans les services Covid ! 

De même, si le traitement anticoagulant préventif a des bénéfices cliniques certains, il faut faire très attention à la dose administrée pour éviter les accidents hémorragiques notamment digestifs chez les personnes âgées fragiles (v. algorithme dans les recos, onglet « Anticoagulants »). Sur ce chapitre, on a un peu revu nos pratiques à la baisse depuis la première vague.

Et concernant la corticothérapie ?

Depuis les résultats de l’essai Recovery, la dexaméthasone 6 mg/j est prescrite chez tout patient Covid+ hospitalisé requérant une oxygénothérapie. Cependant, cette étude réalisée en urgence n’a pas pu évaluer tous les détails du traitement, et certaines questions restent en suspens : quelle dose proposer selon le poids du patient et/ou la sévérité de l’infection ? Pendant combien de temps exactement ? Quel relais oral ? De plus, Recovery n’a pas montré d’effet clinique de la dexaméthasone au-delà de 70 ans, alors que nous avons de nombreux malades hospitalisés dans cette tranche d’âge et que d’autres études de « vraie vie » (même si leur méthodologie est moins robuste) ont mis en évidence des bénéfices chez les sujets très âgés… Ainsi, les propositions de l’AP-HP permettent d’affiner un peu les modalités de prise en charge par rapport à des questions non traitées par la médecine fondée sur les preuves.

Où en est-on de l’utilisation des anticorps monoclonaux ?

La place des anticorps anti-inflammatoires, anti-IL6 par exemple, dans la prise en charge des patients Covid+ reste à préciser par les études cliniques en cours. Il semble toutefois que le tocilizumab puisse prévenir l’aggravation des patients ne répondant pas aux corticoïdes dans les 48-72 heures suivant l’instauration du traitement, en cas de persistance de la détresse respiratoire et de l’état hyperinflammatoire (hyperthermie, absence de décroissance des taux plasmatiques de la protéine C-réactive). 

Quelle est la place de la transfusion de plasma de patients convalescents ?

L’efficacité de l’administration de plasma issu de malades immunisés contre le SARS-CoV-2 varie en fonction du profil des patients. Ce traitement n’a pas d’intérêt chez les immunocompétents, mais il semble utile chez les personnes incapables de produire des anticorps, c’est-à-dire les patients profondément déplétés en lymphocytes B. Cette transfusion d’anticorps à partir de plasma de convalescents a des effets indésirables potentiels (et notamment des réactions immunes exacerbées cytotoxiques) mais aussi un risque d’échappement immunologique conduisant à la sélection potentielle de variants du virus avec développement de mutations résistantes. Ce même problème existe lors de l’utilisation d’anticorps monoclonaux neutralisant le SARS-CoV-2, comme le bamlanivimab, qui vient d’obtenir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte en France.

Que pensez-vous de ce nouveau traitement qui fait déjà polémique ?

D’une part, on peut comprendre l’urgence de cette décision politique, car il s’agit d’un traitement pour prévenir les formes graves chez les patients à risque. D’autre part, l’utilisation de cet anticorps antiviral en monothérapie est à fort risque de conduire à une sélection de variants, imposant ainsi une surveillance virologique des patients traités pendant plusieurs jours, ce qui pourrait surcharger encore plus le système hospitalier. Mais il faut souligner deux aspects positifs : c’est un traitement intéressant en cas d’infection Covid nosocomiale chez un patient à haut risque (dyalisé par exemple) déjà hospitalisé ; cette ATU nous permet de mettre en place le circuit pour l’utilisation de ces traitements, qui sera fonctionnel lorsque des bi- ou trithérapies seront disponibles, dans 2-3 semaines (moins à risque de générer une pression de sélection sur le virus).

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

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Photo : Pr Xavier Lescure (crédit : Maxime Huriez, AP-HP).