Dispositif original et innovant lors de leur création en 1999, ces maisons sont aujourd'hui un exemple intéressant de la mise en cohérence possible des besoins de santé d’une population et de l’organisation des acteurs autour de ces besoins.
Depuis plus de 15 ans, collectivement, nous nous sommes activement engagés dans la construction de nouveaux dispositifs d’accueil et de soins pour adolescents, en particulier les Maisons des adolescents (MDA). Quelque temps auparavant, au Havre, l’équipe d’Alain Fuseau ouvrait un tel lieu, avec pour principe de prendre en charge les adolescents dans toutes leurs dimensions pédopsychiatriques, somatiques, psychologiques, scolaires, éducatives, sociales…

Création de la première Maison des adolescents

En 1999, au Havre, le constat était de trois ordres :
– les adolescents en souffrance psychique ne disposent pas de lieux dédiés pour se faire accompagner dans leur mal-être ; l’organisation sectorielle de la psychiatrie est inadaptée à cette population, la segmentation entre les différents secteurs concernés (social, judiciaire, sanitaire, médico-social) rend complexe, pour ne pas dire impossible, un accompagnement cohérent de ces adolescents ;
– cette segmentation conduit au nomadisme médical de ces adolescents. Dans la réalité, la majorité des professionnels les connaissent, mais aucun lieu spécifique ne leur est consacré ; ils errent de services d’urgence en centres sociaux, de l’aide sociale au juge pour enfants, sans jamais pouvoir bénéficier d’un accompagnement global ;
– les troubles de ces adolescents sont de multiples ordres, et en particulier, sur le plan sanitaire, l’intrication des dimensions somatiques et psychiques est importante, sans là encore que les professionnels aient la possibilité de se croiser et de penser ensemble l’adolescent.
Sur ces constats, la MDA havraise s’installe en centre-ville, facilitant ainsi son accessibilité. Elle prend pour nom la « Maison des adolescents » signifiant ainsi que c’est d’abord la période de vie qui y sera prise en compte davantage que tel ou tel symptôme.
Bénéficiant d'une envergure suffisante, grâce à un portage hospitalier fort, elle accueille rapidement de nombreux adolescents, et le succès, 20 ans plus tard, ne s’est toujours pas démenti.

Principes fondateurs

À partir de ces premiers constats s’élaborent les principes fondateurs des MDA, notamment l’idée principale de développer au sein de ces maisons une culture globale partagée par des acteurs de l’adolescence d’horizons divers (une pluridisci­plinarité inscrite dans une pluri-­institutionnalité).
Ces principes fondateurs se résument ainsi :
– accueil et accompagnement inconditionnel des jeunes de 11 à 21 ans, parfois 25, des familles et des pro­fessionnels ;
– adaptation au territoire, à l’évo­lution des symptomatologies, aux créativités adolescentes… ;
– coordination des parcours et du réseau des acteurs.
L’accueil global, sans conditions, gratuit, confidentiel, voire anonyme, de tous les adolescents en souffrance psychique et/ou somatique, offre une écoute, une évaluation de leurs difficultés et, surtout, dans un continuum de soins, propose si nécessaire une articulation efficiente avec les soins (dans l’idéal au sein de la MDA) mais aussi avec le scolaire et l’apprentissage, l’éducatif et le social, le judiciaire…
Les adolescents viennent seuls ou accompagnés par leurs parents, par l’école, ou par un pair... Il s’agit d’accueillir chacun et tous, d’être hospitalier pour les adolescents, de leur offrir un accueil bienveillant et actif ; accueillir mais aussi accompagner, conseiller en interne ou bien orienter vers les lieux ad hoc (planning familial, service d’addictologie, dispositif d’aide à la scolarité, mission locale, points d’accès aux droits parfois installés dans la MDA…).
La notion de dispositif intégré (ou adossé) et particulièrement intégré aux soins est un élément capital et structurant pour les MDA ; celles-ci ne peuvent s’y soustraire, soit en accueillant dans leurs murs les ­partenaires de soins nécessaires, soit en assurant une articulation opérationnelle avec eux.
Après le premier temps de l’accueil, de l’évaluation, de l’orientation en MDA, le deuxième temps peut être celui de la consultation individuelle et/ou familiale. En fonction des MDA, diverses consultations ont pu s’y développer, pédiatriques, gynécologiques, diététiques, sociales, psychologiques, psychiatriques mais aussi transculturelles pour les enfants de migrants, ou des consultations d’adoption, pour les mineurs étrangers isolés…

En fonction des besoins et du contexte

D’autres propositions peuvent être développées, notamment pour prendre en compte la créativité artistique des adolescents et accéder à ce qui est propre à cette période de la vie, le besoin de chercher son être par toutes les voies possibles. L’art est un média privilégié, d’où des ateliers, des groupes d’expression, musique, radio, slam, danse, écriture, cuisine, lecture philosophique, mode, vêtements ou encore théâtre mais aussi les modes de réappropriation de soi que sont le sport ou l’esthétique... Au-delà de cette créativité qui vaut pour elle-même, les soins par l’intermédiaire d’ateliers thérapeutiques ou d’ateliers d’expression permettent à l’adolescent de trouver d’autres voies de récit, d’engagement et d’interactions avec les autres.
Ces espaces de rencontre nous permettent d’apprendre d’eux aussi, de se laisser affecter par eux et par leurs parents qui ont un « métier » difficile, celui d’être parents d’ados, une nouvelle étape de la vie familiale à inventer, parfois dans le doute et la souffrance. Et parce cela ne va pas de soi, et que l’essentiel n’est pas déjà joué, les MDA font une grande place aux parents et à leurs doutes et questions.
Ainsi se sont développés également au sein des MDA des groupes de parole destinés aux parents d’adolescents en souffrance, aux frères et sœurs, de même qu’aux patients ayant des pathologies somatiques ou des pathologies chroniques…
Enfin vient la possibilité d’une hospitalisation à temps partiel, et certaines MDA ont des lits d’hospitalisation (Solenn, Paris, Caen…).

des maisons adaptées à chaque territoire

Les MDA sont profondément hétérogènes par la composition de leurs équipes et de leurs propositions parce qu’elles s’adaptent au territoire et au contexte dans lequel elles naissent et se négocient. Il y a bien un art de la négociation au sein des MDA pour qu’elles trouvent leur place dans un contexte où on ne sait jamais où mettre les adolescents : du côté des enfants, du côté des jeunes adultes, du côté du social, de l’éducatif... Qui doit alors s’en occuper et qui va donner les budgets pour le faire ? Ainsi, une politique publique partagée préside aux MDA, avec des décideurs de niveau national, régional, départemental et infradépartemental. ­Ainsi, tant de choses à négocier à ­Paris, Bobigny, Pontoise, Colombes, Nantes, dans l’est du Val-d’Oise, à Saint-Denis, dans le 92, le 78, à Tulle ou à Brive… ont conduit à une grande diversité et créativité de ces dispositifs ouverts sur la ville et la campagne et pluridisciplinaires au service des adolescents et de leur entourage, familial et professionnel.
Pour ces derniers, il s’agit de réunir tous ceux qui vivent avec ces adolescents en souffrance, qui les éduquent, qui les soignent quand c’est nécessaire et qui, tous, se soucient d’eux. Il s’agit de relever le défi collectif de mieux coordonner les parcours de soins, de confronter les regards, de mieux comprendre leurs besoins et d’anticiper les nouvelles demandes.
Les MDA sont en position de « tête de réseau », de coordination des acteurs territoriaux autour des adolescents. D’ailleurs, certaines sont d’abord des réseaux et elles n’ont ni toit ni lieu.
Elles sont aujourd’hui le siège d’un certain nombre de dispositifs reconnus : commission des cas difficiles ou complexes, véritables réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) sur l’adolescence, espaces ­ressources, espace de sensibilisation-formation aux problématiques adolescentes contemporaines.
En observant le terrain et en y conviant professionnels et experts, ce travail de réseau cherche à tirer des leçons pour agir et se souvenir qu’à l’adolescence tout est possible, tout est encore possible ; qu’il est nécessaire de ne pas renoncer à éduquer, à comprendre la souffrance, ne pas renoncer à consoler, soigner, ne pas renoncer à protéger et particulièrement collectivement. Les adolescents ont le droit à une première mais aussi une deuxième chance et davantage, chaque fois que nécessaire.

Développement national

Pour passer d’une expérience locale à un dispositif national, cette initiative devait être repérée, et encouragée par un plan de développement. En 2000, dès son premier rapport, Claire Brisset, première défenseure des ­enfants, pointe la charge importante qui pèse sur la psychiatrie infanto-­juvénile du fait que « la notion de ­souffrance psychique étant à présent reconnue, la demande de soins s’est accrue ». Rappelant le rapport sur la souffrance psychique chez les ado­lescents et les jeunes adultes du Haut Conseil de santé publique (HCSP), elle souligne les interventions trop tardives des professionnels de santé. Elle en fait l’un de ses axes de travail, repérera et promouvra la MDA du Havre dans son deuxième rapport ­annuel,1 puis dans son rapport2 2002 intitulé Les Maisons des adolescents, pourquoi ? comment ? elle propose la création d’une MDA par département.
En parallèle, sous l’égide de Mme Bernadette Chirac, la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France cherche à créer à Paris un dispositif original pour venir en aide aux adolescents en souffrance. Elle s’associe le concours de Marcel Rufo, alors universitaire marseillais, qui accepte, pour quelques années, de s’investir dans ce projet. Leur action combinée, celle du politique et du professionnel, conduira à l’ouverture fin 2004 de la Maison des adolescents de Paris, dite Maison de Solenn.
Entre ces deux dates, le modèle a déjà diffusé sur le territoire national, et des MDA naissent à Marseille, Bobigny, Valence, etc. C’est donc bien à un phénomène nouveau auquel on assiste : sur le terrain, la prise en charge de l’adolescent en souffrance psychique se décloisonne, et sur le plan politique, elle devient rapidement une priorité nationale. C’est ainsi qu’en 2004 le Premier ministre réunit la Conférence nationale de la famille3 sous l’égide de M. Rufo et lui donne pour thème «Les adolescents ». Cette conférence aboutit à la première circulaire sur les MDA.4 Elle annexe le premier cahier des charges qui définit les missions de ces maisons, et en premier lieu celle d’« apporter une réponse de santé et plus largement prendre soin des adolescents en leur offrant les prestations les mieux adaptées à leurs besoins et attentes, qui ne sont pas actuellement prises en charge dans le dispositif traditionnel ».
Surtout, un plan quinquennal prévoit la création d’au moins une maison des adolescents par département et son financement par un budget dédié de 5 millions d’euros par an pendant 5 ans. De 2005 à 2010, près d’une cinquantaine de MDA voient le jour.

Évaluation de ces structures, apports pour le bien-être des adolescents

Fort de ces premières expériences, en 2013, les MDA sont une centaine sur le territoire national, et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait un rapport intitulé « Évaluation de la mise en place du dispositif “ Maison des adolescents ” ».5
Dans sa synthèse (p. 3 à 5), le rapport souligne que « les MDA répondent à des attentes d’adolescents, de jeunes, de leurs parents et de nombreux professionnels en relation avec eux… Une MDA complète l’offre existante et permet de répondre à de nombreux besoins ». Elles ont su « construire des partenariats multiples et pluri­disciplinaires articulés autour de ce dispositif ».
Au-delà de leur accueil des jeunes et des familles, le travail avec de nombreux partenaires dans une fonction de coordination des parcours est reconnu, en particulier « leur capacité à rassembler des expertises pour ­établir un diagnostic et proposer une prise en charge, notamment sur les situations complexes », et rassure les équipes de ces structures.
Adapté au territoire, à l’existant et au service des jeunes, des familles et des partenaires de l’adolescence, « le cadre de fonctionnement des MDA a servi leur développement… ». Malgré leur hétérogénéité, le rapport souligne « une efficience objectivée et une efficacité reconnue par tous » qui assure une reconnaissance et donne une légitimité aux MDA comme « tête de réseau » des acteurs de l’adolescence de son territoire d’intervention.
Le rapport souligne également qu’« aucune organisation ne peut se substituer au dispositif MDA. En outre, la comparaison entre les coûts que les interventions d’une MDA ­permettent d’éviter et les dépenses ­(relativement faibles) d’une MDA démontre aussi l’efficacité d’une MDA. »
Une nouvelle étape devra favoriser l’accessibilité aux jeunes des milieux ruraux, mieux prendre en compte les situations complexes et les situations familiales. Il est souligné aussi que « ce dispositif reconnu et utile mais fragile financièrement aura besoin d’être aussi plus généralement soutenu par les collectivités territoriales, en particulier les départements, compte tenu de leur compétence en matière de protection de l’enfance. »
Fin 2014 se met en place une réflexion interministérielle qui conduit à la nouvelle circulaire et au nouveau cahier des charges de 2016 et à l’émergence des MDA dites de deuxième génération. Parallèlement, le président de la République, François Hollande, confie une mission à Marie-­Rose Moro,6 et à Jean-Louis Brison, inspecteur d’Académie, pour « mieux organiser la détection précoce des signes de mal-être ou de souffrance aux différents âges de la jeunesse… [et de] mieux orienter les jeunes concernés vers des professionnels compétents et de mieux appuyer les personnels du milieu scolaire ou universitaire confrontés à ces situations. Il s’agit enfin d’améliorer les différentes modalités de soutien et de prise en charge pour contribuer au mieux-être des jeunes »7.
Accompagnée par l’Association na­tionale Maisons des adolescents (ANMDA), cette mission conduit à un rapport intitulé « Mission Bien-être et santé des jeunes »8 et à un plan d’action gouvernemental portant le même titre. Ils ont fait l’objet d’une présentation conjointe au président de la République le 29 novembre 2016, en présence des quatre ministres concernés par les questions de jeunesse (Santé, Éducation nationale, Enfance-Famille et Jeunesse), des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), des recteurs et anecdotiquement des membres du conseil d’administration de l’ANMDA et des associations nationales partenaires (Association nationale des points accueil-écoute jeunes [ANPAEJ], Fédération des ESJ (Espace santé jeunes), Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs [FNEPE], Fil santé jeunes…).
La veille de cette remise, une cir­culaire interministérielle est signée par le Premier ministre et souligne la volonté de confier aux MDA le rôle d’interface, de pivot entre les lieux de dépistage précoce des premières difficultés présentées par les ado­lescents (dans les établissements ­scolaires en priorité) et les services de soins dès lors que ceux-ci s’avèrent nécessaire.
Le rapport souligne un contexte actuel complexe pour l’épanouissement des jeunes où « promettre des réussites individuelles n’est pas suffisant car ces réussites sont en trompe l’œil, désirables par tous et accessibles à certains seulement. L’échec, la disqualification et le mal-être accompagnent les autres. À ce mal-être des élèves répond celui de leurs éducateurs » (Moro-Brison, p. 7).

Un nouveau cahier des charges

Le nouveau cahier des charges conforte les missions des MDA pour :
– être promotrice de la santé et du bien-être des jeunes ;
– être « tête de réseau » de tous les ­acteurs de l’adolescence ;
– proposer des accompagnants et des prises en charge pluridisciplinaires de courte durée ;
– être en soutien aux parents ;
– être accessible à tous par un maillage territorial adapté ;
– veiller aux situations complexes et aux problématiques émergentes (radicalisation, transidentité…).

Une politique publique partagée

La dimension de politique publique partagée est affirmée car les besoins des adolescents et de leurs territoires de vie et les manières d’y répondre ne peuvent être les mêmes à Nantes, Paris, Tulle ou au Havre. La proximité, l’aller vers est bien plus essentiel dans un territoire rural que dans un territoire urbain. L’analyse préalable des besoins des adolescents et de leurs difficultés à accéder aux soins, qu’elles soient psychiques ou simplement liées aux problématiques de transport, est essentielle.
Ainsi naissent les MDA des villes ou les MDA des champs (v. encadré). Certaines seront importantes, d’autres modestes, très cliniques ou très sociales et éducatives, plus psychiatriques ou plus somatiques ; certaines seront très mobiles et d’autres moins, certaines devront créer des antennes, ou d’autres se multiplier sur un même département… mais toutes auront cette extrême fluidité et adaptabilité qui les caractérisent, comme un adolescent qui va bien…

Les MDA en France aujourd’hui et leur avenir

Une MDA se pense, se construit, s’élabore avec les acteurs du territoire et prend du temps. Certaines ont cru pouvoir s’abstenir de ce temps d’intention partagée entre acteurs politiques pour se mettre d’accord sur les missions et la gouvernance et techniques pour sa bonne organisation. Elles ont parfois dû fermer, certes pour mieux renaître ensuite mais dans des conditions différentes, avec un véritable portage territorial, des acteurs engagés et une structuration adaptée aux besoins locaux.
Après 20 années de construction, de cheminement et d’adaptation, aidées et soutenues par l’ANMDA,9 sa charte, ses guides pratiques et ses journées d’étude, les MDA sont maintenant 115 (plus 7 en construction), réparties sur tout le territoire, y compris ses zones ultramarines.
Mais la jeunesse ne s’apaise pourtant pas tout à fait, dans la mesure où le rôle des MDA est de rencontrer les adolescents qui sans cesse réinvente les problématiques adolescentes.
Il s’agit de toujours s’adapter pour parvenir à éviter les bascules dans la pathologie installée, la survenue d’actes à séquelles irréversibles, les décrochages du groupe et ainsi accompagner cette période de la vie, sans étouffer sa créativité. La pratique d’accueil en MDA a montré une efficacité et une solidité dans la durée et avec un taux de réadressage faible. C’est probablement la réussite la plus spectaculaire de ces dispositifs qui parviennent à éviter les listes d’attente et à limiter le renvoi des ­adolescents vers d’autres dispositifs saturés, en traitant la situation en interne ou de façon conjointe avec des partenaires extérieurs.
Il s’agit d’être un lieu pour que nul ne puisse ignorer où s’adresser quand on est un adolescent en détresse ; un lieu de rencontres et d’élaboration d’un projet adapté pour chaque adolescent qui s’y rend ; un lieu pour inventer, innover, imaginer des manières de soigner qui s’adaptent aux adolescents et à leur temporalité, à leur subjectivité aussi, quand faire des psychothérapies à l’adolescence sans prendre en compte ces caractéristiques intimes des adolescents et de leurs liens à l’autre est peine perdue.
Il s’agit également d’être une ressource pour tous, un espace pour ­réfléchir collectivement aux actions à engager en commun pour fortifier le travail de ces MDA dans toutes ses composantes : accueil, soins, réseaux, formation ou recherche.
Leur « spécialité » est donc de savoir à la fois accueillir l’adolescent tel qu’il se présente, de proposer des suivis multidisciplinaires concomitants et de coordonner les acteurs impliqués. Elles traitent en zone d’incertitude diagnostique et pronostique, et ensemble les dimensions mentale, somatique et sociale peu dissociées à l’adolescence. Elles doivent maintenir « le bon dosage médical », avec une implication de psychiatrie et de médecine somatique, quelles qu’en soient les modalités : direction, inclusion ou simple adossement à un secteur, coordination médicale, consultants… Cette double implication solide permet que les MDA puissent s’avancer vers des situations incertaines, potentiellement graves médicalement.
Certains y voient même un modèle extensible à l’ensemble de la pédo­psychiatrie, c’est-à-dire un accueil facilité, sans rendez-vous, pour les Centres médico-psychologiques quel que soit l’âge.10
La dimension de santé et de santé mentale, en leur sens actuel de bien-être, reste la principale raison de l’existence des MDA qui émargent au sein des ARS dans cette catégorie administrative en même temps que dans la prévention.
Les MDA sont également articulées avec les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et bénéficient majoritairement de finan­cements des conseils départementaux, et beaucoup accueillent dans leurs équipes des éducateurs de la PJJ.
Les problématiques de santé mentale des adolescents placés sont un enjeu majeur pour l’ASE, et très souvent source de mésentente entre services sociaux et médicaux. Se prévaloir d’une position de coordination de réseau nécessite une légitimité qui s’est acquise en étant impliqué auprès des situations les plus difficiles.
La collaboration avec les médecins généralistes et la santé scolaire est souvent initiée mais encore insuf­fisamment formalisée. Les résultats de l’expérimentation « Écout’Émoi » en cours, évaluant l’efficacité de la collaboration entre psychologues ­libéraux, médecins généralistes, de santé scolaire et MDA, seront déterminants pour l’avenir des soins en « santé de ville » à l’adolescence.
Enfin, installer durablement une dynamique de recherche scientifique au sein des MDA est une prochaine étape significative. Leur place et leur facilité d’accès les exposent à rencontrer précocement les nouveaux phénomènes comportementaux ou sociétaux (radicalisation, numérisme, identité de genre…), mais aussi des pathologies débutantes ne se rendant nulle part ailleurs, et notamment pas en psychiatrie. Des dépistages précoces de troubles émergents, par exemple, peuvent utilement trouver place en MDA. Mais le maniement de telles démarches demande de nombreuses précautions et réflexions, incluant la recherche scientifique (clinique, épidémiologique, sociologique…). Les MDA ont déjà participé ou été l’objet de nombreux projets de recherche et de publications scientifique, en lien étroit avec des universités ou des centres hospitaliers universitaires.

Solidité et liberté

Les MDA suivent les adolescents. Cette poursuite bienveillante, parfois sous forme de course, est le fondement de la vivacité des MDA. Tant qu’elles s’intéressent avec authenticité, engagement et intensité au phénomène adolescent, elles ne pourront se figer, s’enliser, car sa dynamique n’est pas vraiment attrapable ni réductible… et ne doit pas l’être.
Les MDA doivent continuer à s’adapter, à inventer, à expérimenter. C’est un défi que les MDA ont à relever. Il est dans leur ADN, et ce défi collectif, comme tous les grands défis, change les manières de penser et de faire de tous.
Prises dans un paradoxe proche de celui de l’adolescence, les MDA doivent également être solides, savoir contrôler sans perdre liberté et créativité. Solidité et liberté sont toutes les deux nécessaires aux MDA pour qu’elles poursuivent assez sereinement leur chemin. 
Encadre

un exemple : Une MDA urbaine et rurale à la fois…

En Loire-Atlantique, le projet d’ouverture d’une Maison des adolescents (MDA) s’est concrétisé par la mise en place d’un comité de pilotage pendant plus d’une année. Sous l’impulsion de personnalités politiques nantaises légitimes à fédérer à la fois les acteurs des politiques publiques locales, départementales et régionales, et les acteurs techniques de l’adolescence, une intention partagée a permis d’une part de penser cette MDA à partir des fondements initiés par le rapport de la défenseure des enfants et d’autre part d’associer les partenaires utiles aux projets d’accompagnements des adolescents dans les dimensions sociales, familiales, scolaires et de santé. Pour mettre en œuvre cette politique publique partagée, le modèle de gouvernance choisi est un « groupement d’intérêt public » permettant une implication forte et durable des différentes collectivités, notamment du département qui le préside.

Le premier site s’est donc ouvert en 2007 en centre-ville de Nantes pour favoriser l’accessibilité du plus grand nombre de jeunes et de parents... de l’agglomération nantaise. La dimension clinique y est garantie par la présence de médecins du CHU de Nantes, pédiatre et psychiatre, la dimension scolaire par un infirmier de l’Éducation nationale, la dimension sociale par des moyens du Conseil général, la dimension familiale par la Caisse d’allocations familiales…

Très vite, la notion de « tête de réseau » nous a conduit à proposer des actions de sensibilisation aux pratiques et problématiques adolescentes contemporaines sur l’ensemble du département. Nous avons ainsi réalisé, avec l’Observatoire régional de la santé, des diagnostics dans cinq territoires infradépartementaux pour comprendre le plus objectivement possible la santé des adolescents de ces territoires. Nous avons aussi organisé des soirées à thèmes avec des conférenciers locaux mais aussi d’audience nationale.

Lors de ces rencontres, la nécessité de rendre accessible une proposition de type MDA s’est discutée, notamment avec les acteurs politiques locaux des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour prendre en compte le fait que le département est le territoire de projet de la MDA là où l’EPCI est le territoire d’action…

Une première antenne s’est ainsi ouverte en 2010, pour l’ouest du département, puis une deuxième en 2013, pour le nord, pour finir par couvrir l’ensemble du département en 2016 par une troisième antenne pour le sud.

Ces trois antennes ont des équipes dédiées et impliquées dans le territoire concerné pour ne pas prendre le risque d’interventions déconnectées des réalités du terrain et du réseau de partenaires.

La première antenne s’est créée à Saint-Nazaire, avec un bassin de population permettant une ouverture en accès libre (doublé aujourd’hui d’accueil sur rendez-vous sur certaines intercommunalités). Pour mettre en œuvre ce que nous appelons la clinique de réseau, nous y avons créé les groupes-ressources.

Ainsi, les deux autres antennes, en milieu rural, se sont organisées d’emblée sur ces deux propositions, un accueil sur rendez-vous hebdomadaire et un groupe-ressource pour chaque EPCI.

Le groupe-ressource est une proposition faite aux structures de l’adolescence de l’EPCI des différents champs du social, du soin, de l’animation, de l’enseignement… de constituer un « groupe ressource » formé aux problématiques adolescentes contemporaines et au travail de réseau. Il est ensuite disponible pour étudier des situations présentées à ce groupe par des acteurs de l’adolescence du territoire. Le double objectif est de « prendre soin » des acteurs de l’adolescence en difficulté pour comprendre cet adolescent et de connaître les dispositifs du territoire qui pourraient prendre part avec eux au suivi, à l’accompagnement, à la prise en charge de ce jeune.

Enfin, sur chacune de nos antennes, des groupes de réflexion sont animés par nos coordinateurs pour co-construire des actions de sensibilisation/formation aux problématiques adolescentes émergentes et/ou aux difficultés propres au territoire lui-même.

Cette triple activité en MDA, de soins, de clinique de réseau et d’animation de réseau, garantit à chacun des publics visés (jeunes, familles, professionnels), en milieu urbain comme en territoire rural, de disposer de l’espace de prise en compte, de soutien, d’accompagnement et de soins dont chacun a besoin pour l’amélioration de son bien-être ou de son exercice professionnel.

Encadre

Les maisons des adolescents en France

En 2019, le réseau des Maisons des adolescents comptait :

– 115 MDA en activité ;

– 7 MDA en projet ou en cours de restructuration ;

– 1 département métropolitain non couvert.

Une enquête menée par l’Association nationale des maisons des adolescents sur l’ensemble du territoire national (métropole et outre-mer) a montré qu’en 2017 plus de 85 000 jeunes ont été accompagnés par le réseau des MDA ; 70 % étaient de nouveaux patients (contre 64 % en 2014).

En moyenne, les MDA accompagnent 750 situations.

Pour 84 MDA, un premier accueil rapide a été possible en moins de 48 heures dans 79 % des cas, et un premier rendez-vous en moins de 2 semaines dans 74 % des cas, et 52 % des situations ont été suivies par plusieurs professionnels à la fois.

Références
1. Brisset C. Rapport au président de la République et au Parlement : année 2001 : une voix pour des droits. Paris : La Documentation française, année.
2. Brisset C. Rapport annuel du défenseur des enfants au président de la République et au Parlement. Paris : La Documentation française, 2002.
3. Rufo M, Joyeux M. Santé, adolescence et familles : rapport préparatoire à la Conférence de la famille. Paris : ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, ministère de la Famille, 2004.
4. Lettre circulaire CAB /FC/D/12871 du 4 janvier 2005 du ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille.
5. Amara F, Naves P. Évaluation du dispositif « Maison des adolescents ». Rapport Igas, RM2013-142P, octobre 2013.
6. Présidente du conseil scientifique de l’ANMDA depuis sa création en 2008.
7. Lettre de mission du président de la République.
8. Ce rapport a fait l’objet d’une publication. Moro MR, Brison JL. Pour le bien-être et la santé des jeunes. Paris : Odile Jacob, 2019:184.
9. Créée à Caen en 2008, elle réunit aujourd’hui plus des deux tiers des MDA. Pour tout contact, gaellepaupe@anmda.fr
10. https://sfpeada.fr/projet-pour-le-cmp-de-demain/

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Résumé

Elles sont nées du constat que beaucoup de dispositifs sont dédiés aux adolescents et à leur famille mais qu’ils sont trop souvent peu connus et mal articulés entre eux. Pour les rendre plus accessibles, Claire Brisset, défenseure des enfants, préconise la création d’un dispositif faisant fonction de porte d’entrée unique pour les jeunes et les familles, s’inspirant de l’expérience havraise d’une maison de l’adolescent ouverte dès 1999. En plus de cette mission d’accueil, d’évaluation, d’accompagnement, de soins et d’orientation, elle propose également de leur confier la mission de coordonner les acteurs de l’adolescence de leur territoire d’intervention. Près de 120 MDA existent aujourd’hui. Elles déploient leurs missions sur l’ensemble du territoire national et ultra-marin, avec une vocation à prévenir les mal-être adolescents partout et pour tous, en milieu urbain comme en milieu rural. Si du chemin a été fait depuis la création de la première au Havre en 1999, il reste à bien couvrir l’ensemble des territoires d’action de ces MDA et à les doter à la mesure de la belle ambition d’améliorer le bien-être de la jeunesse de France…