En portant atteinte à la qualité de vie, les nuisances sonores de voisinage représentent aujourd’hui une préoccupation sociétale majeure ainsi qu’un problème de santé publique en raison de leurs répercussions sanitaires, socio-comportementales et économiques. Ceci explique que ce type de nuisances fasse l’objet d’une abondante réglementation.

Le bruit des autres

Le code de santé publique distingue trois catégories de bruits de voisinage :
– ceux liés au comportement désinvolte d’une personne, d’une chose dont elle a la garde (instruments de bricolage et de jardinage) ou d’un animal placé sous sa responsabilité ;
– ceux liés aux activités (ateliers artisanaux, commerces, secteur tertiaire, manifestations culturelles, de loisirs ou sportives, etc.) ;
– ceux provenant de chantiers.1
La définition de leurs critères de nuisance n’est néanmoins pas aisée.
Sur le plan qualitatif, l’article R1334 du code de la santé publique dispose qu’aucun bruit de comportement « ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé… ».
Sur le plan quantitatif, les bruits de comportement étant en règle de faible intensité, les critères reposent sur la notion d’émergence, définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant incluant le bruit en cause, et celui du seul bruit ambiant. Les valeurs limites sont de 5 dB(A)* de jour et de 3 dB(A) de nuit (de 22 h à 7 h). Dans certains cas, c’est l’émergence spectrale qui est mesurée dans la bande d’octave d’un bruit particulier avec des valeurs limites de 5 ou 7 dB(A) selon les bandes d’octave considérées.
Il convient de souligner qu’il s’agit donc d’une réglementation a contrario, qui exclut « les bruits générés par des infrastructures de transports terrestres et les véhicules qui y circulent, les bruits provenant des aéronefs, les bruits des installations classées pour la protection de l’environnement, les bruits des activités et installations particulières de la Défense nationale, les bruits perçus à l’intérieur des mines et carrières et les bruits perçus sur les lieux de travail ».

Le viol du Moi

La gêne engendrée par les bruits de voisinage relève de mécanismes non seulement physiologiques mais aussi et avant tout psychologiques, perceptifs et cognitifs. Elle dépend, en effet, certes de la perturbation elle-même, de son intensité et de son imprévisibilité mais aussi du sentiment ressenti à l’égard de la personne ou de l’activité à l’origine de la nuisance. Pour tout individu, l’habitat est un espace-refuge le protégeant des intrusions extérieures mais disparaissant dès que font effraction des stimuli parasites, nécessairement ressentis comme une violation de l’intimité. Le voisin, invisible dans un immeuble collectif, devient psychologiquement un « alter ego » non choisi, imposé, et donc potentiellement agresseur.1-3 Cette gêne provoque trois types de conséquences.

Conséquences sanitaires

Il existe des manifestations auditives (acouphènes, fati­gue auditive ou surdité), végétatives cardiovasculaires (hypertension artérielle ou maladies cardiaques ischémiques), endocriniennes (augmentation de la sécrétion des catécholamines et du cortisol), voire immunitaires, qui peuvent être rares ou discutées. Plus fréquemment, on observe des troubles du sommeil (latence de l’endormissement, diminution de la durée totale et fragmentation du sommeil, réveils nocturnes) entraînant somnolence diurne, diminution de la vigilance, irritabilité, anxiété, fatigue chronique, stress, dépression, voire, dans les cas extrêmes, hospitalisation en service de psychiatrie, avec augmentation des consultations médicales, de la consommation de médicaments, et plus globalement des dépenses de santé.1,4,5

Conséquences socio-comportementales

Elles se traduisent surtout par une modification sensible des attitudes et du comportement social (diminution de la sensibilité et de l’intérêt pour autrui, accroissement de l’agressivité chez les personnes prédisposées à ce travers). Différents questionnaires ont permis d’établir les conséquences sur certaines activités spécifiques et sur les performances cognitives (défaut de compréhension, difficultés de concentration, diminution des capacités de réalisation des tâches complexes, baisse des performances professionnelles, dégradation des apprentissages scolaires).

Conséquences économiques

Pour ceux qui en souffrent, les conséquences économiques sont loin d’être négligeables : accidents ou arrêts de travail, déménagement, désertion des centres-villes, dépréciation immobilière, etc.1,6,7 Ces conséquences sont d’autant plus marquées qu’elles concernent en règle générale des ménages aux faibles revenus et aux situations sociales précaires.

Force de loi

Dans la genèse des nuisances sonores, la qualité des constructions joue bien sûr un rôle primordial. Il existe en effet un lien parfaitement établi entre gêne ressentie et mauvaises conditions de logement. Réglementations et obligations concernant l’isolation phonique sont donc nombreuses. La gêne est souvent plus grande dans les habitats collectifs : fenêtres mal posées, coffres de volets roulants non isolés, absence de double vitrage, façade non isolée. Pourtant, il y a obligation de résultats avec sanctions contre le constructeur en cas de non-conformité en matière d’isolation acoustique.11
Mais, outre ces aspects techniques, il semble utile pour le médecin consulté de connaître les réglementations lui permettant, une fois innocentée l’oreille interne, de conseiller utilement son patient.8
La première démarche de ce dernier doit être amiable :9 contact et discussion avec le voisin responsable du bruit dit de « comportement », puis lettre recommandée rappelant la démarche précédente ainsi que la réglementation. La deuxième est administrative, effectuée auprès du maire, qui est aujourd’hui l’acteur principal de la lutte contre le bruit.10 Garant de la tranquillité publique, il doit, en effet, mettre en œuvre toutes les mesures appropriées pour assurer le bien-être de ses administrés et commanditer le constat de nuisance.1,11-13 Celui-ci est réalisé par les agents agréés (officier ou agent de police judiciaire, inspecteur de salubrité et agent agréé et assermenté des collectivités territoriales, gendarmerie ou police nationale ou municipale, gardes champêtres). En pratique, ils établissent chez le plaignant la réalité des bruits domestiques ou de comportement sur les critères de durée, d’intensité ou de répétition, sans mesures acoustiques (à noter que le tapage nocturne ou diurne relève du code pénal) ; celle des bruits d’activité sur des mesures sonométriques durant au minimum trente minutes ;1,14 et celle des bruits de chantiers non par leurs niveaux sonores mais par le non-respect des conditions de réalisation de travaux (horaires, par exemple) ou d’utilisation et d’exploitation de matériels ou d’équipements, et par la non-prise de précautions appropriées pour limiter le bruit.
Une fois le procès-verbal établi en bonne et due forme, des sanctions sont théoriquement prévues : contraventions de troisième classe (450 euros au plus) et paiement de dommages et intérêts si le plaignant se porte partie civile pour les bruits de comportement ; contraventions de cinquième classe (1 500 euros au plus) pour les bruits d’activités ou de chantiers. Cette amende est aggravée en cas de récidive, ce qui implique une inscription au casier judiciaire. La réglementation prévoit la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, et des sanctions pour les personnes morales. L’ultime démarche est la procédure judiciaire, pratiquement toujours civile, et souvent classée sans suite…

Sonophobie sociétale

Aussi anecdotiques que puissent paraître nombre de plaintes dénonçant les nuisances sonores de voisinage, celles-ci ont de réelles répercussions sanitaires, socio-­comportementales et économiques. Outre l’approche essentiellement psychologique des plaignants, il revient au praticien d’expliquer l’importance de la médiation et d’alerter au besoin les services communaux d’hygiène et de santé. 
* L’intensité des sons est exprimée en décibels (dB) dans une échelle allant de 0 dB(A), seuil de l’audition humaine, à environ 120 dB(A), limite supérieure des bruits usuels de notre environnement. Le dB est une unité de grandeur sans dimension, définie comme dix fois le logarithme décimal du rapport entre deux puissances. Dans le domaine de l’acoustique environnementale, on exprime généralement le niveau sonore en décibels pondérés A ou dB(A). https://www.bruitparif.fr/mesure-de-bruit-et-perception/
Références
1. Legent François. Les nuisances sonores de voisinage dans l’habitat : analyse et maîtrise. Bull Acad Natle Med 2012;196:1173-5.
2. Impacts sanitaires du bruit. État des lieux Indicateurs bruit-santé. Ed. Agence française de sécurité sanitaire environnementale, Maisons-Alfort, 2004,304 p.
3. Grange D, Chatignoux E, Gremy I. Perceptions and attitudes regarding noise in urban areas: The example of the Ile-de-France region. Santé Publique 2010;22(5):505-16.
4. Pelgrims I, Devleesschauwer B, Guyot M, Keune H, Nawrot TS, Remmen R, et al. Association between urban environment and mental health in Brussels, Belgium. BMC Public Health 2021;21(1):635.
5. Zock JP, Verheij R, Helbich M, Volker B, Spreeuwenberg P, Strak M, et al. The impact of social capital, land use, air pollution and noise on individual morbidity in Dutch neighbourhoods. Environ Int 2018121:453-60.
6. Cohen S, Spacapan S. The social psychology of noise in Jones DM, Capman AJ (eds). Noise and Society, New York, Wiley, 1984:221-45.
7. Les Français et les nuisances sonores. Étude TNS-Sofres publiée en juin 2010. https://vu.fr/ScBW
8. Ritter Ph. Des solutions pour vivre mieux. Groupe de travail sur les difficultés d’application de la réglementation sur les bruits de voisinage. Rapport du Conseil national du bruit, 2002,70 p.
9. Troubles de voisinage : bruits créés par des comportements anormaux. Ministère de l’Intérieur. https://vu.fr/jNYw
10. Bruits de voisinage. Guide du maire. https://www.bruit.fr
11. Traitement des plaintes de bruit de voisinage. https://www.iledefrance.ars.sante.fr
12. Bruit, nuisances sonores et pollution sonore. Ministère de la Transition écologique. 2021. https://vu.fr/FxuO
13. Hugel F. Les bruits de voisinage et les communes : prise en charge, difficultés et propositions d’actions. Rapport au ministre de l’Aménagement du territoire, mai 2000, 233 p.
14. Rozec V, Ritter P. Les avancées et les limites de la législation sur le bruit face au vécu des citadins. Géocarrefour 2003;78/2:111-19.

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Résumé

La gêne provoquée par les bruits de l’environnement dans l’espace de vie à domicile constitue une doléance fréquente en milieu urbain. Dans la genèse de ces nuisances interviennent la mauvaise qualité des constructions soumises à une série de réglementations et d’obligations souvent non respectées, et l’incivisme et le non-respect des décrets du code de la santé publique régissant les émissions sonores de diverses activités. Les médecins ou spécialistes sollicités par leurs patients doivent en connaître les conséquences cliniques, socio-comportementales et économiques souvent sous-estimées, et la conduite à tenir pour obtenir une réduction de ces nuisances.