La Journée nationale de prévention du suicide, le 5 février 2020, met l’accent sur les efforts encore à faire pour diminuer la mortalité par suicide. La moitié des patients pris en charge aux urgences pour une tentative de suicide n’en est pas à son premier geste. Agir sur la prévention de la récidive est donc primordial, « en maintenant le lien avec le patient » dès la sortie du système de soins. On rappelle qu’en 2019 le nombre annuel de décès par suicide s’élevait à 8 800 (plus de 12 000 en 2000). 
Le Pr Guillaume Vaiva, chef du service de psychiatrie d’adultes du CHRU de Lille, est à l’origine du dispositif de veille VigilanS qui a fait la preuve de son efficacité dans le Nord-Pas-de-Calais et doit être étendu à toute la France d’ici 2022. 

La Revue du Praticien: En quoi consiste VigilanS ?

Pr G. Vaiva: Ce dispositif fait suite à plus de vingt ans de travaux de recherche par des équipes internationales qui ont travaillé sur la prévention de la récidive. Plusieurs types de médias ont été expérimentés (appels téléphoniques, envois de lettres, de cartes imprimées…) mais utilisés indépendamment les uns des autres. L’idée de les combiner pour pouvoir toucher l’ensemble des populations concernées est à l’origine du dispositif VigilanS. Ce dispositif de veille a été expérimenté pour la première fois en février 2015 à Boulogne-sur-Mer. Il concerne tout patient pris en charge pour une tentative de suicide (quel qu’en soit le mode). Dès sa sortie, le patient reçoit une « carte ressource » qui comporte un numéro d’appel unique gratuit, où il peut contacter 24 h/24 l’équipe de VigilanS en cas de besoin. Mais cela ne suffit pas. Si l’on veut entretenir le compromis de soin établi entre le patient et l’équipe soignante qui a pris en charge le patient, avec souvent trop peu de temps d’échanges (quelques heures parfois avant la sortie de l’hôpital), il faut maintenir le lien avec le patient, mais aussi avec les professionnels de santé qui vont le suivre. 

 

En pratique comment ça marche ?

Chez le primo-suicidant (premier geste suicidaire), une carte ressource est remise à la sortie. Chez le non primo-suicidant (qui n’en est pas à son premier geste), il faut sans doute être plus proactif et aller vers lui. Un contact téléphonique est réalisé dix à vingt jours après sa sortie de l’hôpital, pour évaluer la situation. Une décision peut alors être prise très rapidement en lien avec l’équipe du Samu qui peut intervenir s’il y a un risque imminent de récidive. Si le patient est injoignable ou en difficulté, des cartes postales personnalisées lui sont envoyées à raison d’une par mois pendant quatre mois. À six mois, un contact téléphonique est établi pour tous les patients entrés dans le dispositif.

 

Des cartes postales, n’est-ce pas un peu « archaïque » ?

À l’heure du numérique, on nous a souvent fait cette remarque ! En particulier pour toucher les populations plus jeunes très attachées aux réseaux sociaux.

Mais le choix de l’envoi d’une « carte » n’est pas dénué de sens : c’est un objet avant tout que le patient peut toucher, regarder, échanger, montrer… même pour des adolescents, qui a fortiori ne reçoivent rien d’autre dans leur boîte aux lettres, à part quelques prospectus ou factures (pour les moins jeunes). Il fallait aussi trouver un moyen de maintenir le lien avec des patients que l’on n’arrive pas à contacter au téléphone et qui sont perdus de vue.

Des expérimentations sont bien sûr à l’étude : envoi de SMS, chatbot…mais les moyens humains sont dans ce cas bien plus lourds pour pouvoir répondre en temps réel.

 

Quel déploiement est-il prévu pour VigilanS ? 

Depuis 2017, ce dispositif a été étendu à d’autres régions, et il devrait être déployé sur l’ensemble du territoire d’ici 2022 comme s’y est engagée la ministre de la Santé, Mme Agnès Buzyn. Ce dispositif a un coût modéré (si on le compare ne serait-ce qu’au coût d’une hospitalisation pour prise en charge d’une tentative de suicide) et il est simple à mettre en place, puisque la cellule de recontact est unique et mutualisée sur toute une région. 

 

Ce dispositif est-il adapté aux personnes âgées ?

Ce dispositif devrait surtout être efficace dans cette population qui, plus qu’une autre, souffre souvent d’isolement et de rupture du lien. Et pourtant elle est sous-représentée dans nos cohortes de patients (sur plus de 20 000 sujets inclus dans VigilanS dans le Nord-Pas-de-Calais, seuls 4 % ont de plus de 65 ans). On estime à environ 7 % les personnes de plus de 65 ans dans les cohortes de tentatives de suicides. Cela vient sans doute en partie des filières de prise en charge spécifiques à cette population (filières gériatriques ou de services de soins). Des efforts doivent être faits pour inscrire dans le dispositif toute personne âgée hospitalisée à la suite d’un geste suicidaire. Nous réfléchissons d’ailleurs avec les agences régionales de santé à la création, dans VigilanS, d’un groupe dédié aux sujets âgés. L’accent doit également être mis sur un meilleur repérage de l’isolement, et là le médecin généraliste a un rôle crucial à jouer. Il peut dès lors, en raison de l’isolement et/ou du risque suicidaire de son patient, l’inscrire dans le dispositif VigilanS : c’est l’une des voies d’évolution de VigilanS que l’on étudie !

Alexandra Karsenty - La Revue du Praticien