Affichant l’ambition d’un monde « sans fumée », les géants du tabac investissent massivement depuis quelques années dans la mise au point de nouveaux produits « à moindre risque ». Leur dernier dada : le dispositif de « tabac chauffé », dont la vapeur inhalée, selon les fabricants, serait moins nocive que la fumée de cigarettes. Qu’en penser ? Interview du Pr Yves Martinet, unité de coordination de tabacologie, CHRU de Nancy.
Le tabac chauffé, qu’est-ce que c’est ?
C’est un dispositif électronique dans lequel une courte cigarette avec du tabac est chauffée par une résistance, à une température de 300 à 400 °C, produisant un mélange de fumée et de vapeur qui est inhalé par le consommateur. À cette température, la combustion n’est pas complète (comme pour la cigarette, où le tabac est brulé à 800-900 °C), on parle de pyrolyse. Le tabac est en quelque sorte « grillé », comme dans un grille-pain.
La fumée dégagée est-elle sans danger ?
Bien que les fabricants, brandissant leurs propres études, affirment que ces aérosols sont moins nocifs que la fumée de cigarettes, les rares études indépendantes montrent que la pyrolyse produit d’autres substances toxiques… Il y a tout lieu de penser qu’elles ne sont pas moins dangereuses que le tabac fumé. N’oublions pas que la nicotine contenue dans ces cigarettes reste une drogue dure, car capable d’induire une dépendance très forte.
Pourquoi les industriels investissent-ils massivement dans ce type de produit ?
Les ventes de tabac dans le monde sont en baisse, surtout dans les pays où il y a eu des actions dynamiques contre la consommation de tabac, avec des conséquences catastrophiques pour les industriels. Pour contourner cette difficulté, ils proposent des produits visant une stratégie de « réduction du risque ». Ils l’ont déjà fait dans le passé, en commercialisant des cigarettes à faible taux de goudron ou de nicotine, les filtres, les « slim »… Aucun de ces produits n’a montré un effet bénéfique quelconque sur la santé.
Quelle différence par rapport à la cigarette électronique ?
Les dispositifs de vapotage traditionnels chauffent des e-liquides nicotinés (ou non), généralement aromatisés, et ne contiennent pas de tabac. Il semble que le vapotage, s’il est exclusif (sans cigarettes associées), a un moindre risque que la consommation de cigarettes (même si les risques des vapoteurs par rapport aux personnes qui ne vapotent pas ne sont pas encore connus). Les industriels du tabac entretiennent donc l’ambiguïté entre tabac chauffé et cigarette électronique, d’autant plus qu’ils proposent maintenant des produits mixtes (où l’on peut introduire du tabac avec des e-liquides). À ce titre, Philip Morris a récemment comparé les cigarettes électroniques à un brise-glace devant ouvrir la voie et permettre ainsi une taxation favorable aux tabacs chauffés.
Justement, à quelle règlementation sont sujets ces dispositifs ?
Actuellement, les courtes cigarettes de tabac chauffé sont classées parmi « les autres produits du tabac à fumer », échappant ainsi au paquet neutre et à la fiscalité appliqués au tabac fumé. Ces dispositifs peuvent donc avoir des emballages séduisants visant à donner une image de pureté/santé. Grâce à une taxation plus légère, les profits sont très importants !
Nous militons pour qu’une réglementation identique à celle du tabac fumé soit appliquée au tabac chauffé : c’est la seule façon de mener la France vers la sortie du tabac.
Qui sont les consommateurs de tabac chauffé ?
Les cibles sont surtout les jeunes ! Le marketing sur Internet, via les réseaux sociaux et les influenceurs, fait appel aux notions de banalité, modernité, convivialité, séduction… Le dispositif électronique peut également plaire à cette population. Les femmes sont aussi ciblées, sensibles au packaging attrayant et aux arguments de santé. Il faut savoir que, pour remplacer les fumeurs qui décèdent et ceux qui arrêtent de fumer, l’industrie du tabac doit « recruter » 2 000 collégiens par an en France (la consommation étant rarement débutée à l’âge adulte). Pour le moment, en France, l’usage de tabac chauffé est modeste, mais dans d’autres pays comme le Japon il commence à être significatif.
Quel message donner aux généralistes ?
Un seul message : tabac chauffé = tabac fumé. Il faut, dans tous les cas, aider la personne à arrêter la consommation. Passer du tabac fumé au tabac chauffé, n’est pas une réduction de risque pour le patient !
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
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Martinet Y, Béguinot E, Diethelm P, Wirth N. Industrie de la nicotine : réduction des risques, un objectif exclusivement financier. Rev Prat 2021;7:27-32.
Image : Pr Yves Martinet, Dr.