Elle fait partie des motifs de consultation les plus fréquents en médecine générale. D’apparence anodine, elle est pourtant source de complications physiques comme psychologiques et, à ce titre, ne doit pas être banalisée.
La toux est un réflexe protecteur mis en jeu pour extérioriser des sécrétions bronchiques ou éviter l’intrusion de substances dans les voies aériennes. Chez certains patients, il peut s’exacerber et devenir pathologique. Dans sa forme chronique, c’est une entité à part entière, et non un symptôme banal. Un traitement uniquement symptomatique est donc exclu : une prise en charge rigoureuse s’impose, fondée sur la recherche étiologique.
Quelques chiffres
La prévalence de la toux chronique dans le monde est de 9,6 %,1 proche de celle de l’asthme. Aucune donnée n’est disponible en France, mais il est très probable qu’elle avoisine celle du Royaume-Uni (12 %). C’est l’un des motifs de consultation les plus courants en médecine générale (3,6 % de l’ensemble des rendez-vous médicaux aux États-Unis2).
Les femmes sont plus fréquemment concernées, et leur réflexe de toux est plus sensible (il survient pour des stimulus plus faibles) que celui des hommes, avec un pic d’incidence lors de la 5e décade, dans la période de périménopause. L’atopie ne semble pas être impliquée dans les formes chroniques.
Importance de la clinique
Interrogatoire : une place majeure
Détaillé, il peut orienter vers une ou plusieurs causes. On fait notamment préciser :
• l’ancienneté de la toux : la toux chronique est définie par une durée supérieure à 8 semaines (
• le contexte d’apparition ;
• les facteurs déclenchants : effort (asthme), rire, odeurs fortes (hypersensibilité), position, alimentation (RGO), horaire (jour et/ou nuit : syndrome d’apnées du sommeil, asthme) ou périodicité (saisonnalité : atopie) ;
• la productivité de la toux :
–sèche : non productive ;
–grasse : expectorations à décrire (aspect muqueux, purulent, hémoptoïque) et à quantifier. Matinales, elles orientent vers une bronchite chronique ; abondantes et purulentes, elles sont en faveur de bronchectasies ;
• les symptômes associés :
– dysphonie, hemmage faisant suspecter une dysfonction du larynx ;
– pyrosis, régurgitation acide évoquant un reflux gastro-œsophagien ;
• la prise de médicaments, de tabac ou de substances inhalées telles que le cannabis (causes fréquentes) ;
• les antécédents personnels et familiaux d’asthme, d’allergie, d’infections ORL et pulmonaires à répétition dans l’enfance, statut vaccinal vis-à-vis de la coqueluche et de la tuberculose.
Examen physique : essentiel
Il complète les arguments diagnostiques ébauchés par l’interrogatoire.
L’inspection des fosses nasales, des oreilles et de la cavité buccale doit être systématique.
L’auscultation pulmonaire peut objectiver des sibilants (asthme), des crépitants (infection pulmonaire, fibrose, bronchectasies) un wheezing (asthme ou pathologie tumorale), une diminution du murmure vésiculaire (pleurésie).
Adénopathies cervicales et axillaires sont à rechercher.
Complication principale : le handicap social
C’est effectivement le premier responsable de l’altération majeure de la qualité de vie des tousseurs chroniques. Il semble toucher près de 80 % des patients. Ce symptôme étant bruyant et potentiellement dérangeant dans des situations de vie (lieux de culte, bibliothèque, théâtre, repas de famille), les sujets concernés préfèrent éviter certaines activités.
Les complications psychologiques sont également fréquentes. Des critères de dépression sont observés chez 15,8 à 53 % des patients chroniques.
L’incontinence urinaire, qui peut toucher près de 50 % d’entre eux, est volontiers retrouvée chez la femme, c’est un vrai fardeau au quotidien.3
Enfin, les répercussion physiques, bien connues des praticiens, sont secondaires aux augmentations de pressions intrathoraciques et intra-abdominales (fractures de côtes, céphalées…).
Principes de prise en charge
Première étape, quantifier l’importance de la toux (
Les signes suggérant des pathologies graves (cancer bronchique, processus infectieux chronique…) sont ensuite recherchés à l’examen clinique (
Une radiographie de thorax est systématique dans le bilan initial d’une toux chronique.
Un sevrage tabagique pour une durée de 4 semaines et un arrêt des traitements tussigènes (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, gliptines) constituent la 3e étape.
Les causes fréquentes de toux chronique sèche (asthme, reflux gastro-œsophagien [RGO] et rhinosinusite chronique) doivent être investiguées par la clinique et des examens simples (épreuves fonctionnelles respiratoires [EFR]…). Un traitement est proposé en présence de signes évocateurs.
La BPCO est une cause de toux chronique productive, mais celle-ci est rarement un motif de consultation à elle seule. Il est démontré qu’associée à ce symptôme, la maladie est plus sévère. La spirométrie est l’examen clé du diagnostic de BPCO, permettant d’authentifier une obstruction bronchique. Il est systématique chez tout patient tousseur chronique, y compris non-fumeur.
Lorsqu’il n’existe aucun signe de RGO, un inhibiteur de la pompe à protons n’est pas conseillé, selon la Société européenne de pneumologie (European Respiratory Society ; ERS).5 Celle-ci suggère, par ailleurs, de mettre en place une corticothérapie inhalée pour 2 à 4 semaines, même en l’absence d’argument pour un asthme, que l’on associe à un bronchodilatateur de longue durée d’action en cas d’obstruction bronchique aux EFR. La posologie de départ n’est pas détaillée dans les recommandations, mais une dose modérée (400 à 800 µg d’équivalent budésonide) semble légitime. Une diminution est à discuter en cas de soulagement franc.
L’éducation thérapeutique est capitale car l’absence d’amélioration avec ces traitements peut cacher un défaut dans la technique d’utilisation. De nombreuses erreurs ont été décrites, telles que l’absence d’agitation des sprays, un armement inadéquat des systèmes poudres, l’absence d’inhalation profonde avec ces derniers. Il est impératif d’expliquer au patient que ces médicaments doivent être pris quotidiennement car ils ont tendance à ne les utiliser qu’à la demande.
La recherche d’éventuelles causes rares (maladies auto- immunes, pneumopathies interstitielles diffuses, dont fibrose pulmonaire idiopathique, bronchectasies), plausibles, motive différents examens complémentaires en fonction du contexte clinique.
Toux chronique réfractaire : que faire ?
Il n’existe pas de définition consensuelle de la toux chronique réfractaire, mais il est habituel d’utiliser ce terme si aucune cause n’est retrouvée ou si les traitements ne fonctionnent pas.
Le syndrome de toux chronique par excès de sensibilité a été décrit récemment. Il explique qu’aucune cause ne soit identifiée malgré des explorations chez 7 à 40 % des patients où la toux persiste en dépit d’une prise en charge optimale des étiologies mises en évidence. Caractéristiques : une augmentation du réflexe de toux avec une sensibilité accrue des récepteurs pour des stimulus peu tussigènes (hypertussie), voire non tussigènes (allotussie). La physiopathologie est très proche de celle des douleurs neuropathiques.6
Les symptômes sont peu spécifiques, et le diagnostic est évoqué devant un interrogatoire typique et faute de cause retrouvée (
L’ERS vient d’éditer des recommandations pour la prise en charge de la toux chronique réfractaire.5 Dans tous les cas, un avis auprès d’un spécialiste est requis. Les sirops antitussifs n’ont aucune place dans sa prise en charge, qu’elle soit réfractaire ou non. L’utilisation de la codéine (12 à 15 mg, 1 à 4 fois par jour) est délicate en raison des risques d’addiction. Elle peut être envisagée sur un temps court (1 semaine). Cette molécule ne figure pas dans les recommandations internationales.
Compte tenu des similitudes avec la douleur neuropathique, différents médicaments sont indiqués mais hors autorisation de mise sur le marché (AMM), ce qui explique qu’une concertation entre les divers intervenants et le médecin généraliste est indispensable.
Une préconisation forte pour la morphine à petite dose a été formulée (20 mg/j de sulfate de morphine par exemple). Cependant, du fait de ses précautions d’emploi, notamment chez des personnes âgées, elle doit être réservée aux patients ayant un handicap important.
Autre option possible : la prégabaline ou la gabapentine. Certaines équipes utilisent également l’amitriptyline.
Tout effet secondaire induit par l’un de ces médicaments doit remettre en question la poursuite du traitement au regard de la faible gravité de la toux chronique.
Les interventions non pharmacologiques doivent être associées aux médicaments décrits ci-dessus avec lesquels elles ont une synergie d’action. La rééducation orthophonique est probablement la plus utile. La kinésithérapie et la sophrologie sont également d’une grande aide.
Quelles perspectives ?
Malgré le peu de solutions actuelles, l’espoir est permis. De nouveaux traitements, comme des antagonistes de différents récepteurs à la toux, sont actuellement à l’étude.
Le récepteur P2X3 est impliqué dans le déclenchement de la toux (
1. Toux chronique, parfois réfractaire
• Sa durée est supérieure à 8 semaines, par opposition à la toux aiguë qui se résout spontanément en moins de 3 semaines dans les suites d’une infection virale haute.
• Elle est subaiguë lorsqu’elle se situe entre ces 2 durées.
• Rebelle à tout traitement ou de cause indéterminée, elle est dite réfractaire.
2. Bronchite à éosinophiles : une entité débattue
Cette affection a été décrite comme une cause fréquente de toux chronique.
• Une éosinophilie dans les sécrétions bronchiques (> 3 %) accompagnée d’une inflammation mais sans hyperréactivité bronchique permet de la distinguer d’un asthme.
• Une augmentation significative des valeurs de NO exhalé associée à un test à la métacholine négatif pose le diagnostic.
• L’amélioration clinique sous stéroïdes inhalés est également très évocatrice.
3. Toux psychogène : un diagnostic d’élimination
• Elle représenterait 10 % des toux chroniques sèches.
• Caractérisée par son arrêt pendant le sommeil, elle est volontiers exacerbée par la présence de tiers et résiste à tous les traitements.
• Elle concernerait plus fréquemment des femmes d’âge post-ménopausique.
• Elle peut être isolée ou survenir sur un terrain psychiatrique.
1. Song WJ, Chang YS, Faruqi S, et al. The global epidemiology of chronic cough in adults: a systematic review and meta-analysis. Eur Respir J 2015;45:1479-81.
2. Woodwell DA. National ambulatory medical care survey: 1996 summary. Adv Data 1997;295:1-25.
3. Young EC, Smith JA. Quality of life in patients with chronic cough. Ther Adv Respir Dis 2010;4:49-55.
4. Irwin RS, French CL, Chang AB, Altman KW. Classification of Cough as a Symptom in Adults and Management Algorithms: CHEST Guideline and Expert Panel Report. Chest 2018;153:196-209.
5. Morice AH, Millqvist E, Bieksiene K, et al. ERS guidelines on the diagnosis and treatment of chronic cough in adults and children. Eur Respir J 2020;55: 1901136.
6. Chung KF. Approach to chronic cough: the neuropathic basis for cough hypersensitivity syndrome. J Thorac Dis 2014;6(suppl 7):S699-707.