Dans une étude publiée le 9 novembre 2020 dans The Lancet, les auteurs ont analysé les données issues de 54 centres de santé aux États-Unis (hospitaliers mais aussi de soins primaires), sur un total de 68 millions de patients, dont 62 354 avaient eu un diagnostic de Covid. Un antécédent psychiatrique (trouble de l’attention, bipolarité, dépression, schizophrénie) était associé à une incidence accrue d’infection par le SARS-CoV-2 par rapport aux contrôles. Ce sur-risque était indépendant des facteurs de risque physiques connus, et des variables socio-économiques ; toutefois, il augmentait avec l’âge.
Dans une autre étude (The Lancet Healthy Longevity), l’équipe de Huazhen Yang – en utilisant les données longitudinales (issues de la UK Biobank) de 421 014 sujets d’âge moyen et avancé (67-80 ans en moyenne) – a comparé les patients diagnostiqués d’un trouble psychiatrique (hospitalisés au moins une fois pour cette raison avant la pandémie) et ceux sans antécédent psychiatrique. Conclusions : les individus ayant un trouble psychiatrique confirmé avant le 1er janvier 2020 étaient plus à risque d’être infectés, d’être hospitalisés et de décéder de la Covid, indépendamment d’autres variables (facteurs socioéconomiques, tabagisme). Ce risque était encore plus élevé chez les sujets souffrant de plusieurs troubles psychiatriques. Une analyse en sous-groupe montre des résultats similaires chez les sujets diagnostiqués en soins primaires, même si l’augmentation du risque est moindre.
Quelles sont les possibles explications de cette susceptibilité accrue à la Covid ? Si une moindre observance aux recommandations de distanciation sociale peut être en cause, les auteurs évoquent également un possible rôle de l’état pro-inflammatoire associé aux troubles psychiatriques, traduisant une dysrégulation immunitaire.
Enfin, une étude française publiée fin octobre s’est focalisée sur les patients schizophrènes. Parmi les 50 750 patients inclus (tous les sujets hospitalisés pour une infection Covid en France entre février et juin 2020), 823 avaient une schizophrénie (1,6 %). Ces derniers ont connu une augmentation de la mortalité hospitalière (25,6 % contre 21,7 % pour les autres patients) et une diminution du taux d’admission en unité de soins intensifs-réanimation (23,7 % contre 28,4 %) par rapport aux témoins.
De fortes hétérogénéités ont été observées selon l’âge. Si les schizophrènes de moins de 55 ans avaient un taux supérieur d’admission en réa par rapport aux contrôles du même âge (+13,93 %), suggérant qu’ils avaient des formes plus graves de la maladie, ceux entre 65 et 80 ans étaient moins transférés en réanimation (−15,44 %). Pourtant, dans cette tranche d’âge, la mortalité était particulièrement élevée (augmentée de 7,89 % par rapport aux témoins du même âge) !
Selon les auteurs de l’étude, cette surmortalité pourrait être liée à la surreprésentation dans cette tranche d’âge des patients schizophrènes institutionnalisés et atteints de démence, souvent isolés. En outre, une certaine stigmatisation des maladies mentales (patients ayant des troubles comportementaux/agressifs potentiels) pourrait expliquer des taux d’admission plus faibles en réanimation des schizophrènes provenant des maisons de soins infirmiers et des services psychiatriques.
Selon Guillaume Fond (hôpital La Conception à Marseille), auteur de l’étude : « Nos résultats soutiennent une stratégie de dépistage systématique chez les patients avec schizophrénie institutionnalisés et d’intervention précoce dans cette population. Le lien entre l’hôpital et/ou l’équipe des soins intensifs et le service ou l’équipe d’origine d’où le patient a été envoyé doit être renforcé. »
Dans l’ensemble, ces résultats soulignent la nécessité de mettre en place une surveillance et des actions de prévention ciblée dans cette population vulnérable.
Cela est d’autant plus important que plusieurs études suggèrent également un effet – direct et indirect – de la pandémie sur la santé mentale. Après l’infection par le SARS-CoV-2, les survivants auraient en effet un taux majoré de séquelles psychiques (surtout troubles anxieux, insomnie…).
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien