Quelques semaines après avoir été recommandée aux enfants fragiles de 5 à 11 ans, la vaccination contre le Covid est ouverte dès aujourd’hui à tous les enfants de cette tranche d’âge, sans obligation ni conditionnement par un passe sanitaire. Cette décision complexe incombe donc, pour l’instant, aux parents. Quelles sont les données aujourd’hui ?
Efficacité et tolérance du vaccin : données cliniques
L’essai clinique de phase II/III mené par Pfizer a inclus 3 109 enfants de 5-11 ans qui ont reçu le vaccin – en 2 doses de 10 µg (dans 0,2 mL), soit un tiers de la dose utilisée chez les adultes, à 3 semaines d’intervalle – et 1 528 ayant reçu un placebo (sérum physiologique).
Un mois après la seconde injection, la réponse immunitaire (titres d’anticorps anti-SARS-CoV-2), chez les enfants sans antécédent de Covid était « non inférieure » à celle observée chez les sujets de 16 à 25 ans.
L’efficacité clinique du vaccin (dans la prévention des formes symptomatiques) a été analysée après un suivi médian de 2,3 mois chez 1 968 enfants (1 305 ayant reçu Comirnaty et 663 un placebo) : elle était estimée à 90,7 %, avec 3 cas confirmés de Covid dans le groupe vacciné contre 16 cas dans le groupe placebo, au moins 7 jours après la 2e dose. La plupart des infections sont survenues en juillet-août 2021, et aucun cas grave n’a été observé.
La réactogénicité était en grande majorité légère à modérée, similaire à celle des adultes : des réactions locales légères à modérées (rougeur, gonflement) étaient les plus souvent reportées, et les réactions systémiques (y compris la fièvre) moins fréquentes que chez les 16-25 ans. Si aucun cas de myocardite/péricardite n’a été observé, l’essai était de trop petite taille pour évaluer ce risque.
Cet essai n’a pas permis de conclure sur l’efficacité du vaccin sur les hospitalisations ni sur la mortalité y compris en cas de comorbidité (en raison de l’absence de forme grave dans les deux groupes) ni sur son effet sur la transmission virale (pas de données sur les infections asymptomatiques). Autre limite majeure : en raison de la taille insuffisante de l’effectif et d’un suivi post-seconde dose de seulement 3 mois, la survenue d’effets indésirables rares à très rares (1/1 000 à 1/10 000) n’a pas pu être évaluée.
Intérêt de la vaccination des enfants de 5-11 ans
Pour juger de la pertinence de la vaccination, on doit prendre en compte le bénéfice individuel (diminution du risque de décès, de séjour en réanimation, d’hospitalisation, de consultation, de séquelle) versus le risque d’effets indésirables graves lié au vaccin, mais aussi le bénéfice indirect, « collectif », sur la circulation du virus.
– Balance bénéfice-risque individuel
On le sait, les enfants font le plus souvent de Covid asymptomatiques ou légers. En France, depuis le début de l’épidémie, sur 5,77 millions d’enfants âgés de 5-11 ans, on compte 3 décès liés au Covid et 1 284 hospitalisations, dont 226 admissions en soins critiques et 351 PIMS (forme grave chez l’enfant, survenant à distance de l’infection, avec une forte fièvre et de possibles symptômes cardiaques, d’évolution en général favorable). Depuis mi-septembre 2021, les taux hebdomadaires de nouvelles hospitalisations sont stables en France et comparables entre les 12-17 ans et les 5-11 ans.
Quant au Covid long, les premières données internationales sont rassurantes dans cette tranche d’âge : ces manifestations sont beaucoup plus rares, moins intenses et moins prolongées que chez l’adulte.
Cependant, les données récentes issues de 10 pays de l’Union européenne (Autriche, Chypre, Finlande, Allemagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Slovaquie, Suède) ont montré que, en parallèle à l’augmentation des cas entre le 5 juillet et le 3 octobre 2021, le taux d’enfants hospitalisés a augmenté passant de 0,025 à 0,24 pour 100 000 habitants (multiplié par un facteur neuf, donc). Dans cette analyse, parmi les cas hospitalisés, 78 % des enfants n’avaient aucune comorbidité. Selon la HAS, ce phénomène pourrait donc être amplifié dans les semaines qui viennent, dans le contexte de l’arrivée du variant omicron – hautement transmissible.
Concernant les risques liés au vaccin, la taille insuffisante de l’effectif inclus dans l’essai clinique et la courte durée de suivi ne permettent pas de détecter des effets indésirables rares ou retardés, notamment le risque de myocardite/péricardite.
Selon une modélisation réalisée par la Food and Drug Administration (FDA), qui extrapole – faute de données ! – pour les 5-11 ans un excès de myocardite/péricardite lié à la vaccination similaire à celui observé chez les 12-15 ans, le rapport bénéfices-risques au niveau individuel est fortement dépendant de l’incidence du Covid : si cette dernière est élevée, le bénéfice de la vaccination outrepasse ses risques ; ce n’est pas le cas si l’incidence est faible (excès d’hospitalisations pour myocardite/péricardite par rapport à la prévention des hospitalisations liées à l’infection).
À ce jour, les données de pharmacovigilance collectées dans le monde sont encore limitées. Celles communiquées par le VAERS (Vaccine Adverse Event Reporting System) nord-américain font état jusqu’au 10 décembre 2021 de 3 233 événements indésirables sur plus de 7 millions de doses administrées (avec plus de 2 millions de schémas vaccinaux complets à 2 doses). La majorité (97 %) n’étaient pas graves ; 2 décès sont survenus chez des enfants ayant de lourds antécédents médicaux ; 14 cas de myocardite, dont 8 cas confirmés (2 après la 1re dose et 6 après la 2e).
– Intérêt sur le plan collectif
Les modèles développés par l’Institut Pasteur suggèrent que la vaccination des enfants n’aurait qu’un impact mineur sur la vague actuelle d’hospitalisations associées au variant delta, puisqu’elle surviendrait trop tardivement. Cependant, elle pourrait potentiellement réduire l’impact (circulation du virus dans les écoles et en population générale ; hospitalisations chez les enfants et en population générale) de vagues ultérieures dues à des variants ayant des caractéristiques similaires au variant delta.
Quid donc de son intérêt lors de la prochaine vague liée au variant omicron, sachant que chez l’adulte, deux doses ne semblent pas efficaces, en tout cas contre l’infection symptomatique (non grave) ?
En pratique
Compte tenu des incertitudes liées à l’efficacité du vaccin contre le variant omicron (combien de doses et quelle durée de protection ?) et à ses potentiels effets indésirables, les sociétés savantes pédiatriques ont émis des réserves sur la mise en place précipitée d’un programme de vaccination des enfants en bonne santé (sans facteur de risque), d’autant plus dans une période où les médecins (généralistes, pédiatres, libéraux et hospitaliers…) sont submergés par les épidémies hivernales. La HAS, elle aussi, avait recommandé de prioriser la vaccination des collégiens (de moins de 12 ans).
Le gouvernement a pourtant décidé d’ouvrir, le 22 décembre, la vaccination à tous les enfants de 5-11 ans, et des créneaux sont déjà disponibles sur Doctolib.
Reste à savoir quelle sera la décision des parents. Certains préféreront sans doute attendre des données en vie réelle issues des pays où la vaccination de cette classe d’âge est déjà bien avancée (États-Unis ou Israël), mais aussi des données sur l’échappement éventuel du variant omicron aux anticorps…
Modalités de la vaccination des enfants de 5 à 11 ans au cabinet
L’intervalle entre les deux doses est de 21 jours, conformément à l’AMM.
En l’absence d’antécédent connu et documenté de Covid, la réalisation d’un TROD sérologique au préalable est préconisée, afin de n’administrer qu’une seule dose de vaccin en cas de test positif.
Une fiche pratique pour l’utilisation du vaccin Comirnaty en formulation pédiatrique (couvercle orange vs violet de la formulation adulte ; vérification des flacons, manipulation avant utilisation, dilution et préparation des doses) est disponible en annexe de la fiche DGS-Urgent n° 2021_133.
Pour rappel, il n’est pas recommandé d’initier une vaccination anti-Covid chez les enfants ayant eu un syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique (PIMS) et/ou une myocardite ou myo-péricardite dans les suites d’une infection par le SARS-CoV-2. D’autres contre-indications sont disponibles sur ce lien.
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
HAS. Covid-19 : La HAS favorable à l’ouverture de la vaccination sans obligation aux enfants de 5 à 11 ans. 20 décembre 2021.
HAS. Recommandation : stratégie de vaccination contre la Covid-19. Place du vaccin ARNm Comirnaty chez les 5-11 ans. 17 décembre 2021.
Position des sociétés savantes de pédiatrie au sujet de la vaccination anti-Covid des 5-11 ans destinée aux familles. 24 décembre 2021.