Lorsque nous apercevrons la lumière au bout du tunnel que nous a fait emprunter l’épidémie liée au SARS-CoV-2, le monde nous apparaîtra peut-être différent, et peut-être le sera-t-il effectivement tant les grands cycles épidémiques, par leur cause ou leurs effets, coïncident avec les grandes phases de l’histoire humaine. Ce sera un sujet de choix pour les historiens du futur qui réfléchiront à cette époque coincée entre le virus du sida et celui de la Covid. Lorsque la première maladie fut identifiée en 1981, elle représentait l’aboutissement d’un très long processus qui avait vu d’abord le VIH probablement infecter depuis des dizaines d’années des peuplades isolées au plus profond de quelques forêts d’Afrique centrale. Le virus se transmettait, mais les individus atteints n’en mouraient probablement pas, car l’histoire naturelle de la maladie, qui est longue, devait être de peu de conséquences tant leur espérance de vie était courte du fait des multiples fléaux qu’ils subissaient, tels la myriade des autres maladies infectieuses, la malnutrition, les guerres entre tribus ou les accidents. Le chaos et la déstructuration liés aux épisodes brutaux de la colonisation et de son reflux furent responsables de brassages de population inédits et d’un exode rural massif vers les villes, une opportunité pour le virus, qui y trouva un environnement favorable à sa transmission. L’explosion des échanges internationaux, la libération sexuelle, la toxicomanie intraveineuse, les recours massifs à la transfusion et à des dérivés du sang aux conditions d’obtention douteuses firent le lit de la pandémie. C’est donc à sa phase de mondialisation que le virus du sida fut découvert. Présent sur tous les continents, il connectait chaque individu infecté à un autre dans de longues chaînes de transmission. L’émergence de la maladie fut ainsi l’étape ultime et catastrophique d’une très longue marche dont le terme coïncidait avec le début du monde globalisé et dérégularisé qui se construisait en parallèle, sous l’impulsion décisive de Ronald Reagan, devenu président des États-Unis la même année, et de sa fidèle alliée Margaret Thatcher, arrivée à Downing Street un an plus tôt.
Au cours des 40 ans qui ont suivi (le sida poursuivant ses ravages), médecins et scientifiques n’ont jamais cessé de craindre l’arrivée de nouvelles maladies infectieuses dévastatrices ou la résurgence d’anciennes. Les alertes ont été nombreuses, mais elles n’ont pas suffi. La pandémie de Covid qui clôt cette séquence est presque, dans sa marche, le reflet inversé de celle liée au VIH. Alors que ce dernier avait donc mis un temps immémorial avant de conquérir une planète en voie de devenir un village global, au contraire le SARS-CoV-2, apparu dans une mégalopole, n’a eu besoin que de quelques mois dans notre monde hyperconnecté pour frapper fort et partout, et peut-être sonner le glas de la période, tant il provoque de dégâts socio-économiques, ce dont témoigne une efflorescence de débats, par exemple en Europe, sur la nécessité de relocaliser certaines productions ou de mutualiser les dettes pour relancer l’activité et d’opposer à un laisser-faire économique débridé un « quoi qu’il en coûte » bien régalien. La grippe espagnole, à laquelle on compare beaucoup l’actuelle épidémie, avait été le point final et exacerbé qui concluait la grande boucherie de la Première Guerre mondiale ; l’apparition du SARS-CoV-2, avec ses conséquences inouïes, est peut-être ainsi le signal de clôture de l’immense mouvement brownien qui agite le monde depuis les années 1980 et dont le sida fut un des premiers et tragiques symptômes.
Au cours des 40 ans qui ont suivi (le sida poursuivant ses ravages), médecins et scientifiques n’ont jamais cessé de craindre l’arrivée de nouvelles maladies infectieuses dévastatrices ou la résurgence d’anciennes. Les alertes ont été nombreuses, mais elles n’ont pas suffi. La pandémie de Covid qui clôt cette séquence est presque, dans sa marche, le reflet inversé de celle liée au VIH. Alors que ce dernier avait donc mis un temps immémorial avant de conquérir une planète en voie de devenir un village global, au contraire le SARS-CoV-2, apparu dans une mégalopole, n’a eu besoin que de quelques mois dans notre monde hyperconnecté pour frapper fort et partout, et peut-être sonner le glas de la période, tant il provoque de dégâts socio-économiques, ce dont témoigne une efflorescence de débats, par exemple en Europe, sur la nécessité de relocaliser certaines productions ou de mutualiser les dettes pour relancer l’activité et d’opposer à un laisser-faire économique débridé un « quoi qu’il en coûte » bien régalien. La grippe espagnole, à laquelle on compare beaucoup l’actuelle épidémie, avait été le point final et exacerbé qui concluait la grande boucherie de la Première Guerre mondiale ; l’apparition du SARS-CoV-2, avec ses conséquences inouïes, est peut-être ainsi le signal de clôture de l’immense mouvement brownien qui agite le monde depuis les années 1980 et dont le sida fut un des premiers et tragiques symptômes.