La campagne de vaccination de rappel se déroule de façon hétérogène dans différents pays. En France, les plus de 18 ans sont désormais éligibles. La 3e dose sera-t-elle une mesure efficace pour freiner la nouvelle vague hivernale ? Quelle est son utilité en termes de protection individuelle et de circulation virale ? Chez quels sujets faudrait-il la cibler en priorité ? Analyse à la loupe des dernières données de vraie vie anglaises et israéliennes, par Catherine Hill, épidémiologiste à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif.

 

Comment juger de l’utilité d’un rappel de vaccin anti-Covid chez les personnes ayant reçu un schéma complet ? L’intérêt d’un rappel dépend bien évidemment de la durée de la protection apportée par les premières doses. L’efficacité peut être étudiée directement en comparant les risques de contracter le Covid chez des personnes ayant reçu un rappel et chez des personnes n’ayant pas reçu de dose supplémentaire.

Quelle est la durée de protection conférée par la primovaccination ?

Un travail (non encore formellement publié) mené en Angleterre1 a étudié la durée de la protection conférée par un schéma vaccinal à 2 doses, évaluée en termes de risques de maladie symptomatique, d’hospitalisation et de décès. Les risques encourus par un total de 1,5 million de personnes testées positives pour le variant alpha (540 000) ou delta (890 000) ont été comparés aux risques chez 3,8 millions de témoins ayant une PCR négative (testés parce qu’ils avaient des symptômes évocateurs).

Le tableau 1 montre la réduction – en fonction du délai après la seconde dose – du risque de décès chez les personnes vaccinées par rapport aux témoins. L’effet de la vaccination sur le risque de décès diminuait très légèrement avec le temps, et en moindre mesure après le vaccin de Pfizer qu’après celui d’AstraZeneca ; les personnes de 65 ans et plus étaient encore très bien protégées « 20 semaines et plus » après la fin de la primovaccination (2e dose).

Tableau 1

Source : Andrews N, Tessier E, Stowe J, et al. Vaccine effectiveness and duration of protection of Comirnaty, Vaxzevria and Spikevax against mild and severe COVID-19 in the UK. MedRxiv 6 octobre 2021.

L’efficacité du vaccin Pfizer (évaluée sur les trois risques cités ci-dessus) en fonction du temps est indiquée dans la figure 1 : si 20 semaines après la 2e dose l’efficacité contre les formes symptomatiques diminuait de façon significative (à 69,7 %), ce n’était pas le cas pour la protection contre les hospitalisations et les décès, qui restait élevée.

Figure 1

Source : id.

Les auteurs ont ensuite analysé le risque d’hospitalisation en fonction de l’âge et de la fragilité des sujets (figure 2) : la baisse de l’efficacité du vaccin contre le formes graves est minime chez les personnes âgées, sauf chez les sujets particulièrement fragiles (à risque de Covid très grave : transplantés, dialysés, atteints de certains cancers et sous traitement, avec pathologies respiratoires sévères…).2 Ainsi, dans l’hypothèse que la diminution de la protection se poursuit à la même vitesse, les personnes de 65 ans et plus sans fragilité majeure seront encore bien protégées 6 mois après la vaccination.

Figure 2

Source : id.

Quelle est l’efficacité d’un rappel ?

Une étude israélienne3 a mesuré directement la réduction des risques d’infection confirmée et de maladie grave en comparant deux populations de plus de 60 ans : des personnes ayant reçu une dose de rappel et des personnes n’ayant reçu que les deux doses du vaccin Pfizer. Dans cette étude dite de « cohortes dynamiques », une même personne peut contribuer aux deux populations : si elle reçoit le rappel au cours du suivi, elle est dans la population « sans rappel » jusqu’à ce qu’elle reçoive le dit rappel. Les résultats montrent 11 fois plus d’infections confirmées et près de 20 fois plus de formes graves de Covid dans le groupe sans rappel (tableau 2). Dans la figure 3, on trouve le rapport des fréquences d’infection confirmée entre les deux groupes en fonction du temps. Ce temps est appelé dans l’article « jours après le rappel », mais en vérité, pour le groupe sans rappel, il s’agit des « jours après l’entrée dans l’étude ». Dans la semaine « après rappel », le risque d’infection confirmée est déjà 2 fois plus élevé dans le groupe sans rappel, suggérant que l’ajustement utilisé n’a pas suffi à rendre les deux groupes comparables : la protection conférée par la dose de rappel contre les formes symptomatiques, atteinte après environ 3 semaines, serait alors plutôt de l’ordre de 7, estimation obtenue en divisant la réduction du risque observée à cette période (environ 14) par la réduction du risque observée lors de la première semaine (environ 2). Ainsi, le groupe sans rappel pourrait être « seulement » 7 fois plus à risque d’infection que le groupe avec rappel.

Tableau 2

Source : Bar-On YM, Goldberg Y, Mandel M, et al. Protection of BNT162b2 Vaccine Booster against Covid-19 in Israel. N Engl J Med 2021;385(15):1393-400.

 

Figure 3

Source : id.

 

 

Une autre étude israélienne4 a comparé les risques d’admission à l’hôpital, de maladie grave et de décès dans deux groupes d’un peu plus de 700 000 personnes chacun, l’un avec rappel et l’autre sans rappel. L’étude utilise une base de données d’une assurance maladie qui couvre plus de la moitié de la population israélienne. Chaque personne avec rappel a été appariée avec une personne sans rappel ayant les mêmes caractéristiques. Un rappel administré au moins 5 mois après la seconde dose réduit les risques d’admission à l’hôpital de 93 %, de maladie grave de 92 % et de décès de 91 % (tableau 3). La réduction du risque est plus grande chez les hommes, et d’autant plus importante que la population est plus âgée ou a plus de comorbidités (tableau 4). L’avantage de cette étude par rapport à la précédente est une meilleure « comparabilité » des groupes. Les résultats des deux études ne sont pas très différents : si le rappel réduit un risque de 90 %, le risque du groupe sans rappel est multiplié par 10.

Tableau 3

Source : Barda N, Dagan N, Cohen C, et al. Effectiveness of a third dose of the BNT162b2 mRNA COVID-19 vaccine for preventing severe outcomes in Israel: an observational study. Lancet 29 octobre 2021.

 

Tableau 4

Source : id.

 

 

En conclusion

Ces travaux, confirmés par d’autres études, montrent que, dans l’ensemble, les vaccins protègent plus efficacement et plus durablement du risque de maladie grave que du risque d’infection. En ce moment en France, la grande majorité des infections, notamment graves, se produit chez les personnes non vaccinées : les sujets non vaccinés ont 12 fois plus de risque d’arriver en réanimation que la population vaccinée, et 10 fois plus de risque de mourir de Covid-19. Dans ce contexte, l’urgence est d’améliorer la couverture vaccinale pour toucher les 6,2 millions de personnes de plus de 12 ans qui ne sont pas encore vaccinés.

Il faut absolument proposer une vaccination à domicile aux personnes âgées et/ou dépendantes, en commençant par les 80 ans et plus (13 % de la population dans cette tranche d’âge n’a pas reçu de vaccin, soit 550 000 personnes !). Administrer une troisième dose aux personnes déjà vaccinées 6 mois après la seconde dose n’empêchera pas la circulation du virus tant qu’il restera 15,5 millions de non vaccinés. Cependant, le rappel réduira beaucoup les risques d’hospitalisation, de maladie grave et de décès chez les personnes plus âgées ou ayant plusieurs comorbidités.

Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy