Alors que les sujets de 80 ans et plus sont éligibles à une 4e dose de vaccin à ARNm en France depuis le 14 mars, et que la HAS vient de proposer de la rendre possible dès 65 ans, il est temps de faire un point sur les dernières données disponibles.
Administrée depuis plusieurs semaines dans des pays comme Israël, la Suède ou le Chili aux personnes âgées et aux professionnels de santé, la 4e dose fait encore débat. En France, le Conseil de l’orientation de la stratégie vaccinale (COSV) a « préconisé l’injection d’un second rappel vaccinal pour les personnes âgées de plus de 80 ans ainsi que les personnes résidant en Ehpad » (avis du 18 février), avec un vaccin à ARNm (Pfizer, Moderna) et dès 3 mois après le 1er rappel. Suivant cette avis (mais sans attendre celui de la HAS ni de l’EMA), la DGS a ouvert la possibilité d’un 2e rappel à cette population le 14 mars 2022. Le 18 mars, la HAS propose de rendre possible l’administration d’une seconde dose de rappel aux personnes de 65 ans et plus qui le souhaitent ; soit celles à très haut risque de forme sévère de la maladie, soit celles qui sont polypathologiques. Elle préconise en outre un intervalle d’au moins 6 mois avec le 1er rappel.
Quelle efficacité chez les seniors ?
Pour étayer le rationnel de cette recommandation, une étude (preprint) est citée – qui est également invoquée par Pfizer dans sa demande d’autorisation d’un 2e rappel pour les plus de 65 ans aux États-Unis (adressée à la Food and Drug Administration [FDA] le 15 mars 2022). Il s’agit des données de vraie vie fournies par le ministère de la santé israélien, sur plus de 1 million de personnes de plus de 60 ans éligibles à une 4e dose (vaccin Pfizer) au moins 4 mois après le 1er rappel. Les auteurs ont comparé les taux de Covid confirmés et de cas sévères entre des personnes ayant reçu la 4e dose au moins 12 jours auparavant et des personnes éligibles à cette dose mais ne l’ayant pas encore reçue, ou l’ayant reçue entre 3 et 7 jours auparavant (période d’étude : 15 au 27 janvier, où le variant omicron prédominait, et sachant que la campagne des 2e rappels a commencé le 2 janvier dans ce pays).
D’après les auteurs, 12 jours après l’administration de la 4e dose, le risque d’avoir un Covid sévère serait divisé par 4,3 (intervalle de confiance à 95 % [IC95] : 2,4-7,6), par rapport aux sujets contrôle ayant reçu 3 doses, et par 4 (IC95 : 2,2-7,5) comparé aux personnes ayant reçu la 4e dose 3-7 jours auparavant. En ce qui concerne les infections, le premier groupe (4e dose reçue plus de 12 jours avant) avait un taux d’infections divisé par 2 (IC95 : 2,0-2,1) par rapport au groupe avec 3 doses, et divisé par 1,9 (IC95 : 1,8-1,9) par rapport au groupe ayant reçu la 4e dose 3 à 7 jours avant. Ce délai (12 jours) paraît toutefois trop court pour tirer des conclusions sur l’efficacité d’un 2e rappel sur un plus long terme…
Une baisse de la protection après la 3e dose ?
Selon la Drees, après 3 doses de vaccin le niveau de protection contre les hospitalisations causées par omicron chez les 80 ans et plus resterait élevé ; toutefois, on constate une légère baisse à distance du de l’injection : la protection contre l’hospitalisation conventionnelle passerait de 77 % chez les 80 ans et plus l’ayant reçu moins de 3 mois auparavant à 71 % chez ceux l’ayant reçu il y a plus de 3 mois (données du 18 mars, voir figure ci-dessous). La diminution est plus marquée chez les 60-79 ans, passant de 83 % (rappel de moins de 3 mois) à 66 % (rappel de plus de 3 mois).
Par ailleurs, d’après le COSV, les données de Covidtracker montrent une légère tendance à l’augmentation des hospitalisations des plus de 80 ans (vaccinés à 3 doses) depuis janvier.
Figure (source : Drees)
Quel intérêt en population générale ?
Une étude israélienne récemment parue dans le NEJM a analysé l’immunogénicité et l’efficacité d’une 2e dose de rappel réalisée avec Pfizer ou Moderna (après un schéma à 3 doses par Pfizer), chez 154 professionnels de santé de 30 à 85 ans (âge médian : 61 ans). Les tests de neutralisation 1 à 2 semaines après la 4e dose ont montré que celle-ci entraînait une augmentation considérable des titres d’anticorps (quel que soit le vaccin), avec une activité neutralisante contre omicron. L’efficacité de cette 4e dose contre une infection par omicron (test PCR positif) est néanmoins décevante : elle baisserait le risque d’infection de seulement 30 % pour Pfizer et 11 % pour Moderna (18,3 % des participants ayant reçu Pfizer ont été infectés et 20,7 % dans le groupe Moderna, contre 25 % dans le groupe contrôle ayant un schéma à 3 doses). De plus, les participants infectés (cas légers voire asymptomatiques dans la majorité des cas) étaient potentiellement contagieux, et avaient des concentrations virales relativement élevées. Le bénéfice individuel et collectif (en termes de transmission virale) des adultes jeunes semble donc incertain à ce jour.
L’Agence européenne du médicament (EMA) a également exprimé un avis réservé sur l’administration d’un 2e rappel en population générale, évoquant le manque de preuves (conférence de presse du 17 mars). « L’EMA n’a pas reçu à ce jour une demande d’approbation pour un 2e rappel », d’après le Dr Marco Cavaleri (chef de la stratégie vaccinale de l’EMA), qui a ajouté qu’au printemps l’agence évaluera les données qui seront alors disponibles, sur la 4e dose mais aussi sur les vaccins en développement (adaptés avec d’autres valences). « Si les autorités de santé publique envisageront probablement des campagnes de revaccination à l’automne, il est nécessaire de définir une stratégie vaccinale efficace en termes de groupes cibles et de composition [des vaccins] », a-t-il conclu.
Sur ce dernier aspect, des pistes sont en effet en cours : des vaccins spécifiquement conçus contre omicron (mis à point par Pfizer et Moderna) ; un vaccin nasal voire un « pancoronavirus » capable de « couvrir » aussi de futurs variants, qui l’objet de recherches (avec des investissements à hauteur de 50 à 200 millions de dollars), de la part de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses [NIAID] et de la Coalition mondiale pour les innovations en matière de préparation aux épidémies [CEPI])…
Laura Martin Agudelo et Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
HAS. Covid-19 : un second rappel réservé aux personnes les plus à risque. 18 mars 2022.
Mallapaty S. Fourth dose of COVID vaccine offers only slight boost against Omicron infection.Nature 23 février 2022.
Ministère des solidarités et de la santé. Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Opportunité de la mise en place d’une seconde dose de rappel vaccinal. 18 février 2022.
Bar-On YM, Goldberg Y, Mandel M. Protection by 4th dose of BNT162b2 against Omicron in Israel.MedRxiv 1er février 2022.
Sealy A, Hassan C, Gumbrecht J. Pfizer/BioNTechn seek FDA authorization for fourth Covid-19 vaccine doses for people 65 and up.CNN health 16 mars 2022.
Drees. La protection apportée par la dose de rappel du vaccin contre le Covid-19 s’atténue après 3 mois pour les seniors. 18 mars 2022.
Regev-Yochay G, Gonen T, Gilboa M, et al. Efficacy of a Fourth Dose of Covid-19 mRNA Vaccine against Omicron.New Engl J Med 16 mars 2022.
European Medecines Agency. EMA regular press briefing on COVID-19. 17 mars 2022.
Waltz E. Does the world need an Omicron vaccine ? What researchers say.Nature 28 janvier 2022.