Administrée dans des pays comme Israël ou le Chili aux personnes âgées et aux professionnels de santé, cette 4e dose fait débat dans la communauté scientifique. Quelles sont les toutes dernières données israéliennes sur son efficacité ? Que sait-on aujourd’hui de la durée de protection conférée par la 3e dose, notamment contre omicron ? Une stratégie fondée sur des rappels répétés tous les 6 mois est-elle réaliste ?
Proposée déjà dans plusieurs pays (aux plus de 60 ans, aux personnes à haut risque et aux soignants), la 4e dose n’est pas recommandée actuellement en France : le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale (COSV) considère dans son dernier avis (19 janvier 2022) « que les données disponibles n’appellent pas actuellement à la mise en place d’un second rappel vaccinal », sauf chez les personnes immunodéprimées.
Mais cette stratégie de « rappels sans fin » adoptée par certains pays est-elle réellement viable à long terme ? « Il s’agit d’un territoire totalement inconnu pour la vaccinologie », soulignait le Dr Danny Altmann (immunologiste à l’Imperial College de Londres) dans une interview récente pour Nature News, « un programme de rappels fréquents s’est imposé de facto comme mesure d’urgence, mais cela ne semble pas être la meilleure voie ».
Tout d’abord parce que le bénéfice individuel en population générale est insuffisant, en l’état actuel des connaissances, comme l’a souligné COSV dans son avis : « Pour l’instant, aucun élément d’information consistant ne suggère que la protection contre la survenue de formes graves conférée par un [premier] rappel vaccinal diminue dans le temps. » Les données françaises publiées début janvier par la Drees indiquent en effet que, chez les personnes de 80 ans et plus (qui ont donc reçu le rappel il y a plus de 3 mois, majoritairement en septembre et octobre), la 3e dose divise par 4 le risque d’hospitalisation pour Covid, et par plus de 6 par rapport aux non-vaccinés.
Des données anglaises de vie réelle récemment publiées dans Nature confortent aussi l’idée d’une protection durable conférée par un rappel avec vaccin à ARNm contre les formes graves : entre 97 % et 99 % contre l’hospitalisation et le décès, pour toutes les classes d’âge et quel que soit le type de vaccin utilisé en primovaccination, sans signe d’affaiblissement jusqu’à 10 semaines après l’injection (suivi arrêté début décembre 2021). De plus, le dernier rapport de la UK Health Security Agency (27 janvier 2022) indique que l’efficacité vaccinale contre l’hospitalisation liée à une infection par omicron est maintenue autour de 80 % 10 à 14 semaines après un rappel avec Pfizer (v. graphiques), et d’autres données encore à confirmer semblent indiquer que cette protection se maintiendrait à 75-85 % à 4-6 mois du rappel, versus 50 % contre l’infection symptomatique (v. tableau).
Comment un vaccin peut-il être efficace contre les formes graves mais pas contre l’infection ? Des données suggèrent que cela passe par l’immunité cellulaire. Or une étude sud-africaine qui vient d'être publiée dans Nature a décelé un maintien, chez des patients primovaccinés, de 70 à 80 % de la réponse des cellules T CD4 et CD8 contre la protéine Spike des différents variants étudiés, et l’ampleur de la réaction des cellules T contre omicron était similaire à celle observée contre les variants bêta et delta. Ces résultats suggèrent que, en dépit du très grand nombre de mutations dans Spike arborées par omicron (qui diminuent l’activité neutralisante des anticorps), l’immunité cellulaire est capable de reconnaître de manière « croisée » ce variant. De plus, une autre étude (preprint), menée aux États-Unis, suggère que l’injection de rappel augmente considérablement les réponses des lymphocytes T contre la protéine Spike d’omicron. En d’autres termes, une 3e injection suffirait déjà à fournir une immunité durable dans la plupart des cas.
Ensuite, si les données préliminaires communiquées par le ministère de la santé israélien concernant la 4e dose suggèrent une multiplication par 2 de la protection contre l’infection chez les 60 ans et plus, par rapport aux vaccinés avec un seul rappel, la durabilité de cette protection reste à déterminer…
Ainsi, la stratégie des rappels dépendrait de l’effet recherché. Si elle est destinée à prévenir les infections et à ralentir la transmission du virus, le bénéfice de la réitération des doses est très incertain. Mais si l’objectif est de réduire les maladies graves et d’éviter les hospitalisations, les données semblent indiquer que la 3e dose suffit probablement déjà – en tout cas en population générale.
Enfin, l’OMS a également pointé qu’une stratégie fondée sur la répétition des rappels n’est pas envisageable, non seulement pour des considérations d’équité d’accès aux vaccins au niveau mondial, mais aussi au regard de l’évolution du SARS-CoV-2 : une méthode de rappels réitérés avec la composition vaccinale initiale (conçue contre la souche « historique » de Wuhan) n’est ni appropriée ni durable.
Cependant, à cet égard, les pistes sont diverses et tout aussi incertaines : un vaccin spécifiquement conçu contre omicron fait déjà l’objet d’essais cliniques menés par Pfizer et Moderna, avec des résultats attendus pour début 2022, mais ne risque-t-il pas d’être à son tour obsolète lorsqu’il sera disponible ? Un vaccin « pancoronavirus » capable de « couvrir » aussi de futurs variants fait également l’objet de recherches (avec des investissements à hauteur de 50 à 200 millions de dollars, de la part de l’Institut américain des allergies et des maladies infectieuses [NIAID] et de la Coalition mondiale pour les innovations en matière de préparation aux épidémies [CEPI]), mais il n’est pas encore certain qu’il soit possible de le développer…
Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien
Pour en savoir plus :
Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Avis du 19 Janvier 2022 – Opportunité de la mise en place d’une seconde dose de rappel vaccinal. 19 janvier 2022.
Watson C. Three, four or more: what’s the number for booster shots?Nature News, 28 janvier 2022.
Waltz E. Does the world need an Omicron vaccine? What researchers say. Nature News, 28 janvier 2022.
UK Health Security Agency. COVID-19 vaccine surveillance report. Week 4. 27 janvier 2022.
Andrews N, Stowe J, Kirsebom F, et al. Effectiveness of COVID-19 booster vaccines against covid-19 related symptoms, hospitalisation and death in England. Nature Med 14 janvier 2022.
Keeton R, Tincho MB, Ngomti A, et al. SARS-CoV-2 spike T cell responses induced upon vaccination or infection remain robust against Omicron. medRxiv 28 décembre 2021.
Naranbhai V, Nathan A, Kaseke C, et al. T cell reactivity to the SARS-CoV-2 Omicron variant is preserved in most but not all prior infected and vaccinated individuals. medRxiv 5 janvier 2022.