Depuis le 24 juin 2022, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’est plus un droit constitutionnel aux États-Unis. La Cour suprême a en effet annulé l’arrêt Roe v. Wade de 1973, autorisant ainsi chaque État fédéral à légiférer comme bon lui semble sur cette question. Le pays est désormais clivé entre États autoproclamés « pro-vie » (dans lesquels les femmes et les médecins ayant recours ou pratiquant les avortements risquent poursuites et emprisonnement) et États « pro-choix ».


Les femmes résidant dans l’un des 26 États ayant déjà ou projetant de légiférer pour interdire les IVG auront maintenant trois options : avorter illégalement dans des conditions périlleuses, se rendre dans un autre État, ou poursuivre leur grossesse. Dans tous les cas, elles s’exposent à une stigmatisation et à la honte, sentiments d’une autre époque pour une problématique fréquente : dans le monde, plus de 60 % des grossesses non intentionnelles aboutissent à un avortement, qu’il soit légal ou non, médicalisé ou non.1


À l’échelle de la planète, 45 % des avortements sont pratiqués dans des conditions dangereuses, ce qui en fait l’une des premières causes de mortalité maternelle.2 Restreindre l’accès à l’IVG ne réduit pas le nombre de gestes mais diminue la part de ceux réalisés dans des conditions de sécurité, et augmente la morbi-­mortalité maternelle et infantile : risques de complications du geste abortif, de déscola­risation maternelle, de précarité financière, d’être auteur ou victime de violences, de troubles du développement de l’enfant…3,4 Et ce sont essentiellement les populations les plus défavorisées qui sont concernées.


A contrario, la légalisation en 1973 avait permis de réduire le taux de fécondité, en particulier chez les adolescentes américaines, et de faire chuter de 30 % la mortalité liée à une grossesse chez les femmes noires. En Norvège, une étude a montré que l’accès à l’IVG est lié à de plus longues études et à une meilleure performance sur le marché du travail ; il réduit le nombre d’enfants exposés aux maltraitances et vivant sous le seuil de pauvreté. Les « pro-vie » arguent que les femmes s’étant fait avorter éprouveraient un profond regret ; une analyse de l’université de Californie démontre le contraire : l’émotion la plus couramment ressentie est le soulagement ;5 sur 1 000 femmes suivies dans 21 États, 97 % déclarent que l’avortement était la bonne décision, cinq ans après le geste.6


Une fois le constat évident que la limitation de l’accès à l’IVG constitue un désastre sanitaire injustifiable, il s’agit de trouver des solutions palliatives ; certains préconisent notamment que les médecins américains adaptent leurs pratiques en suivant les femmes au décours d’un avortement clandestin (selon le modèle urugayen7), en sachant prendre en charge les complications qui ne manqueront, hélas !, pas de survenir, en analysant les impacts de cette inadmissible régression...8


Bien au-delà d’un droit des femmes à la liberté de choix, l’accès à l’IVG est donc une nécessité sanitaire qu’il convient de protéger comme telle, à la lumière des acquis sans appel de la science ! 

Références

1. Bearak J, et al. Unintended pregnancy and abortion by income, region, and the legal status of abortion: estimates from a comprehensive model for 1990-2019. Lancet Glob Health 2020;8(9):e1152-e1161.
2. https://www.unfpa.org/swp2022/impacts
3. Greene-Foster D, et al. Socioeconomic outcomes of women who receive and women who are denied wanted abortions in the United States. Am J Public Health 2018;108(3):407-13.
4. Greene-Foster D, et al. Comparison of health, development, maternal bonding, and poverty among children born Aafter denial of abortion vs after pregnancies subsequent to an abortion. JAMA Pediatr 2018;172(11):1053-60.
5. https://www.ansirh.org/abortion
6. Rocca CH, et al. Emotions and decision rightness over five years following an abortion: An examination of decision difficulty and abortion stigma. Soc Sci Med 2020;248:112704.
7. Briozzo L, et al. A risk reduction strategy to prevent maternal deaths associated with unsafe abortion. Int J Gynaecol Obstet 2006;95(2):221-6.
8. Grossman D, et al. The impending crisis of access to safe abortion care in the US. JAMA Intern Med. Published online June 23, 2022.