La simple évocation des termes « soins palliatifs pédiatriques »1 entraîne inévitablement un choc : l’impensable, l’irreprésentable, l’indicible aggravation ou la mort d’un enfant, quel que soit son âge, quelle que soit la pathologie qui échappe encore aux immenses progrès de la médecine.
Qu’appelle-t-on « soins palliatifs pédiatriques » ?
Le premier enjeu pour aborder la question des soins palliatifs pédiatriques est avant tout d’essayer de définir le champ d’action dans lequel ils se situent pour pouvoir mieux les appréhender. Ainsi, un groupe d’experts québécois précise : « Les soins palliatifs pédiatriques sont des soins actifs complets, englobant les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle. Le but des soins palliatifs pédiatriques est d’aider à maintenir la meilleure qualité de vie possible à l’enfant et à sa famille ; cela inclut le soulagement des symptômes de l’enfant, des services de répit pour la famille et des soins jusqu’au moment du décès, et durant la période de deuil. Le suivi de deuil fait partie des soins palliatifs, quelle que soit la cause du décès. »2
Les définitions pédiatriques insistent sur la pluridisciplinarité qui se décline dans tous les lieux de soins et les structures médico-sociales, sans oublier l’école et le domicile.3 Les soins palliatifs pédiatriques sont donc indissociables de la famille au sens large. Autre spécificité de la pédiatrie, la relation triangulaire (enfant-parents-soignant) est à prendre en compte dans le parcours de soins, bien souvent complexe, de ces enfants.
Comme chez l’adulte, les soins palliatifs pédiatriques se différencient de la prise en charge de la fin de vie par leur approche plus large. L’intégration de la démarche palliative s’oppose au clivage curatif/palliatif : elle prend en compte l’existence d’un entremêlement des traitements curatifs et des soins de confort, dès le diagnostic d’une pathologie menaçant la vie. Ainsi, la démarche palliative facilite, lorsque le traitement spécifique de la maladie atteint ses limites, le passage progressif aux soins palliatifs.1,4
À qui s’adressent-ils ?
La population d’enfants concernée par les soins palliatifs pédiatriques est variée et concerne l’ensemble des spécialités pédiatriques (tableau 1).2
Ces situations se caractérisent par des durées d’accompagnement variables, parfois très courtes en période néonatale ou très longues, en neurologie par exemple. L’accent est mis sur l’intégration des soins palliatifs car ils font pleinement partie des soins des enfants atteints d’une maladie qui menace ou limite la vie.
L’accompagnement du deuil fait également partie des soins palliatifs afin de soutenir l’entourage si nécessaire.
Le rôle du médecin généraliste
La place du médecin traitant apparaît centrale, au cœur du parcours de soins,en particulierlorsque l’enfant est hospitalisé à domicile. La bonne connaissance de la cellule familiale est un atout majeur dans l’accompagnement de l’enfant.
Médecines de ville et hospitalière : une nécessaire coordination
Comme chez l’adulte, il est important de réfléchir à la meilleure coordination possible entre la ville et l’hôpital, ainsi qu’entre les différents acteurs des soins à domicile (infirmier libéral, kinésithérapeute, prestataire, service d’hospitalisation à domicile [HAD], etc.).
Tous ces professionnels participent à l’élaboration du projet de soins et de vie, en restant centrés sur l’enfant et son vécu :
– anticipation des complications ;
– prise en charge des symptômes gênants ;
– accompagnement de l’enfant et de sa famille sur le plan psychosocial ;
– maintien de l’enfant au contact de la société ;
– aide au choix du lieu de vie et de décès.
L’interdisciplinarité est au cœur des pratiques de la démarche palliative ; ces questions nécessitent d’être discutées en réunions pluriprofessionnelles pour ajuster la prise en charge et faire circuler l’information au sein de l’équipe médicale.
Équipe ressource de soins palliatifs pédiatriques : une solution ?
En France, il n’existe pas d’unités de soins palliatifs pédiatriques. Néanmoins, depuis 2010, une équipe ressource régionale de soins palliatifs pédiatriques (ERRSPP) a été créée dans chaque région.
Les ERRSPP sont des équipes pluriprofessionnelles (médecins, infirmiers, psychologues…). Elles ont pour principales missions d’améliorer la prise en charge des enfants et des adolescents confrontés à une maladie grave, menaçant ou limitant la vie ; de proposer un accompagnement aux familles et aux proches. Ces équipes assurent également le soutien de tous les professionnels qui prennent en charge l’enfant (infirmier, kinésithérapeute, médecin traitant…).
Les ERRSPP ont évolué en société savante (2SPP) afin de faciliter l’implantation de chacune d’entre elles. Un site internet fournit des informations générales sur les soins palliatifs pédiatriques et recense les coordonnées de chaque ERRSPP (https://www.2spp.fr/).
Ajuster le projet de soins : entre incertitude et anticipation
L’incertitude est au cœur de la problématique des soins palliatifs, mais l’interdisciplinarité permet de s’ajuster à chacune des situations de manière singulière. La loi du 2 février 2016, dite Loi Claeys-Léonetti, s’applique en pédiatrie, à l’exception des directives anticipées et de la désignation de la personne de confiance qui ne concernent que l’adulte. Quand la maladie de l’enfant s’aggrave, l’ensemble des soignants doit se questionner sur la proportionnalité des soins, et, comme chez l’adulte, être soumis à l’interdiction de l’obstination déraisonnable. Il incombe au médecin référent de l’enfant de prendre des décisions de limitation ou d’arrêt des traitements (LAT), à la suite d’une délibération collégiale, en ayant préalablement recueilli l’avis des parents.
La place des professionnels libéraux dans ces discussions est incontournable. Ils sont souvent source d’informations précieuses sur l’enfant, sa famille, son vécu et son parcours. Les médecins des équipes ressources de soins palliatifs pédiatriques sont, quant à eux, souvent sollicités en tant que « médecins consultants ».
Maladie grave et mort : comment l’enfant perçoit-il ces concepts ?
La survenue d’une maladie grave change profondément l’enfant : il acquiert malgré lui une maturité psychique et est amené à s’interroger sur le sens de sa vie, et plus généralement sur une conception différente de la vie et de la mort.
L’enfant face à la maladie grave
La maladie modifie le rapport au temps, un temps qui n’est plus infini, qui n’est plus dans l’« ici et maintenant », un temps qui s’accélère.
Face à la maladie, l’enfant fait l’expérience de la perte de façon précoce : réduction de contacts avec ses pairs, diminution de sa participation aux activités familiales, restriction de sa mobilité, perte de l’autonomie corporelle. L’enfant peut être traversé par un sentiment d’injustice, et vivre la maladie comme une punition.
La maladie grave de l’enfant nous confronte à différents paradoxes : l’accompagner dans son développement tout en prenant en compte ses dégénérescences ; élaborer un projet de vie malgré la dimension palliative ; savoir reconnaître les manifestations de la maladie tout en soutenant la subjectivité de l’enfant.
Le projet de vie, ajusté et singulier, place l’enfant au centre pour ouvrir des possibles et s’opposer à l’omniprésence du discours médical ou de la mort attendue. Il lui permet d’être acteur de ses soins. En fin de vie, l’instruction est fréquemment sollicitée : cet investissement traduit le besoin de savoirs, le souci de laisser une trace ou encore le souhait de retrouver une position normale d’élève. Le projet de vie permet également un soutien à la parentalité, souvent fragilisée.
Mais un projet de vie, c’est aussi pouvoir envisager la fin de vie, son lieu de survenue, les modalités du mourir.
L’enfant face à la mort
« L’enfant n’est pas un adulte en miniature et on ne saurait s’occuper d’un enfant en fin de vie sans prendre en compte les particularités liées à son développement affectif et intellectuel, à la relation singulière avec ses parents, sa fratrie et ses amis, et enfin à ses désirs et ses besoins. »5
Lorsqu’il s’agit d’un enfant, la mort est insupportable, inconcevable tant elle vient heurter les logiques du temps et des générations. Elle constitue une injustice terrible pour l’enfant, ses parents et les soignants.
Parler à un enfant de sa mort future est une tâche très difficile et douloureuse pour ses proches. Les enfants ont besoin de trouver auprès et autour d’eux des adultes capables de les écouter et de se laisser guider par leurs questions, tout en ayant confiance en leur capacité à s’engager dans ces échanges.
Le silence et le mensonge ont souvent pour motivation la crainte des adultes d’ajouter de l’angoisse. L’enfant mourant se retrouve alors seul avec la mort, qu’il sait présente, près de lui, sans pouvoir en parler. Le silence renvoie le message que la mort est taboue, dangereuse et même trop difficile à accepter pour que les adultes puissent en parler librement.
Pour de nombreux enfants, la mort n’est ni naturelle ni irréversible, et peut être contagieuse. L’évolution du concept de la mort se fait, pour eux, autour de trois notions : l’irréversibilité, l’arrêt de toutes les fonctions et l’universalité, dont la compréhension est différente en fonction de l’âge (tableau 2).
Toutefois, quel que soit son âge, l’enfant a besoin de comprendre ce qu’il vit et d’y trouver un sens : cette compréhension lui permet de devenir acteur de ce qui se passe.1
Que dire à vos patients ?
« L’enfant, quel que soit son âge, a besoin d’informations pour comprendre ce qu’il vit, pour tenter d’y trouver un sens, pour se l’approprier et devenir acteur de ce qui se passe ».[1]
La tentation pourrait être grande de vouloir cacher un diagnostic à un enfant, pour le protéger du caractère traumatisant de l’annonce, avec la volonté de ne pas laisser la maladie faire intrusion dans son univers d’enfant.
En réalité, les silences autour de la maladie sont souvent source d’angoisse pour l’enfant, qui a la capacité de décoder les manifestations non verbales et les attitudes des adultes. Rester dans l’inconnu peut développer un imaginaire parfois angoissant, voire culpabilisant.
Une communication adaptée à sa compréhension et à sa maturité est nécessaire, tout comme le respect de son rythme de pensée et d’expression de ses sentiments, en prenant garde à ne pas l’exposer à nos propres projections.
2. Ministère de la Santé et des Services sociaux. Norme en matière de soins palliatifs pédiatriques. Québec: Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2006.
3. Groupe de travail sur les soins palliatifs pédiatriques de l’Association européenne de soins palliatifs (EAPC). IMPaACCT : des recommandations pour les soins palliatifs pédiatriques en Europe. Eur J Palliat Care 2007;14(3):109-14.
4. Haute Autorité de santé. Organisation des parcours. L’essentiel de la démarche palliative. Décembre 2016.
5. Seigneur E. Comment aborder la mort avec les enfants et les familles ? Bull Cancer 2011;98:581-588.