L’acouphène pulsatile est un son rythmé par les battements du cœur. C’est un diagnostic d’interrogatoire qu’il est important de savoir poser car, à la différence de l’acouphène de timbre continu, l’acouphène pulsatile est curable. La plupart des causes d’acouphène pulsatile relèvent d’un traitement endovasculaire ; le lecteur ne doit donc pas s’étonner que cet article soit rédigé par un neuroradiologue interventionnel.

Qu’est-ce qu’un acouphène ?

Un acouphène est défini comme un son simple perçu en l’absence de son extérieur. L’adjectif « simple » permet de distinguer un acouphène d’une hallucination auditive, qui occasionne un son « complexe ». 

Cette définition générale de l’acouphène doit toujours être complétée par un adjectif qui précise le timbre du son entendu. Le timbre de l’acouphène ne doit pas être confondu avec sa temporalité, c’est-à-dire le caractère permanent ou intermittent. Le timbre le plus fréquent réalise un acouphène continu qui est un son (sifflement ou bourdonnement) que l’on peut représenter par une ligne horizontale « sssssssssssssss ». Il est habituellement perçu dans les deux oreilles, « dans toute la tête », d’après les patients. Il s’agit d’un symptôme-maladie, c’est-à-dire que la cause de ce symptôme est inconnue. Il n’existe pas de traitement capable de  le guérir.

Un acouphène pulsatile(AP) se caractérise par un son rythmé par les battements cardiaques : « pschit-pschit-pschit ». Il est habituellement perçu dans une seule oreille et il a de nombreuses causes curables. L’AP est un diagnostic d’interrogatoire, et tout praticien consulté pour acouphène peut l’établir pourvu qu’il fasse préciser au patient « ce qu’il entend ». L’écoute du patient est souvent très informative, et des phrases telles que « j’entends battre mon cœur dans une oreille », « j’entends le bruit d’un vaisseau » ou « j’entends comme le bruit du Doppler pendant ma grossesse » sont très souvent rapportées par les patients ayant un AP. 

Pour confirmer le diagnostic, il suffit au praticien d’imiter, par la voix, un son pulsatile. 

Une fois le diagnostic d’AP établi, il convient d’adresser le patient à un service de neuroradiologie interventionnelle spécialisé dans l’exploration et le traitement de ce symptôme. 

En pratique de ville, un acouphène pulsatile de faible intensité peut être perçu transi­toirement à la phase aiguë d’une otite externe et disparaître en quelques jours avec la résolution de l’inflammation ­tympanique. 

Ici, il n’est question que des AP perçus de façon chronique.

Physiopathologie : turbulence et déhiscence

Comprendre l’AP suppose de savoir que tous les « liquides » intracrâniens sont pulsatiles : le sang artériel, le sang veineux et le liquide cérébrospinal (LCS). Chacun de ces liquides peut donc potentiellement occasionner un AP. 

Comment un liquide pulsatile peut-il devenir un jour audible par l’oreille interne, c’est-à-dire par la cochlée ? Il peut s’agir soit d’une augmentation de sa sonorité, soit d’un défaut d’isolation phonique : les deux maîtres-mots sont « turbulence » et « déhiscence » :

  • un écoulement est sonore s’il est turbulent. Une turbulence apparaît lorsqu’un compartiment vasculaire reçoit un flux accéléré ; c’est le cas en aval d’une sténose vasculaire (artérielle ou veineuse) ou en aval de communications artérioveineuses. Une turbulence vasculaire, si elle survient à proximité de la cochlée, peut donc occasionner un AP (une cascade est placée près de la cochlée) ;
  • la déhiscence est la perte de l’enveloppe osseuse qui isole normalement la cochlée des liquides avoisinants. Un liquide pulsatile – même non turbulent – peut devenir audible par défaut d’isolation phonique (le coffrage d’une canalisation est retiré).
 

Le bilan radiologique doit donc rechercher des images de turbulences (IRM des vaisseaux intracrâniens) et des images de déhiscence (scanner des rochers). 

Diagnostic étiologique : clinique et imagerie à l’appui

Le diagnostic étiologique d’un AP s’établit en confrontant les données de deux examens radiologiques non invasifs avec celles d’un examen physique conduit de façon systématique (les cliniciens sont parfois surpris d’apprendre que les neuroradiologues interventionnels disposent d’espaces de consultation dédiés à l’examen de leurs patients !). 

Examen clinique en trois étapes 

L’auscultation doit porter sur l’ensemble du crâne et de la région cervicale, à la recherche d’un souffle qui, s’il est présent, est coté de 1 à 6 (6 étant le maximum) en précisant la région où il est perçu de façon maximale. Tout souffle crânien témoigne de l’existence de turbulences vasculaires et est pathologique. Cependant, la normalité de l’auscultation ne signifie pas que le patient ne souffre pas d’AP ; en effet, la plupart d’entre eux ne s’accompagnent pas de souffle audible à l’auscultation.

La compression manuelle des vaisseaux cervicaux est effectuée lorsque le patient entend son AP, à la recherche de l’interruption du son. Le praticien, placé à l’arrière du patient assis, comprime de façon successive et sélective la veine jugulaire (en dehors des battements de la carotide) puis l’artère carotide commune homolatérales à l’AP. L’interruption de l’AP à la compression d’un de ces vaisseaux signe l’existence d’une cause vasculaire.

Enfin, le test de Weber consiste à placer un diapason vibrant sur le vertex en demandant au patient s’il entend les vibrations de façon identique de chaque côté (réponse normale) ou seulement dans une oreille. 

Ces données cliniques sont capitales puisque le diagnostic étiologique d’AP est rarement établi sur la simple image radiologique : le bilan radiologique d’un AP peut conduire à découvrir une image déviante (c’est-à-dire qui s’écarte de la norme) sans que celle-ci soit à l’origine du symptôme chez le patient exploré, alors qu’elle pourrait l’être chez un autre. C’est particulièrement le cas pour les causes veineuses.

Il faut donc, avant de proposer une inter­vention, s’assurer de la responsabilité de l’image incriminée en croisant les données cliniques aux données radio­logiques. Le meilleur test diagnostique est celui qui permet de supprimer transitoirement l’AP. L’interruption de l’AP à la compression de la veine jugulaire est un prérequis pour considérer la responsabilité d’une image veineuse déviante. Pour certaines causes artérielles, le meilleur test est l’interruption de l’AP à la compression de la carotide commune. Enfin, les causes osseuses donnent lieu à un AP non interrompu par la compression des vaisseaux mais s’accompagnant le plus souvent d’une latéralisation du test de Weber.

Bilan radiologique : IRM des vaisseaux intracrâniens et scanner des rochers

Le bilan radiologique est décidé et prescrit par celui qui a conduit l’examen clinique du patient. Deux examens non invasifs permettent le diag­nostic de la quasi-totalité des causes d’AP, pourvu qu’ils soient réalisés en suivant un protocole précis.Une IRM doit explorer les vaisseaux intracrâniens et non le parenchyme cérébral — qui n’est jamais en cause dans l’AP. Trois séquences sont nécessaires et suffisantes : un grand 3D ToF (time of flight) non injecté coupant de la vertèbre C2 au vertex, une séquence T2 sur les conduits auditifs internes et une séquence T1 gadolinium MPRAGE.Le plus souvent, cette IRM est complétée par un scanner de l’os temporal. Plus rarement, il est nécessaire d’effectuer un angioscanner des troncs supra-aortiques. 

L’angiographie cérébrale conventionnelle, qui était autrefois l’exploration de référence dans l’AP, n’est plus réalisée que de façon exceptionnelle : essentiellement pour effectuer un test fonctionnel d’interruption de l’AP par inflation d’un ballonnet dans certaines artères lorsqu’une exceptionnelle cause artérielle est suspectée.

Quatre causes principales

Quelle que soit la pathologie à l’origine de l’AP, lorsque celle-ci ne fait courir ­aucun risque vital ou fonctionnel, le traitement n’est décidé qu’en fonction de la gêne que seul le patient peut apprécier. 

Sténose des sinus latéraux

Il s’agit de la cause la plus fréquente d’AP. Les sinus latéraux, droit et gauche, sont les deux axes qui drainent tout le sang veineux de l’encéphale et se poursuivent en région cervicale par les veines jugulaires. La sténose de ces sinus occasionne un phénomène de turbulences qui est perçu habituellement du côté du sinus latéral dominant. Ces sténoses sont de cause inconnue et affectent essentiellement la femme jeune. L’AP est typiquement veineux, c’est-à-dire qu’il s’interrompt lors de la compression de la veine jugulaire homo­latérale, laquelle interrompt le flux dans le sinus sténosé. Les patientes qui en souffrent ont souvent découvert ce moyen de « mettre en pause leur AP » et  s’en servent pour s’endormir en calant un oreiller ou un livre sous la mâchoire : c’est le signe de la cale cervicale. Ces sténoses sinusiennes peuvent se révéler par un AP isolé mais peuvent aussi entraîner une hypertension intracrânienne que l’on disait autrefois « idiopathique » et qui associe des céphalées quotidiennes, une fatigue chronique, des troubles visuels à type de flou visuel et un œdème papillaire au fond d’œil. Ces sténoses sont reconnues sur la séquence T1 gadolinium de l’IRM. 

Les sténoses sinusiennes sont traitables par implantation d’un stent dans le sinus latéral. Le stent redonne au sinus son calibre normal et supprime les turbulences liées à l’accélération du sang. 

Fistules artérioveineuses durales intracrâniennes 

Les fistules artérioveineuses durales intracrâniennes (FAVD) sont des communications artérioveineuses qui se développent à l’âge adulte dans une partie de la dure-mère du crâne, essentiellement celle qui participe à la formation des sinus veineux duraux. Le sang artériel, à haute pression, rejoint le système veineux à basse pression et détermine des turbulences à ce niveau. Les FAVD les plus fréquentes sont celles du sinus latéral. L’auscultation du crâne met souvent en évidence un souffle continu à renforcement systolique maximal au niveau de la mastoïde du côté de l’AP. Le diagnostic est porté sur la séquence 3D ToF qui montre un hypersignal spontané des artères méningées et du sinus latéral. 

Le traitement des FAVD se fait par embolisation, c’est-à-dire par occlusion endovasculaire des communications artérioveineuses.

Déhiscence du canal semi-circulaire supérieur 

La déhiscence du canal semi-circulaire supérieur, appelée aussi syndrome de Minor, réalise une perte de la couverture osseuse qui isole cette partie de l’oreille interne du LCS qui, rappelons-le, est pulsatile. L’AP est fréquemment associé à une autophonie (sensation de résonance de la voix) du même côté et à un syndrome vestibulaire. Cliniquement, l’AP n’est pas modifié par la compression des vaisseaux cervicaux, et le test de Weber est franchement latéralisé du côté de l’AP. Le diag­nostic est établi sur le scanner des rochers qui montre la disparition de la couverture osseuse du canal semi-­circulaire supérieur. 

Le traitement est chirurgical, soit par réfection de la paroi manquante, soit par occlusion du canal semi-circulaire supérieur.

Otospongiose, une maladie inflammatoire 

L’otospongiose est une maladie de l’os temporal qui réalise des foyers inflammatoires contenant des micro-vaisseaux au contact de la cochlée. Elle est habituellement révélée par une surdité de transmission par ankylose de l’étrier, mais aussi par la présence d’un acouphène pulsatile sans hypo­acousie. Les compressions vasculaires sont ici sans effet sur l’AP. L’otospongiose est diag­nostiquée sur le scanner des rochers sous la forme d’une hypodensité de l’os temporal interposée entre vestibule et cochlée. 

Le traitement est chirurgical par coagulation des vaisseaux inflammatoires. 

Un tiers des AP n’ont pas de cause retrouvée ! 

Nous avons répertorié trente-deux causes d’AP dans notre série, et il n’est pas utile de toutes les énumérer. Elles peuvent toutes être diagnostiquées par le bilan radiologique mentionné précédemment. Il faut savoir que, dans notre expérience, 30 % des AP restent encore sans cause identifiée en dépit d’un bilan exhaustif.

L’AP doit être reconnu et distingué de l’acouphène continu : quelques secondes d’écoute et l’imitation du son par le praticien peuvent tout changer à la souffrance d’un patient. 

Encadre

Que dire à vos patients ? 

En cas d’acouphène pulsatile, il est possible de prendre rendez-vous dans un centre de neuroradiologie interventionnelle spécialisé dans l’exploration de ce symptôme.

Le bilan radiologique est non invasif.

Une cause traitable peut être retrouvée dans 70 % des cas.

Une association de patients existe : « Acouphènes pulsatiles, le droit à l’écoute » (contact : stephanie.degaine@gmail.com

Pour en savoir plus 
Cours accessibles en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=wpI3Ex2Q3oo 
Houdart E, Londero A. Acouphènes objectifs. EMC Oto-rhino-laryngologie 2022;0(0):1-8. 
Houdart E, Labeyrie MA, Saint-Maurice JP, et al. Fistules artérioveineuses durales intracrâniennes. EMC Neurologie 2017;0(0):1-8.

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essentiel

L’acouphène pulsatile est un son perçu de façon synchrone aux battements cardiaques.

C’est un diagnostic d’interrogatoire que tout praticien peut établir.

Un souffle entendu à l’auscultation crânienne est toujours pathologique.

L’interruption de l’acouphène par la compression cervicale signifie qu’il existe une cause vasculaire.