L’acouphène est un symptôme oto-neurologique défini comme « une sensation auditive sans stimulation sonore extérieure, qui peut être vécue comme une expérience désagréable pouvant impacter la qualité de vie ».1 Deux types d’acouphènes sont couramment décrits : ceux, rares et parfois enregistrables, dits « objectifs » (pulsations vasculaires, claquements musculaires) [voir Rev Prat Med Gen 1083 ;38 :41 - 3] et ceux, plus fréquents (95 % des cas),2 non enregistrables, dits « subjectifs ». Ces derniers, sujet de cette Mise au point, s’accompagnent généralement de signes otologiques ou neurologiques témoignant d’un dysfonctionnement du système auditif. Les acouphènes sont majoritairement bien tolérés : ils sont alors compensés. Cependant, ils peuvent parfois devenir intrusifs et affecter sévèrement la qualité de vie en provoquant des troubles du sommeil et de l’attention, voire de véritables réactions anxiodépressives : on parle alors d’acouphène décompensé. Largement répandus dans la population générale mais sous-diagnostiqués, les acouphènes concerneraient 14,4 % de la population adulte et 13 % des enfants et adolescents. Ils peuvent apparaître à tout moment de la vie, mais leur fréquence augmente avec l’âge. L’acouphène décompensé affecterait 1 à 2 % de la population.3 

L’oreille : un organe complexe et fragile

L’oreille externe capte l’onde sonore et la concentre vers l’oreille moyenne. Le système tympano-ossiculaire transmet l’onde de pression à l’oreille interne, où les cellules ciliées assurent l’amplification et la transduction du son en message nerveux. Celui-ci est transmis par le nerf auditif au tronc cérébral, qui localise et sélectionne les informations sonores. Le cortex auditif les décode. Ce  système est en connexion avec le système limbique, expliquant la mémorisation et la valence émotionnelle des sons. Ce sont les altérations structurelles ou fonctionnelles de ce système fragile et complexe qui expliquent les acouphènes subjectifs.

Il n’y a pas qu’un seul type d’acouphène !

Acouphènes dits « subjectifs »

Quelle qu’en soit l’origine, 85 % des patients ont un déficit auditif de sévérité variable. Les acouphènes subjectifs sont donc associés à une altération du système auditif périphérique. Cette désafférentation sensorielle induirait une plasticité dysfonctionnelle des voies auditives centrales, expliquant la perception de l’acouphène et la gêne induite. De nombreuses pathologies peuvent causer un acouphène subjectif (tableau 1). L’examen clinique, l’audiométrie et l’imagerie permettent le plus souvent de poser le diagnostic et d’envisager un traitement étiologique.

Acouphènes pulsatiles

Il est primordial de reconnaître les acouphènes pulsatiles (AP) car ils sont généralement curables par des traitements neurovasculaires (embolisations, stents) ou chirurgicaux. L’auscultation cervicale et crânienne associée aux manœuvres de compression des vaisseaux cervicaux permet ainsi de distinguer les AP veineux des AP artériels. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) spécialisée (3D ToF, T1 injectée en écho de gradient et T2 CISS) permet de déterminer une cause curable dans près de deux tiers des cas. Si elle est normale, une tomodensitométrie (TDM) des rochers et une angio-TDM des troncs supra-aortiques sont requises. Le doppler est quant à lui inutile.2,4 

Acouphènes rythmiques

Ils correspondent à des clonies musculaires situées :

  • près de l’oreille (voile du palais, nasopharynx) avec visualisation de la contraction musculaire par examen endobuccal ou nasofibroscopie ;
  • dans l’oreille (muscles du marteau et étrier) avec mobilisation du tympan visible à l’otoscopie.
 

Le traitement spécialisé repose sur les myorelaxants, la toxine botulique ou la chirurgie.5 

Bilan clinique : examiner et évaluer le retentissement

Anamnèse et examen clinique

L’interrogatoire minutieux permet d’évaluer les circonstances d’apparition et le mode d’évolution du symptôme, ainsi que les pathologies associées. Les caractéristiques psychoacoustiques de l’acouphène doivent être précisées : uni- ou bilatéral, intensité, tonalité (sifflement, bourdonnement, pulsations, claquements), facteurs modulateurs (mastication, mouvements cervicaux, exposition/isolement sonore, etc.) ainsi que la présence de signes cliniques ORL (hypoacousie, vertiges, hyperacousie, plénitude d’oreille) ou neurologiques (céphalées, paralysie faciale).

L’examen ORL avec otoscopie permet de rechercher une cause périphérique (bouchon de cérumen, perforation tympanique, otite chronique, etc.). 

En cas de survenue brusque, de céphalées associées ou de suspicion de schwannome vestibulaire, un examen neurologique s’impose. Il est indispensable d’ausculter le crâne et les vaisseaux cervicaux si l’acouphène est pulsatile synchrone au pouls, et d’effectuer une nasofibroscopie pour les perceptions cloniques.6 

Retentissement de l’acouphène

Le retentissement sur la qualité de vie est un point important à aborder. Il peut être apprécié par des questionnaires dédiés comme le Tinnitus Handicap Inventory (tableau 2),7 évaluant la sévérité et le retentissement de l’acouphène dans trois domaines : émotionnel, fonctionnel et « catastrophique. » Les échelles visuelles analogiques permettent également de quantifier facilement l’intensité de l’acouphène et la gêne induite.

Quel bilan complémentaire ?

La prescription d’examens complémentaires est raisonnée : ils ne sont pas tous systématiques.

Bilan otologique pour tous 

Une audiométrie avec courbes tonale (sons) et vocale (mots) est indiquée, même sans hypoacousie ressentie. L’audiométrie permet également de comparer l’acouphène à des fréquences données, pour en préciser le timbre et l’intensité subjective (acouphénométrie). Si besoin, l’audiogramme conduit à d’autres examens spécialisés (impédancemétrie, potentiels évoqués…).

Imagerie uniquement en cas d’asymétrie des symptômes

Toute symptomatologie auditive unilatérale ou bilatérale asymétrique justifie une imagerie : IRM cérébrale injectée avec coupes millimétriques sur les conduits auditifs internes et angles ponto-cérebelleux. Elle recherche des lésions comme un schwannome de l’acoustique ou une boucle vasculaire. En cas de pathologie pressionnelle ménièriforme, une IRM injectée avec temps tardifs (protocole hydrops) est indiquée. En présence d’une surdité de transmission avec suspicion d’otospongiose ou de déhiscence du canal semi-circulaire supérieur, une TDM des rochers est plus informative.

Acouphènes subjectifs : une prise en charge pluridisciplinaire

En cas d’installation récente, la prise en charge est curative et repose idéalement sur un traitement étiologique : corticothérapie pour traumatisme sonore ou surdité brusque, traitement d’une perforation tympanique, d’un hydrops…

La priorité doit toujours être donnée au traitement étiologique, mais souvent il n’existe pas de solution radicale permettant de restaurer ad integrum la fonction auditive et de faire disparaître l’acouphène. L’objectif est alors de favoriser les processus d’adaptation et de négligence vis-à-vis de l’acouphène et de l’intégrer comme un son neutre dans l’environnement sonore ambiant. Cela relève d’une prise en charge multidisciplinaire, analogue à celle des syndromes douloureux chroniques.

Expliquer 

Expliquer les mécanismes physiopathologiques des acouphènes et l’objectif des examens et traitements est indispensable et bénéfique. Ceci permet de réduire les pensées dysfonctionnelles (« On n’y peut rien », « Cela va s’aggraver ») et donc de rompre le cercle vicieux auto-entretenu entre anxiété et focalisation attentionnelle. Les messages négatifs (« Il faut vivre avec », « C’est dans votre tête ») doivent être impérativement bannis de la relation thérapeutique.

Traitement médicamenteux : pas d’AMM dans cette indication

Aucun traitement pharmacologique n’a d’autorisation de mise sur le marché (AMM) mentionnant les acouphènes, et les études n’ont pas mis en évidence d’efficacité spécifique des très nombreuses molécules testées.8 Néanmoins, dans le respect des contre-indications, un traitement temporaire par anxiolytique, hypnotique, voire antidépresseur, peut être parfois proposé pour favoriser le sommeil et baisser l’état de tension psychique. Compléments alimentaires (vitamines, minéraux) ou phytothérapie (extrait de Ginkgo biloba) sont parfois utilisés, avec un probable effet placebo, sans niveau de preuve.

Appareiller en cas d’hypoacousie

En cas d’hypoacousie, la restauration de la fonction sensorielle constitue un pilier du traitement des acouphènes.9 L’adaptation des aides auditives se fait en collaboration étroite avec les audioprothésistes spécialisés.

Concurrencer l’acouphène pour soulager 

L’utilisation prolongée et régulière de stimulations sonores neutres (bruits blancs, sons d’ambiance naturels délivrés par des bruiteurs, des applications mobiles ou les audioprothèses) permet de concurrencer la perception de l’acouphène pour le rendre moins intrusif et favoriser ainsi sa négligence. Cet enrichissement sonore permet aussi de soulager l’intolérance aux bruits (hyperacousie) associée à l’acouphène.

Abord psycho-comportemental : à ne pas négliger !

Certains patients très invalidés développent des comportements contre-productifs (surprotection, évitement), des cognitions négatives (crainte de tumeur, d’aggravation, de surdité, etc.) et une focalisation attentionnelle. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) agissent sur ces dysfonctionnements. L’analyse des distorsions cognitives, la relaxation, la mise en place de stratégies d’adaptation sont les méthodes utilisées.10 Huit à dix séances de TCC peuvent suffire. Un avis psychiatrique préalable doit être sollicité en cas de trouble dépressif réactionnel sévère.

De nouvelles thérapeutiques à venir ?

Porteuses d’espoir, les techniques de neuromodulation électrique, magnétique ou bimodale restent encore du domaine de la recherche clinique. 

Encadre

Que dire à vos patients ? 

  • Les acouphènes sont fréquents et leurs causes nombreuses, le plus souvent liées à une lésion du système auditif périphérique : la plus commune est la perte d’audition, même minime.
  • Le retentissement est variable selon les patients. L’intolérance aux acouphènes chronicisés s’expliquerait par un défaut d’adaptation et un traitement dysfonctionnel du message auditif dans les voies auditives cérébrales. Cette situation clinique est analogue à celles des douleurs chroniques, en particulier après amputation.
  • Aucun médicament ne fait disparaître les acouphènes, mais l’intolérance induite par ces derniers peut être prise en charge.
  • La prise en charge est fondée sur des techniques d’adaptation, afin d’intégrer l’acouphène dans l’environnement sonore en limitant son caractère intrusif.
  • Il faut aussi absolument rassurer le patient pour éviter (notamment sur terrain anxieux) l’enkystement de distorsions cognitives et pensées dysfonctionnelles.
  • Les médecines alternatives (compléments alimentaires, phytothérapie, techniques de relaxation) peuvent être envisagées en complément si le patient est demandeur, sous couvert d’un suivi médical et après information (pas de preuve d’efficacité démontrée, non dénuées de risques).
  • Des associations de patients peuvent être sollicitées, comme France Acouphènes https ://www.france-acouphenes.org
Références 
1. Noreña AJ, Lacher-Fougère S, Fraysse MJ, et al. A contribution to the debate on tinnitus definition. Prog Brain Res 2021;262:469‑85. 
2. Houdart E. Acouphène pulsatile. Rev Prat Med Gen 2024;38(1083):41-3.
3. Jarach CM, Lugo A, Scala M, et al. Global Prevalence and Incidence of Tinnitus: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Neurol 2022;79(9):888‑900. 
4. Mattox DE, Hudgins P. Algorithm for evaluation of pulsatile tinnitus. Acta Oto­laryngol (Stockh) 2008;128(4):427‑31. 
5. Sinclair CF, Gurey LE, Blitzer A. Palatal myoclonus: Algorithm for management with botulinum toxin based on clinical disease characteristics. The Laryngoscope 2014;124(5):1164‑9. 
6. Cima RFF, Mazurek B, Haider H, et al. A multidisciplinary European guideline for tinnitus: Diagnostics, assessment, and treatment. HNO 2019;67(1):10‑42. 
7. Newman CW, Sandridge SA, Jacobson GP. Psychometric adequacy of the Tinnitus Handicap Inventory (THI) for evaluating treatment outcome. J Am Acad Audiol 1998;9(2):153‑60. 
8. HAS. Commission de la Transparence. Tanakan comprimé enrobé et solution buvable. Juillet 2006.
9. Shekhawat GS, Searchfield GD, Kobayashi K, et al. Prescription of hearing-aid output for tinnitus relief. Int J Audiol 2013;52(9):617‑25. 
10. Fuller T, Cima R, Langguth B, et al. Cognitive behavioural therapy for tinnitus. Cochrane Database Syst Rev 2020;1(1):CD012614.

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essentiel

  Les acouphènes concernent 14 % de la population générale. Leur fréquence augmente avec l’âge.

  95 % sont subjectifs. La première cause est la perte d’audition, même mineure.

  Il est important de repérer les patients en grande détresse et d’établir un bilan du retentissement.

  La suite du bilan est effectuée par un ORL : audiométrie et/ou imagerie.

  En cas de chronicisation, les processus d’adaptation sont favorisés. Aucun médicament n’a d’efficacité démontrée. Un traitement pharmacologique est parfois indiqué contre l’insomnie et l’anxiété ou la dépression réactionnelle.