Un acrosyndrome vasculaire correspond à l’existence de troubles de la microcirculation dans le territoire cutané des extrémités. Il se localise au niveau des doigts et des orteils (cas les plus fréquents), du lobe de l’oreille, du nez ou des organes génitaux externes. Dans un premier temps, il s’agit d’en faire le diagnostic positif (le plus souvent uniquement clinique), avant d’en rechercher la cause qui guidera la prise en charge. Les différentes formes d’acrosyndrome se distinguent notamment par leur caractère paroxystique ou non, et par la prédominance des phénomènes vasomoteurs ou trophiques (tableau 1 et fig. 1).

Phénomène de Raynaud

Il est le plus fréquent des acrosyndromes vasculaires (environ 5 % de la population française), avec une nette prédominance féminine (2 femmes pour 1 homme). Une vasoconstriction paro­xystique des artères distales des mains, et parfois des pieds en est responsable. Le facteur déclenchant est essentiellement l’exposition au froid ou à l’humidité, plus rarement les émotions ou le tabac.

Affirmer le diagnostic par la clinique

Le patient décrit une phase syncopale, lors de laquelle les extrémités blanchissent, et qui permet de poser le diag­nostic (fig. 2). Une phase cyanique puis une phase d’hyperhémie réactionnelle peuvent suivre mais ne sont pas systématiques.

En chercher la cause


Interrogatoire et examen clinique

Ils doivent chercher des arguments en faveur d’un phénomène de Raynaud primitif (parfois appelé « maladie de Raynaud ») ou secondaire (tableau 2). Un déclenchement lors de l’immersion dans de l’eau froide (15 °C) est typique de la maladie de Raynaud alors qu’un déclenchement spontané et l’absence de rémission estivale orientent vers un phénomène de Raynaud secondaire (tableau 3).
En particulier, une connectivite est d’emblée fortement suspectée devant un phénomène de Raynaud secondaire bilatéral : sclérodermie systémique, syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, lupus, syndrome de Sharp, plus rarement dermatomyosite. Il s’agit donc de rechercher la présence de symptômes tels qu’une photosensibilité, des arthralgies, un syndrome sec (xérophtalmie et xérostomie), une faiblesse ou des douleurs musculaires, une dysphagie, des antécédents ou atteintes concomitantes pulmonaires et/ou rénales.
Chez l’homme, les causes de syndrome de Raynaud secondaire sont dominées par les artériopathies, les hémopathies et les causes professionnelles (syndrome du marteau hypothénar, syndrome des vibrations ; encadré 1). Les symptômes sont volontiers unilatéraux ou très asymétriques en cas d’artériopathie et de maladie professionnelle. La manœuvre d’Allen (encadré 2) permet d’objectiver une artériopathie distale.
Dans la grande majorité des cas, les patients sont asymptomatiques entre les crises. La persistance de douleurs digitales en intercritique est en faveur d’une ischémie digitale permanente.

Examens complémentaires

L’indication et la nature des examens complémentaires ne sont pas consensuelles, et doivent être orientées par les éléments cliniques et de l’interrogatoire.
Si le caractère secondaire est fortement suspecté, une consultation spécialisée est indiquée d’emblée.
Si l’examen et l’interrogatoire ne permettent pas d’orienter vers une origine primitive ou secondaire, la question de réaliser un bilan minimal systématique se pose. La Société française de médecine vasculaire a ainsi proposé en 2012 la réalisation d’une capillaroscopie et la recherche d’anticorps anti­nucléaires.1 La capillaroscopie est un examen simple qui permet de visualiser les capillaires périunguéaux sur toute leur étendue par une technique simple de transillumination. Elle est difficile à interpréter chez les patients de peau sombre et chez les travailleurs manuels.
En deuxième intention, l’échographie-doppler des axes vasculaires des membres est très utile dans la recherche étiologique, notamment pour le phénomène de Raynaud unilatéral et lorsqu’il y a une anomalie à l’examen des axes vasculaires.

Prise en charge

Le patient doit être rassuré sur la bénignité de son trouble et la possibilité de guérison spontanée.
Les mesures de protection contre le froid sont indispensables (port de gants, voire de sous-gants de soie lors d’épisodes de froid important). L’arrêt du tabac, du cannabis et des médicaments (vasoconstricteurs, y compris par voie nasale, bêtabloquants) pouvant aggraver le phénomène de Raynaud est également nécessaire.
Dans les formes les plus invalidantes – situation plus fréquente dans les phénomènes de Raynaud secondaires –, un traitement par inhibiteur calcique peut être proposé. Les dihydropyridines (nifédipine 10 mg 3 fois par jour) peuvent être utilisés dans cette indication. Cependant, la nifédipine est rarement supportée chez les patients jeunes ayant une labilité vasomotrice. Le diltiazem est alors une bonne alternative, à la dose de 60 mg 3 fois par jour.
Enfin, dans les formes secondaires, le traitement comprend bien évidemment celui de la cause. En particulier, les objets vibrants sont naturellement à proscrire lorsqu’une cause professionnelle est retenue (déclaration de maladie professionnelle).

Érythromélalgie (ou érythermalgie)

Acrosyndrome rare, il se manifeste de manière paroxystique par des extrémités rouges, chaudes et très douloureuses (fig. 3A). La chaleur est mal supportée ; l’exposition au froid soulage le patient, ce qui est très évocateur du diagnostic. Les pieds sont plus souvent touchés que les mains. Les hommes sont plus concernés par cette pathologie que les femmes. Il existe des formes idiopathiques (parfois familiales), mais cet acrosyndrome peut également être secondaire à un syndrome myéloprolifératif (polyglobulie de Vaquez, thrombocytémie essentielle). Les autres causes sont l’hyperthyroïdie et certains médicaments (notamment les inhibiteurs calciques, l’un des traitements du phénomène de Raynaud).
Dans les formes associées à un syndrome myéloprolifératif, l’aspirine peut apporter un bénéfice clinique.

Engelures

Il s’agit de lésions dermiques inflammatoires bénignes déclenchées par une exposition prolongée au froid humide modéré. Leur évolution est saisonnière et souvent récidivante. Elles touchent les orteils, plus rarement les doigts. Il existe une prédominance féminine, et la pathologie débute souvent à l’adolescence ou chez l’adulte jeune. Des antécédents familiaux sont souvent retrouvés. Sur le plan clinique, il s’agit de papules violacées, douloureuses, œdématiées, qui peuvent évoluer en phlyctènes hémorragiques ou s’ulcérer (fig. 4). Des sensations de prurit ou de brûlures peuvent être décrites par le patient. La guérison est le plus souvent spontanée en deux à trois semaines.
Aucun examen complémentaire n’est indiqué dans les formes typiques. En revanche, dans les formes sévères, atypiques (notamment en cas de survenue estivale), associées à un phénomène de Raynaud, ou d’apparition tardive, un bilan peut être justifié, guidé par le tableau clinique et les éventuels signes associés. La réalisation d’une biopsie cutanée et d’un bilan biologique sont alors utiles pour rechercher une pathologie systémique sous-jacente ou un diagnostic différentiel. Le dosage d’anticorps antinucléaires peut notamment être utile pour rechercher une connectivite. Une cryoglobulinémie, un cryofibrinogène, des agglutinines froides pourront être recherchés, tout comme une vascularite systémique, des embolies de cristaux de cholestérol et une thrombophilie. Il s’agit également de recenser les facteurs de risque cardiovasculaire associés et la prise de médicaments.
La prise en charge repose sur des mesures d’éviction du froid et du tabac ainsi que sur l’administration de crèmes émollientes. Les dermocorticoïdes peuvent être prescrits lors de poussées invalidantes. L’utilisation de vasodilatateurs (inhibiteurs calciques) peut être discutée en cas d’échec des mesures précédentes.

Acrocyanose

L’acrocyanose essentielle est une maladie bénigne caractérisée par un acrosyndrome vasculaire permanent bilatéral. Elle débute le plus souvent avant 30 ans et touche davantage les femmes, notamment minces ou ayant perdu du poids récemment (anorexie mentale). Les mains, et plus rarement les pieds, sont constamment violets, froids, œdémateux et moites, sans douleur associée (fig. 3B). Les symptômes s’aggravent avec le froid et la déclivité. L’hyperhidrose palmaire, fréquemment observée, peut être socialement gênante et requérir un traitement spécifique.
Une association avec un phénomène de Raynaud ou des engelures est possible.
Aucun examen complémentaire n’est indiqué en cas d’acrocyanose isolée.
Il est recommandé au patient de se protéger du froid. Il n’existe pas de traitement pharmacologique améliorant la symptomatologie. Il convient cependant de traiter une cause éventuelle d’amaigrissement.

Acrocholose

Acrosyndrome permanent, il est caractérisé par une sensation désagréable d’extrémités chaudes, sans modification de leur couleur cutanée. Il est le plus souvent associé à une pathologie neurologique avec atteinte végétative ou sensitive, ou à une insuffisance veineuse chronique.

Ischémie et nécrose digitales

L’ischémie digitale se caractérise par un doigt froid, algique et cyanique pendant une période prolongée. Elle résulte d’un déficit de perfusion sanguine lié à un processus thrombotique ou embolique. L’évolution est caractérisée par la survenue d’une nécrose digitale en cas de persistance du défaut de perfusion. C’est donc une urgence vasculaire, qui nécessitennt d’obtenir la reperfusion, de manière interventionnelle ou médicamenteuse, selon la cause.
Les principales causes des ischémies et nécroses digitales sont les connectivites (phénomène de Raynaud sévère de la sclérodermie), les artériopathies professionnelles, les vascularites systémiques (maladie de Buerger chez le sujet de moins de 45 ans avec intoxication tabagique importante), les emboles (cardiopathie emboligène, maladie des emboles de cholestérol), l’athérome (principale cause pour les membres inférieurs), les syndromes myéloprolifé­ratifs, les syndromes paranéoplasiques.
Encadre

1. Syndrome de Raynaud secondaire : deux principales causes professionnelles

Syndrome du marteau hypothénar

Cette pathologie s’observe chez les sujets utilisant leur éminence hypothénar comme un marteau dans le cadre d’une activité professionnelle (métallurgistes, maçons, carreleurs, couvreurs, menuisiers, carrossiers) ou sportive (base-ball, volley-ball, karaté, badminton). Les microtraumatismes répétés de l’éminence hypothénar provoquent la formation de lésions artérielles anévrismales au niveau de la terminaison de l’artère ulnaire.

La manœuvre d’Allen (encadré 2) permet d’objectiver l’artériopathie ulnaire distale.

L’échographie-doppler artériel est l’examen de choix pour détecter l’anévrisme ulnaire thrombosé ou non. Sous réserve d’une exposition minimale de cinq ans et d’une artériographie en faveur, la reconnaissance en maladie professionnelle doit être demandée (tableau n° 69 du régime général).


Syndrome des vibrations

Lié à l’utilisation d’engins vibrants (tronçonneuse, marteau-piqueur), ce syndrome se caractérise par des manifestations vasculaires (phénomène de Raynaud) et neurologiques (paresthésies et/ou hypoesthésie pulpaires permanentes). Sous réserve d’une exposition d’au moins cinq ans, la reconnaissance en maladie professionnelle doit être demandée (tableau n° 69 du régime général).

Encadre

2. Diagnostic clinique d’une artériopathie distale : la manœuvre d’Allen

La manœuvre d’Allen permet d’objectiver une artériopathie distale. Elle se déroule comme suit :

– demander au patient de serrer la main très fortement à plusieurs reprises pour vider le sang veineux ;

– comprimer l’artère radiale et l’artère ulnaire au poignet ;

– faire ouvrir la main, qui apparaît blanche ;

– lever la pression sur l’une des deux artères comprimées.

Le résultat est normal si la main se recolore rapidement (< 5 secondes) ; il est pathologique en cas d’inhomogénéité ou de retard de recoloration.

– répéter la manœuvre pour la deuxième artère.

Encadre

Que dire à vos patients ?

Le phénomène de Raynaud est un trouble bénin.

S’il est invalidant, il est possible d’associer un traitement par inhibiteur calcique aux mesures de lutte contre les facteurs déclenchants (froid, vasoconstricteurs).

Une forme atypique doit faire rechercher une forme secondaire : artériopathie, hémopathie, maladie professionnelle.

L’ischémie digitale est une urgence vasculaire.

Pour en savoir plus
Pistorius MA, Carpentier PH, et le groupe de travail « Microcirculation » de la Société française de médecine vasculaire. Bilan étiologique minimal du phénomène de Raynaud : un consensus d’experts. Ann Dermatol Venereol 2013;140(8-9):549-54.
LeRoy EC, Medsger TA Jr. Raynaud’s phenomenon: a proposal for classification. Clin Exp Rheumatol 1992;10(5):485-8.
Thompson AE, Pope JE. Calcium channel blockers for primary Raynaud’s phenomenon: a meta-analysis. Rheumatology 2005;44(2):145-50.
Senet P. Diagnostic des acrosyndromes vasculaires. Ann Dermatol Venereol 2015;142(8-9):513-8.

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essentiel

Déterminer le caractère paroxystique ou permanent d’un acrosyndrome et ses facteurs déclenchants éventuels permet d’orienter le diagnostic étiologique et la prise en charge.

Le phénomène de Raynaud est la cause la plus fréquente d’acrosyndrome vasculaire.

Une atteinte des pouces, l’asymétrie des lésions et un âge tardif de début des symptômes doivent faire suspecter un phénomène de Raynaud secondaire.

Réaliser la manœuvre d’Allen permet de détecter une artériopathie distale.