Pour l’essentiel, la prise en charge repose sur le traitement symptomatique des défaillances d’organe dont l’assistance circulatoire mécanique est le volet le plus agressif.
Les intoxications médicamenteuses sont une cause fréquente de recours aux services d’urgence (v. tableau). Les progrès constants de la réanimation ont drastiquement diminué la mortalité intrahospitalière. Cependant, il existe encore des situations critiques liées à la toxicité des produits ingérés ou aux comorbidités de l’intoxiqué. Le succès de la prise en charge des victimes repose sur la rigueur des démarches diagnostique et thérapeutique. Les deux écueils à éviter sont la confiance aveugle en l’analyse toxicologique et la croyance qu’il faille toujours recourir au traitement par antidote quand il existe.
Or le clinicien peut se sentir perdu devant la multitude de produits possiblement impliqués avec, pour certains, des prises en charge spécifiques. C’est pourquoi il convient de rappeler que les centres antipoison sont des structures d’expertise toxicologique répondant 24 heures sur 24 aux demandes de conseil du grand public comme des professionnels.
Parmi les nombreuses avancées apparues ces dernières années, nous avons choisi de développer quatre sujets : la décontamination digestive car il existe toujours dans la pratique clinique des déviations vis-à-vis des recommandations ; les intoxications par les solutions hydro-alcooliques ; les intoxications par les molécules apparentées aux benzodiazépines car leur fréquence et sévérité potentielle sont largement sous-estimées ; et le recours de plus en plus fréquent à l’assistance circulatoire extracorporelle dans la prise en charge des intoxications graves par toxiques cardiotropes.

Quelle stratégie de décontamination ?

Pendant plusieurs décennies, toute ingestion de toxique conduisait à la réalisation d’un lavage gastrique, sans tenir compte de la molécule, de la dose, ni du délai. Désormais, le lavage gastrique n’est à discuter que si le pronostic vital est menacé et/ou si le geste est réalisable dans l’heure suivant l’ingestion. Or cette situation est rarement rencontrée. Les troubles de la conscience et l’absence de protection des voies aériennes en constituent une contre-indication formelle, de même que l’ingestion d’hydrocarbures, de produits caustiques ou moussants et les antécédents chirurgicaux digestifs hauts. Par ailleurs, les traitements évacuateurs par vomissements provoqués ou irrigation intestinale sont désormais abandonnés.
En revanche, la décontamination digestive au charbon activé est à considérer de façon plus large si le patient est exposé à une dose toxique avec cependant une attention pour éviter les fausses routes en cas de troubles de la conscience ou de la déglutition. Certains toxiques ne sont pas adsorbés par le charbon activé : cyanure, alcools, glycols, métaux. L’administration d’une dose de charbon activé est à considérer dans le délai le plus précoce possible. La dose préconisée est de 50 g chez l’adulte ou 1 g/kg chez l’enfant. L’administration répétée de charbon activé (25 à 50 g ou 0,5 g/kg toutes les 4 heures) est à envisager en cas d’intoxication par des médicaments à demi-vie longue, ou ayant un cycle entéro-hépatique ou entéro-entérique. Les effets indésirables sont les nausées et vomissements, avec risque d’inhalation bronchique, et la constipation.

Nouveaux aspects liés à l’évolution des produits et des prescriptions

L’introduction de nouveaux produits, les évolutions du cadre de prescription, ont modifié la prévalence et le pronostic des intoxications. Deux exemples sont marquants.

De la crainte des pandémies au mésusage des solutions hydro-alcooliques

Constituant la première ligne de lutte contre les transmissions croisées des agents infectieux, les solutions hydro-­alcooliques sont largement employées dans les structures de soins hospitalières mais aussi par le grand public et dans les milieux scolaires. Ces solutions sont composées d’un à deux alcools, généralement à hauteur de 70 % (éthanol, isopropanol). Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un médicament, l’incidence des intoxications par les solutions hydro- alcooliques a considérablement augmenté. Le centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) du CHU de Lille a recensé 1 496 cas d’intoxication et de mésusage de ces solutions entre 2000 et 2018 avec une augmentation majeure des cas depuis 2009 et la popularisation de ces produits à l’occasion de la pandémie de grippe A (H1N1).
Parmi les personnes intoxiquées 61 % sont des enfants de moins de 5 ans, et 10 % ont plus de 65 ans. L’intoxication est volontaire dans 19 % des cas chez l’adolescent et l’adulte, s’inscrivant dans le cadre de conduites suicidaires ou addictives. Les enfants sont, quant à eux, attirés par l’odeur fruitée de certaines formulations. Une prise en charge en réanimation est nécessaire pour 2 % des intoxiqués. Si la prise en charge est semblable à celle des autres intoxications éthyliques, le clinicien peut être induit en erreur en banalisant le produit, exposant son patient à un défaut de surveillance et un retard de prise en charge. La prévention de ces intoxications repose sur des mesures simples, comme l’utilisation de distributeurs sécurisés, et une vigilance accrue lors de la délivrance aux particuliers de conditionnements supérieurs à 100 mL.

Prescription sécurisée du zolpidem : quel impact sur les intoxications aux benzodiazépines ?

En 2015, plus d’un Français sur 8 avait consommé au moins une benzodiazépine ou molécule apparentée, notamment l’alprazolam, le zolpidem et le bromozépam.1 Afin de réduire le mésusage du zolpidem, une partie de la réglementation des stupéfiants lui est appliquée depuis le 10 avril 2017. Entre 2015 et 2018, le centre antipoison de Lille a été sollicité pour 5 647 cas d’intoxication aux benzodiazépines ; 14 % des cas s’intégraient parmi des poly-­intoxications médicamenteuses. Une réduction de 63 % des cas d’intoxication au zolpidem est observée durant cette période, mais la réduction globale (1 435 en 2015 contre 1 363 en 2018) des intoxications aux benzodiazépines et apparentés s’est limitée à 5 %, le zolpidem étant substitué par d’autres molécules (fig. 1). Avec 57 à 60 cas recensés selon les années, le nombre de cas graves ou de décès n’a pas significativement varié. On peut ainsi s’interroger sur l’intérêt de mesures réglementaires trop ciblées sur une molécule quand le problème est une classe.
La fréquence des intoxications par les benzodiazépines et leur peu de sévérité usuelle explique leur réputation (fausse !) de bénignité. Leur association fréquente à d’autres toxiques dont elles potentialisent les effets, les troubles de la conscience d’apparition retardée avec certaines molécules, les troubles de la déglutition exposant à une pneumonie par aspiration, l’insuffisance respiratoire mal surveillée par l’usage trop rassurant du monitorage de la saturation en O2 restent des pièges cliniques expliquant une mortalité résiduelle indue. L’analyse des pratiques montre encore d’autres problèmes. Les analyses toxicologiques sont trop fréquemment demandées. Le dosage du toxique n’a aucun intérêt dans la prise en charge. La plupart des tests toxicologiques (immunologiques) de routine ne détectent pas les molécules apparentées aux benzodiazépines et peuvent être faussés par l’administration d’antidote, le flumazénil. Celui-ci est trop souvent utilisé en dépit de ses contre-indications : antécédents d’épilepsie, de toxicomanie, de prise chronique de benzodiazépine, co-ingestion d’agents proconvulsivants (antidépresseurs tricycliques notamment), et présence d’un autre toxidrome. Il n’existe aucune étude validant l’administration de flumazénil en dehors d’un test diagnostique, par ailleurs parfois discutable et potentiellement dangereux. Le traitement est donc essentiellement symptomatique, et inclut la protection des voies aériennes au stade de défaillance neurologique.2

Assistance circulatoire : un recours contre les intoxications aux cardiotropes

Bien que de nombreux progrès aient été réalisés dans le traitement spécifique des intoxications médicamenteuses, la prise en charge repose essentiellement sur le traitement symptomatique des défaillances d’organe.
L’assistance circulatoire mécanique (circulation extracorporelle avec oxygénateur à membranes [ECMO] ou extracorporeal life support [ECLS]) en est l’une des modalités les plus agressives disponibles. Le dispositif maintient la perfusion pendant une période suffisante pour permettre l’élimination du toxique et le rétablissement de l’hémodynamique (fig. 2). Son utilisation a augmenté ces dernières années, en particulier chez les patients ayant un choc cardiogénique ou un arrêt circulatoire réfractaire. La revue rétrospective du Consortium de chercheurs en toxicologie (ToxIC) du Collège américain de toxicologie médicale (ACMT) entre janvier 2010 et décembre 2013 a recensé 26 271 expositions toxicologiques, dont seulement 10 (0,0004 %) ont bénéficié d’une assistance circulatoire.3 Une étude observationnelle4 a montré un taux de mortalité significativement inférieur chez les patients intoxiqués par un cardiotoxique traités par cette technique par rapport aux traitements classiques. Ce traitement n’est cependant pas sans complications, notamment rénales, hémorragiques, infectieuses, neurologiques, et ischémiques des membres inférieurs.5 Ainsi, son bénéfice clinique potentiel chez des patients ayant une insuffisance circulatoire réfractaire liée à une intoxication médicamenteuse reste incertain. Distinguer les patients qui bénéficieront de cette technique est donc un défi pour les médecins.

IMPORTANCE DE LA PRÉVENTION

La prise en charge d’un patient intoxiqué fait avant tout appel à des mesures symptomatiques et à une surveillance attentive. En dépit de leur réputation injustifiée de facilité et de leur caractère parfois fastidieux lié à leur fréquence, les intoxications nécessitent une équipe médicale et paramédicale expérimentée ainsi qu’un plateau technique permettant de mettre en œuvre en urgence, quelle que soit l’heure, des techniques sophistiquées de réanimation. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce sont les mesures de prévention appliquées de façon large et persévérante qui permettront, comme par le passé, de diminuer la mortalité et la morbidité des intoxications.
Références
1. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. État des lieux de la consommation des benzodiazépines en France. ANSM, 2017. www.ansm.sante.fr Ou https://bit.ly/2FKR2BL
2. Megarbane B, Donetti L, Blanc T, Chéron G, Jacobs F, groupe d’experts de la SRLF. Intoxications graves par médicaments et substances illicites en réanimation. Réanimation 2006;15:332-42. www.sfrl.org ou https://bit.ly/2U8MPSm
3. Gummin DD, Mowry JB, Spyker DA, Brooks DE, Fraser MO, Banner W. 2016 Annual report of the American Association of Poison Control Centers’ National Poison Data System (NPDS): 34th annual report. Clin Toxicol Phila Pa 2017;55:1072‑252.
4. Masson R, Colas V, Parienti JJ, et al. A comparison of survival with and without extracorporeal life support treatment for severe poisoning due to drug intoxication. Resuscitation 2012;83:1413-7.
5. Pozzi M, Koffel C, Djaref C, et al. High rate of arterial complications in patients supported with extracorporeal life support for drug intoxication-induced refractory cardiogenic shock or cardiac arrest. J Thorac Dis 2017;9:1988‑96.

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