Depuis 2013, la 5e édition du DSM inclut le IGD « internet game disorder » (encadré) mais les critères pour définir le « jeux problématique » ne sont pas totalement consensuels.
Pour mieux caractériser ces troubles, des chercheurs français de l’Université de Bordeaux ont exploré le lien entre usage des jeux vidéo et qualité de vie.
Dans un premier temps, les auteurs ont publié en 2022, dans la revue Addictive Behaviors, une étude sur 256 jeunes de plus de 18 ans (jouant au moins 5 heures par semaine ; 17,5 heures en moyenne) pour explorer leurs motivations, ce qui leur a permis d’identifier trois profils distincts de joueurs (récréatif, compétiteur, « escaper »). Afin d’étudier les liens entre ces différents profils et la qualité de vie, les chercheurs ont mené une grande étude longitudinale sur 5 000 participants (94,7 % d’hommes, âge moyen 21 ans, jouant 74 heures par semaine) combinant des mesures objectives du temps de jeu et des mesures psychométriques.
Pas de lien entre temps passé à jouer et qualité de vie
Les résultats publiés en 2023 dans la revue Computers in Human Behaviors montrent que :
- Les « récréatifs » (joueurs motivés uniquement par les aspects récréatifs) ont un niveau d’addiction faible et un bon niveau de qualité de vie.
- Les « compétiteurs » (ce qui jouent pour obtenir un résultat, améliorer leur score…) ont, malgré un niveau d’addiction élevé, des facteurs protecteurs (estime de soi, caractère extraverti) et un bon score de qualité de vie.
- En revanche, les « escapers », pour lesquels le jeu est une façon de régler les problèmes du quotidien (coping), les fuir (escape) et s’en éloigner, constituent la catégorie avec le risque d’addiction le plus élevé et avec la qualité de vie la plus dégradée ; ce groupe a peu de facteurs protecteurs mais plus de facteurs de risque (mal-être, anxiété, dépression…)
Concernant l’aspect « excessif » de la pratique du jeu vidéo, les auteurs n’ont donc pas retrouvé de différences de temps de jeu hebdomadaire entre les groupes (27,72 heures par semaine en moyenne), alors qu’il existait des différences significatives concernant la qualité de vie !
Ainsi, des joueurs engagés peuvent être impliqués dans des pratiques de jeu intensives sans nécessairement subir de conséquences négatives sur leur qualité de vie. Les « compétiteurs », qui cochent toutes les cases de l’addiction selon les critères internationaux, seraient des « faux positifs » : on peut les comparer aux sportifs de haut niveau chez qui on mesure l’addiction au sport.
Ceci indiquerait que les critères de mesure de l’addiction au niveau des classifications internationales ne sont pas suffisants et qu’un temps passé à jouer n’est pas un indicateur suffisant pour parler d’usage problématique. Il faut en revanche prendre en compte les motivations des joueurs et les raisons de leur engagement dans les jeux, afin d’identifier les personnes à risque.
Limiter le temps : une mesure vouée à l’échec ?
Corollaire de ces résultats : selon les auteurs, les interventions centrées exclusivement sur la réduction du temps de jeux sont vouées à être inefficaces. En effet, chez un jeune « escaper » ayant un mal-être, réduire le temps n’aura pas d’effet car il peut développer une addiction même en cas d’exposition limitée. Au-delà de limiter voire d’interdire, il faut surtout s’intéresser à la raison pour laquelle il joue et, si on détecte une vulnérabilité, il faut l’accompagner et le prendre en charge.
Même si cette étude ne concerne pas les adolescents, les résultats suggèrent que les solutions de « contrôle parental » ne sont pas la panacée dans tous les cas de figure…
Critères de jeux vidéo problématique « internet game disorder »
- Préoccupation pour le jeu
- Symptômes de sevrage lorsque le jeu est supprimé ou impossible (tristesse, anxiété, irritabilité)
- Tolérance : besoin de passer plus de temps à jouer pour satisfaire l’envie
- Incapacité à réduire le temps passé à jouer, tentatives infructueuses d’arrêter de jouer
- Abandon d’autres activités ou perte d’intérêt pour des activités précédemment appréciées, à cause du jeu
- Continuer à jouer malgré la présence de problèmes
- Mentir aux membres de la famille ou à d’autres personnes sur le temps passé à jouer
- Utilisation du jeu pour soulager des états d’âme négatifs, tels que la culpabilité ou le désespoir
- Risque de compromettre ou de perdre un emploi ou une relation à cause du jeu
Selon les critères proposés, un diagnostic d’« internet game disorder » nécessite la présence d’au moins cinq de ces symptômes au cours d’une année. Le trouble peut inclure le fait de jouer sur internet avec d’autres personnes ou en solitaire.
Larrieu M, Billieux J, Décamps G. Problematic gaming and quality of life in online competitive videogame players: Identification of motivational profiles. Addict Behaviors 2022;133:107363.
Larrieu M, Fombouchet Y, Billieux J, et al. How gaming motives affect the reciprocal relationships between video game use and quality of life: A prospective study using objective playtime indicators. Comp Hum Behavior 2023;147:107824.