Objectifs
Repérer, diagnostiquer, évaluer le retentissement d’une addiction à l’alcool.
Expliquer les indications et principes du sevrage thérapeutique.
La consommation excessive d’alcool est un problème majeur de santé publique. La France reste un des pays où l’on consomme le plus d’alcool au monde (malgré une baisse importante, surtout de la consommation de vin). Parmi les 18-75 ans, en 2017, 87 % ont consommé de l’alcool au moins une fois dans l’année ; 21 % déclaraient avoir connu une ivresse pendant la même période et 5 % consommaient six verres ou plus en une même occasion toutes les semaines (consommations ponctuelles importantes, qui exposent à des complications aiguës : accidents, violences) ; 10 % avaient une consommation quotidienne pouvant exposer à des complications somatiques, psychologiques ou ­sociales, notamment si elle est supérieure aux repères acceptables. Les jeunes ont surtout une consommation ponctuelle, irrégulière, qui peut être importante (« binge drinking »).
L’alcool est la deuxième cause de mort évitable après le tabac, avec 41 000 décès par an dus à de nombreuses complications somatiques, psychiatriques et sociales. L’alcool a aussi un poids majeur dans les homicides et les accidents domestiques, du travail et de la route.

Repérer une addiction à l’alcool

Il faut insister sur le repérage précoce (dépistage) du mésusage d’alcool afin de proposer une intervention thérapeutique le plus tôt possible, notamment aux personnes qui consomment trop sans le savoir ou sans se rendre compte des risques avant les complications graves. Dans ce cas, on parle de repérage précoce et d’intervention brève (RPIB).

Quand repérer ?

De façon systématique

C’est le cas :
  • en médecine générale lorsqu’un patient est vu pour la première fois, dans certaines circonstances (certificat d’aptitude sportive, vaccination, grossesse) ;
  • en médecine du travail ;
  • aux urgences (important pour apprécier le risque d’accident de sevrage…) ;
  • en cas d’exposition/vulnérabilité (adolescence, grand âge, précarité, problèmes psychiatriques, autres addictions…) ;
  • lors de la prescription de médicaments incompatibles avec l’alcool.

Devant certains signes ou circonstances non spécifiques

Certains signes non spécifiques peuvent évoquer une consommation excessive d’alcool du fait de leur association ou répétition :
  • troubles socio-familiaux, les plus fréquents et les plus précoces : difficultés conjugales/familiales, violences domestiques, prises de risque (violences publiques, rapports sexuels non protégés…), problèmes financiers chroniques, retentissement professionnel (absentéisme…), conduite en état d’ivresse ;
  • plaintes somatiques ou signes physiques : troubles du transit, vomissements au réveil, pyrosis, hypertension artérielle, prise ou perte de poids, troubles cutanés (rosacée), asthénie et altération de l’état général, accidents, chutes, passages répétés aux urgences et complications somatiques de l’alcool ; situation malheureusement encore la plus fréquente ;
  • plaintes neuropsychiques : syndrome dépressif, anxiété, troubles du sommeil, irritabilité/nervosité, troubles cognitifs, usage d’autres produits psychoactifs (tabac, psychotropes, drogues illicites…).

Comment repérer en pratique ?

Il faut aborder le sujet dans le cadre de l’entretien médical classique et adopter un style d’entretien empathique : attitude d’écoute, chaleureuse, valorisante, ne jugeant pas ; utilisation de questions ouvertes et écoute réflective.

Repérage non standardisé

Il faut commencer par des questions sur l’alimentation et le tabac, puis poser une question ouverte, par exemple : « Qu’est-ce que vous consommez comme boissons alcoolisées ? » ou « Qu’est-ce que vous pourriez me dire de votre consommation de boissons alcoolisées ? »
Il faut évaluer la consommation déclarée d’alcool (CDA) en nombre de verres standard (fig. 1) et quantifier le nombre moyen de verres par semaine, le nombre moyen de jours de consommation, le nombre d’alcoolisations ponctuelles importantes (6 verres ou plus par occasion) par semaine ou par mois.
Les patients peuvent être classés selon leur mode d’usage en : non-usagers (abstinents), usagers à faible risque ou présentant un mésusage.
Il faut compléter l’évaluation en verres standard par l’appréciation du type de boissons consommées et des modalités de consommation. Il existe une ambivalence qui doit être dépistée en interrogeant sur les aspects positifs et négatifs de la consommation.
En cas de mésusage, il faut rechercher la perte de contrôle et les autres critères de dépendance.
À la maison, les verres sont souvent davantage remplis ; il faut en tenir compte ou quantifier en bouteille (utile aussi lorsque la consommation est très importante).
Pour calculer le contenu en alcool d’une boisson (en grammes), on utilise la formule suivante : pourcentage d’alcool pur dans la boisson (volume : % ou °) × volume (en mL) × 0,8 (densité de l’alcool).
Par exemple, 1 bouteille de 75 cL de vin à 12,5 % contient : 12,5/100 × 750 × 0,8 = 75 g d’alcool pur.

Repérage par des questionnaires standardisés

Ce sont :
  • l’AUDIT (Alcohol Use Disorders Identification Test) : auto­questionnaire de l’Organisation mondiale de la santé en dix questions à remettre en salle d’attente (médecine du travail, par exemple) ;
  • l’AUDIT-C : trois questions de quantification (tableau 1, fig. 2) ;
le FACE (Fast Alcohol Consumption Evaluation) : questionnaire permettant la quantification et appréciant le retentissement (tableau 2).

Marqueurs biologiques de la consommation excessive d’alcool

Les dosages de marqueurs biologiques de la consommation d’alcool n’ont pas d’indication seuls. Ils s’utilisent en complément de l’interrogatoire et de l’examen clinique.
L’intérêt de ces dosages peut être :
  • diagnostique, pour rapporter à l’alcool une pathologie ou des symptômes alors que le patient nie sa consommation, ou pour conforter un faisceau de présomptions. Ils ne permettent pas de poser le diagnostic de dépendance ;
  • pour le suivi (dépister une rechute) ;
  • éducatif et motivationnel.
Ils ne sont pas recommandés pour le repérage précoce, du fait d’une sensibilité modeste.
On utilise en pratique :
  • l’alcoolémie, utile en particulier aux urgences devant des chutes, des malaises ;
  • la gamma glutamyltranspeptidase (γGT), qui est une enzyme hépatique, marqueur à la fois de consommation d’alcool et de maladie alcoolique hépatique, de sensibilité médiocre (la moitié des consommateurs excessifs, un peu plus chez les dépendants). Sa spécificité est également faible. La GGT est élevée dans la plupart des pathologies hépatiques mais, en ce qui concerne la consommation d’alcool, soit le reste du bilan enzymatique hépatique est normal, soit elle s’associe à une augmentation modérée (< 5N) des transaminases (prédominant sur les ASAT) et contraste avec des phosphatases alcalines normales, situation assez typique. La γGT se normalise en quatre à dix semaines (en fonction du niveau de départ) après arrêt de la consommation. Les principaux faux positifs sont les hépatopathies métaboliques ;
  • le volume globulaire moyen (VGM) est le marqueur le moins sensible (un tiers des patients) et se normalise en trois mois après arrêt de la consommation. Il y a peu de faux positifs (anémie carentielle en folates ou en vitamine B12, hypothyroïdie, hyper-réticulocytose). L’association γGT-VGM élevés a une sensibilité de 70 à 80 % environ ;
  • la carbohydrate deficient transferrin (CDT) est très spécifique, et se normalise en quelques semaines après arrêt de la consommation. Sa sensibilité est un peu meilleure que celle de la γGT. L’association avec la γGT augmente sa sensibilité (jusqu’à 80 %).

Diagnostic

Intoxication éthylique aiguë

Il existe une grande variabilité interindividuelle des effets aigus de l’alcool.
Les premiers signes sont mesurables dès 0,2 g/L. Il existe trois phases dans l’ivresse :
  • phase d’excitation : euphorie, toute-puissance, désinhibition ;
  • phase d’ébriété : logorrhée avec parole hachée et bredouillante, dysarthrie, incoordination cérébelleuse avec démarche ébrieuse, conjonctives injectées, pensée embrouillée, vomissements ;
  • phase de dépression : somnolence, endormissement, voire coma.
Le diagnostic est essentiellement porté sur le tableau clinique. Il faut y penser devant un malaise, une chute (personne âgée), un accident ou une agression.
Le diagnostic peut être confirmé par la mesure de l’éthylémie sur prise de sang ou du taux d’alcool dans l’air expiré par éthylomètre, et par l’évolution (régression en 3 à 6 heures).
Il existe des formes cliniques :
  • excitomotrices avec risque hétéro- ou auto-agressif ;
  • hallucinatoires ou délirantes (délire interprétatif de persécution ou de jalousie) ;
  • convulsivantes (crises convulsives survenant avec une alcoolémie très élevée).
En général, les trois phases de l’ivresse sont suivies d’un « trou noir » : amnésie de ce qui s’est passé au plus haut de l’alcoolémie.
Les complications peuvent être multiples : accidents, judiciaires (conduite en état alcoolisé, acte délictueux, ivresse publique manifeste), rapports sexuels non voulus, non protégés et leurs conséquences, violences, risque suicidaire...
Le coma éthylique est un coma calme avec hypotonie, hypothermie, hypotension, bradycardie ; mydriase bilatérale, symétrique, peu réactive ; sans signes de localisation avec une dépression respiratoire tardive, surtout en cas d’intoxications associées. Ses complications sont l’inhalation, la pneumopathie, l’hypoglycémie, la rhabdomyolyse, l’acidocétose alcoolique, le décès (exceptionnel).
Les diagnostics différentiels sont ceux des troubles de conscience chez un patient ayant des problèmes d’alcool :
  • hypoglycémie ;
  • intoxications : drogues, médicaments (en particulier les benzodiazépines), monoxyde de carbone ;
  • hémorragie cérébro-méningée, accident vasculaire cérébral, hématome sous- ou extradural ;
  • encéphalopathie de Gayet-Wernicke ;
  • épilepsie (phase post-critique, état de mal) ;
  • encéphalopathie hépatique ;
  • delirium tremens ;
  • troubles métaboliques : hyponatrémie, acidocétose, hypercalcémie ;
  • si fièvre : infections cérébro-méningées.
La prise en charge initiale doit donc comporter :
  • un examen clinique : constantes, signes de traumatisme crânien, examen neurologique avec recherche de signes de localisation et syndrome méningé, recherche de signes de cirrhose ;
  • au moindre doute (coma), les examens suivants : ionogramme sanguin, urée, créatininémie, glycémie, calcémie, dosage urinaire de toxiques, alcoolémie ; imagerie cérébrale, voire électroencéphalogramme, ponction lombaire… ;
  • l’administration de vitamine B1 parentérale, avant toute perfusion de sérum glucosé en cas de pose d’une voie d’abord.

Intoxication chronique

Le diagnostic addictologique repose uniquement sur l’interrogatoire (pas de marqueurs biologiques ou d’imagerie).
On distingue différents comportements d'alcoolisation :
  • le non-usage (abstinence ou absence de consommation ; 10 % des adultes en France) ;
  • l’usage à faible risque correspondant à une consommation à la fois asymptomatique et conforme aux repères recommandés en France. Ce type d'usage a très peu de risque d’entraîner des conséquences négatives de la consommation d’alcool. Les repères d’usage à faible risque sont les suivants :
  • maximum 10 verres par semaine,
  • maximum 2 verres par jour,
  • des jours dans la semaine sans consommation,
  • pour les femmes (hors grossesse) et les hommes adultes en bonne santé.
Ces repères sont assortis de conseils : réduire la quantité totale d’alcool consommée, boire lentement, en mangeant et en alternant avec de l’eau, éviter les lieux et les activités à risque...
  • pas de consommation d’alcool dans certaines circonstances (grossesse, enfance, conduite automobile, utilisation de machines, certaines maladies, en association avec certains médicaments).
Ces recommandations françaises correspondent à un verre standard de 10 g d’alcool pur ;
  • le mésusage, qui recouvre :
  • l’usage à risque, mode de consommation d’alcool qui n’a pas causé de dommages à la santé physique ou mentale de l’utilisateur ou de son entourage mais qui augmente sensiblement ce risque. Celui-ci peut être dû à la fréquence de la consommation d’alcool, à la quantité consommée, aux comportements à risque associés à la consommation ou au contexte de consommation. Le risque peut être lié aux effets à court terme de l’alcool (accidents, violences...) ou à des effets cumulatifs à plus long terme sur la santé ou le fonctionnement physique, mental ou social ; il faut prendre en compte la notion de vulnérabilité individuelle, c’est-à-dire qu’une même consommation d’alcool a des conséquences variables d’une personne à l’autre ;
  • l’usage nocif, schéma de consommation d’alcool qui a porté préjudice à la santé physique ou mentale d’une personne ou a entraîné un comportement portant atteinte à la santé d’autrui ;
  • la dépendance, trouble du contrôle de la consommation d’alcool résultant d’une consommation répétée ou continue. Elle se caractérise par une forte pulsion interne poussant à consommer de l’alcool, qui se manifeste par une altération de la capacité à contrôler la consommation, une priorité croissante accordée à la consommation par rapport à d’autres activités et la persistance de la consommation malgré les dommages ou les conséquences négatives.
Usage à risque, usage nocif et dépendance sont définis par la CIM-11. Le DSM-5 définit quant à lui le trouble de l’usage d’alcool, avec trois niveaux de sévérité.

Évaluer le retentissement chronique

Retentissement psychiatrique

Quatre éléments sont importants :
  • de nombreuses maladies psychiatriques sont associées à une consommation pathologique d’alcool (troubles cooccurrents ou comorbidités) ;
  • la consommation chronique d’alcool peut être responsable de symptômes psychiatriques (cas le plus fréquent), surtout anxieux et dépressifs, qui peuvent faire croire à une maladie psychiatrique, surtout si la consommation d’alcool est méconnue ;
  • certains troubles psychiatriques peuvent préexister à la consommation d’alcool ;
  • les liens entre alcool et suicide sont très forts, en particulier lors des alcoolisations aiguës, mais aussi lors de symptômes dépressifs secondaires à la consommation.
D’où les règles suivantes :
  • toujours évaluer l’état psychiatrique d’un patient ayant des problèmes d’alcool (risque de suicide) ;
  • toujours rechercher une consommation excessive d’alcool chez un patient venant pour des plaintes psychiques ;
  • sauf situation urgente, ne pas mettre en route de traitement antidépresseur avant au minimum deux semaines d’abstinence (pour éliminer un trouble secondaire). En cas de symptômes mélancoliques avec risque suicidaire, il faut hospitaliser le patient et mettre en place un traitement adapté.
Les pathologies psychiatriques préexistantes les plus fréquemment associées à la consommation excessive d’alcool sont l’épisode dépressif majeur et le trouble bipolaire, les troubles anxieux (anxiété sociale, trouble anxieux généralisé, trouble panique et agoraphobie), certains troubles de la personnalité (antisociale, borderline [état limite]), les troubles du spectre schizophrénique.
Le mésusage de benzodiazépines est particulièrement fréquent chez les patients alcoolodépendants. Le meilleur traitement est préventif : ne pas donner de traitement quotidien en dehors de la prise en charge d’un sevrage et proscrire les benzodiazépines à demi-vie courte, très addictogènes.

Retentissement somatique

Le mésusage d’alcool peut entraîner de nombreuses pathologies (tableau 3). Cinq arguments permettent de rapporter une pathologie à l’alcool :
  • le patient a un trouble lié à l’usage de l’alcool ;
  • il s’agit d’une complication connue de la consommation d’alcool ;
  • le tableau est évocateur de l’origine alcoolique : par exemple, cytolyse modérée prédominant sur les ASAT avec γGT très augmentée dans l’hépatite alcoolique, très différente d’un tableau d’hépatite virale ;
  • les autres causes peuvent être éliminées. Même chez un patient ayant une consommation très supérieure aux repères, une maladie donnée n’est pas forcément en rapport avec l’alcool ;
  • le tableau s’améliore avec le sevrage (quand la réversibilité est possible).

Troubles cognitifs

Les plus graves sont les encéphalopathies de Gayet-­Wernicke et le syndrome de Korsakoff (tableau 4), mais il existe un continuum allant de troubles légers à sévères qui peuvent avoir un retentissement significatif sur la vie du patient mais aussi sur l’efficacité des traitements proposés, d’où l’intérêt de les dépister.
Le mécanisme associe une carence en vitamine B1 (apport et absorption) possible chez le consommateur excessif chronique surtout dénutri, un effet toxique de l’alcool et une variabilité individuelle du risque.
Ces troubles risquent d’évoluer vers le syndrome de Korsakoff, chronique, extrêmement invalidant et peu ou pas réversible. Sa gravité potentielle impose de le prévenir de façon systématique chez tout consommateur excessif pris en charge. En urgence, même s’il s’agit d’une raison qui n'est pas en rapport avec sa consommation (fracture, hémorragie…), il doit recevoir de la vitamine B1 (thiamine), par voie parentérale (500 mg IV) s'il doit être perfusé. Cela doit se faire avant toute perfusion de sérum glucosé (qui risque de précipiter les troubles).
Le profil neuropsychologique caractéristique comprend au premier plan un syndrome dysexécutif, une atteinte plus ou moins marquée de la mémoire épisodique, des troubles visuo-spatiaux, un déficit de métacognition et une alexithymie.
Le traitement est l’abstinence et la vitamine B1 parentérale, à fortes doses, puis per os de façon prolongée.

Syndrome de sevrage et complications

Clinique du sevrage

L’arrêt brutal et sans précautions de l’alcool entraîne chez certains patients (un tiers des alcoolodépendants) des symptômes physiques, qui définissent le syndrome de sevrage.
Il apparaît quelques heures après la dernière consommation (donc typiquement tous les matins,quand le patient se lève, ou peu de temps après) et disparaît avec la prise de quelques verres d’alcool.
Le tableau clinique est caractéristique d’une hyper­excitabilité cérébrale avec :
  • des troubles neurovégétatifs : tremblements, sueurs, tachycardie, hypertension artérielle ;
  • des troubles psychiques : anxiété, agitation, irritabilité, insomnie, cauchemars ;
  • des troubles digestifs : anorexie, nausées, vomissements.
Le tableau est résolutif sous traitement en quelques jours. Non traité et en l’absence de prise d’alcool, il atteint son maximum en quarante-huit heures, puis régresse en quelques jours… avec un risque important d’accidents de sevrage.
 

Accidents de sevrage

L’alcool est la seule drogue dont l’arrêt brutal, sans précaution, peut être mortel.
Les crises convulsives de sevrage surviennent dans les vingt-quatre à quarante-huit heures suivant l’arrêt de l’alcool dans 95 % des cas (rare dans les 15 jours). C’est la plus fréquente des causes de crise d’épilepsie de l’adulte. Les crises sont typiques, tonicocloniques généralisées de type grand mal. Il existe un risque de récidive rapide et d’évolution vers un delirium tremens.
Le delirium tremens survient le plus souvent dans les suites d’un syndrome de sevrage non ou mal traité, soit à domicile ou au travail (arrêt d’alcool décidé ou contraint à la suite d’une pathologie intercurrente, pneumopathie, traumatisme…), soit lors d’une hospitalisation en urgence pour une pathologie intercurrente ou une crise convulsive de sevrage, ou lors d’une hospitalisation programmée (postopératoire, par exemple).
Le tableau clinique est assez caractéristique :
  • état confuso-onirique : désorientation temporo-spatiale, hallucinations visuelles à type de zoopsies ou autres et auditives, avec des thèmes de persécution, intensément vécues par le sujet ;
  • tremblements intenses et généralisés ;
  • agitation importante liée à une angoisse intense avec risque de passage à l’acte hétéro- ou auto-agressif et troubles du comportement ;
  • sueurs profuses, fièvre modérée, tachycardie, hypotension ou hypertension artérielle ;
  • risques de déshydratation, de pneumopathie de dé­glu­tition, de décès dans 2 à 5 % des cas.

Principe de prise en charge

Intoxications éthyliques aiguës

Une intoxication éthylique aiguë nécessitant une hospitalisation (troubles de conscience, agitation, chute…) est une urgence médicale à adresser à un service d’accueil des urgences (SAU).
La prise en charge est d’abord symptomatique : attitude calme, sédation verbale, repos au calme avec surveillance horaire jusqu’au retour des capacités relationnelles (au mieux en unité d’hospitalisation de très courte durée).
L’ivresse pathologique nécessite une hospitalisation en urgence ; si nécessaire, une sédation est obtenue par benzodiazépines per os (diazépam), éventuellement associée à un neuroleptique per os ou IM (type loxapine) et par une contention physique si besoin.
Le coma éthylique nécessite une hospitalisation en unité de soins continus ou intensifs : voie veineuse, vitaminothérapie B1 intraveineuse (IV), remplissage et rééquilibration hydroélectrolytique, réchauffement si hypothermie ; surveillance cardiorespiratoire, intubation orotrachéale rarement nécessaire.
Dans les suites, il faut dépister la survenue d’un éventuel syndrome de sevrage et le prévenir si nécessaire.
Avant la sortie, une fois les signes d’intoxication éthylique aiguë disparus, une intervention thérapeutique brève par les urgentistes ou surtout les ELSA (équipes de liaison et de soins en addictologie : médecins et infirmiers évaluant les patients aux urgences et dans les services) doit être réalisée. Avec empathie, il faut poser le diagnostic addictologique, rechercher un trouble psychiatrique sous-jacent et des consommations associées, proposer si besoin une orientation vers un suivi thérapeutique et/ou social, en fonction des situations observées.

Syndrome de sevrage

Traitement préventif

Il est indiqué devant toute demande de sevrage, tout sevrage contraint, notamment à l’occasion d’une hospitalisation ou d’un emprisonnement.
Il faut apprécier le risque de syndrome de sevrage par quelques questions simples : consommation d’alcool quotidienne ou jours d’abstinence sans difficulté ; consommations matinales pour faire cesser les tremblements ; antécédents d’accidents de sevrage ; prise quotidienne de benzodiazépines et ancienneté.
En cas de signes de dépendance physique, le traitement comporte une benzodiazépine à durée de vie longue (diazépam) per os, à doses dégressives, sur une durée limitée à dix jours au maximum. En cas de contre-­indication (cirrhose avec insuffisance hépatocellulaire sévère avec ictère, ascite ou taux de prothrombine [TP] inférieur à 50 %, insuffisance respiratoire chronique), le sevrage est systématiquement hospitalier, et les benzodiazépines sont utilisées uniquement s’il existe des signes patents de sevrage.
L’hydratation doit être suffisante mais pas excessive (3 litres par 24 heures au maximum) per os, et associée à de la vitamine B1 (thiamine) per os.
 

Traitement des crises convulsives et du delirium tremens

Il s’agit d’urgences médicales.
Une crise convulsive de la sevrage (v. Traitement préventif) justifie l’instauration immédiate du traitement préventif de la récidive per os à fortes doses, sa répétition justifie le passage en IV.
En cas de delirium tremens, la prise en charge doit comporter :
  • une hospitalisation en médecine, au calme, chambre éclairée, voire en unité de soins continus en cas de pathologies somatiques associées (cirrhose décompensée…) ;
  • une benzodiazépine à durée de vie longue (diazépam) IV à fortes doses initialement, répétées jusqu’à obtention d’une sédation légère, puis progressivement diminuées et arrêtées après dix à quinze jours ;
  • un antipsychotique en seconde intention si les symptômes délirants persistent ;
  • une vitaminothérapie B1 par voie IV avant tout sérum glucosé avec polyvitamines ;
  • une hydratation IV avec corrections des troubles hydro­électrolytiques ;
  • une contention, théoriquement à éviter ;
  • la recherche et le traitement éventuel d’un facteur déclenchant  ;
  • la surveillance : constantes, état de conscience, hydratation, ionogramme sanguin, phosphorémie, urée, créatininémie.

Traitement de la conduite d’alcoolisation

Objectifs

L’objectif principal est le mieux-être du patient, qui peut être évalué par l’amélioration du fonctionnement psychologique et social, de la qualité de vie et de l’état somatique.
Pour cela, il est nécessaire, mais pas toujours suffisant, que le sujet modifie sa consommation.
En cas de dépendance, le dogme de l’abstinence indispensable est remis en question. Elle est efficace et il s’agit de la modalité la plus stable à long terme, mais tous les patients n’y arrivent pas (40 % cinq ans après le début des prises en charge sur des cohortes prolongées) et certains n’y adhèrent pas.
La consommation maîtrisée (retour à une consommation à faible risque) est une option pouvant avoir un très bon résultat, mais elle est rare chez les alcoolodépendants (3 à 5 % sur des cohortes avec un suivi prolongé). Cependant, c’est cet objectif qu’il faut viser chez les patients consommateurs à risque ou présentant un usage nocif. La réduction de la consommation (diminution de la fréquence des alcoolisations ponctuelles importantes, de la quantité globale consommée) permet une réduction des dommages et doit être valorisée.
L’objectif doit toujours être fixé en partant de la demande du patient, même si elle semble irréaliste ; cette demande peut évoluer au cours du temps.
 

Attitude des soignants

Elle est fondamentale et doit être empathique, non jugeante, soutenante et valorisante.
Il faut essayer de susciter la motivation du patient par l’entretien motivationnel et partir de sa demande et de ses objectifs sans essayer de lui imposer les nôtres (ce qui n’exclut pas de le conseiller).
 

Histoire simplifiée

L’alcoolodépendance est une maladie d’installation progressive, avec des rémissions spontanées possibles. Sinon, on note une aggravation progressive de l’intensité de la dépendance et des conséquences sociales, psychologiques et somatiques.
L’accès aux soins spécialisés est encore trop rare (10 à 20 % des patients) et trop tardif (10 à 15 ans après l’installation des troubles), d’où l’importance d’améliorer cet accès par le repérage précoce, l’entretien motivationnel et le travail sur la demande et les objectifs du patient.
Après les premiers soins, l’évolution, qui se fait souvent par phases de rémission et de rechute, peut aboutir soit au décès prématuré, soit à une stabilisation, soit durer longtemps et nécessiter un accompagnement au long cours.
 

Méthodes thérapeutiques

Les interventions thérapeutiques brèves (par le médecin généraliste ou du travail, ELSA…) ont démontré leur efficacité, notamment en médecine générale. Elles visent à modifier le comportement de consommation. Elles concernent surtout les patients ayant un usage à risque ou nocif récent ou peu sévère.
Une intervention brève peut inclure :
  • évaluation de la consommation et dommages éventuels ;
  • restitution des résultats au patient ;
  • explication sur la notion de verre standard ;
  • information du patient sur les risques qu’il encourt (remise de documents) ;
  • recommandations pour une consommation à faible risque ;
  • choix par le patient (ou réévaluation) d’un objectif de changement de comportement ;
  • information sur les méthodes de réduction, voire d’arrêt ;
  • conseils ;
  • encouragements ;
  • distribution de documents (carnet journalier d’évaluation de sa consommation…) ;
  • résumé de la consultation : objectif, progrès, actions futures ;
  • proposition d’un suivi ou d’une orientation adapté avec l’accord du patient.
Le sevrage (arrêt brutal de la consommation d’alcool) se décide avec le patient, intégré dans un projet global, donc préparé à l’avance. Une prise en charge ambulatoire est recommandée en première intention sauf contre-indications (relatives) : dépendance physique marquée (surtout en cas d’antécédents d’accidents de sevrage), isolement social ou entourage incitant à la consommation ou intolérant, pathologies somatiques ou psychiatriques sévères associées.
La prise en charge est hospitalière en cas d’échec ou de contre-indications de l’ambulatoire.
Cela dure une semaine pendant laquelle sont prévenus le syndrome et des accidents de sevrage en fonction du risque et est organisé un accompagnement psychologique et social. Cet accompagnement est poursuivi après le sevrage.
Les principes et méthodes de l’accompagnement psychosocial sont :
  • la multidisciplinarité (médical, psychologique et social) ;
  • la mise en place d’une alliance thérapeutique ;
  • l’entretien motivationnel ;
  • l’éducation thérapeutique ;
  • le soutien psychologique ;
  • les thérapies structurées, parmi lesquelles les thérapies cognitivo-comportementales sont les plus validées ;
  • la prise en charge des maladies somatiques associées ;
  • la prise en charge des troubles psychiatriques cooccurrents ;
  • la prise en compte de l’entourage (soutien, voire thérapie de couple ou familiale) ;
  • la prise en charge sociale ;
  • les groupes d’entraide : Alcooliques anonymes, Vie libre, La Croix bleue, Entraid’­addict, etc. ;
  • les autres thérapies possibles : à médiation artistique, corporelles, type relaxation…
Les médicaments spécifiques validés sont toujours associés à un accompagnement psychosocial. Ils ont plusieurs cibles.
Réduction de la consommation :
  • nalméfène (Selincro) : réduction des consommations chez les alcoolodépendants avec prise d’un comprimé si besoin (risque de boire) ;
  • baclofène (Baclocur, Baclofène Zentiva), également utilisable pour réduire la consommation en deuxième intention pour les patients dépendants.
Aide au maintien de l’abstinence :
  • acamprosate (Aotal, Acamprosate Biogaran, Acamprosate Viatris) et naltrexone (Naltrexone Accord et Naltrexone Viatris) : prévention des rechutes après un sevrage par diminution de l’appétence et des effets positifs de l’alcool. Le nalméfène et la naltrexone sont des antagonistes opiacés contre-indiqués en association avec les traitements morphiniques et de substitution aux opiacés.
En deuxième ligne, le disulfirame (Espéral) peut être utilisé en prévention des rechutes après un sevrage par effet dissuasif (effet antabuse : flush, palpitations, malaise si on prend ne serait-ce qu’un verre sous disulfirame). Ce médicament a peu d’indications, mais il reste utile chez certains patients.
La prise en charge des addictions associées fait partie intégrante du processus :
  • tabac : arrêt chaque fois que possible ou réduction (utilisation des substituts nicotiniques en première intention) ;
  • benzodiazépines (pas de double sevrage simultané, réduction progressive, prévention) ;
  • opiacés : stabiliser d’abord le traitement de substitution opiacée.
Le lieu de l’accompagnement peut être :
  • ambulatoire : à privilégier. Il associe les médecins généralistes, les addictologues et les psychiatres libéraux, les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) multidisciplinaires et gratuits, les consultations hospitalières d’addictologie, les centres médico-psychologiques (CMP) du secteur psychiatrique et les hôpitaux de jour ;
  • résidentiel : en cas d’échec de l’ambulatoire ou de nécessité de mise à l’abri prolongée de l’alcool pour récupération somatique, cognitive ou psychiatrique et évaluation. Ces soins complexes nécessitent un séjour de quinze jours à trois semaines dans un service d’addictologie avec possibilité de prolongation en post-sevrage en soins médicaux et de réadaptation (4 semaines à 3 mois) ou en centre thérapeutique résidentiel (jusqu’à 6 mois). Un séjour en psychiatrie de secteur ou en clinique psychiatrique est indiqué surtout en cas de troubles psychiatriques cooccurrents. Des séjours prolongés peuvent être proposés dans des structures fondées sur une réhabilitation sociale, type centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou communautés thérapeutiques, ou dans des appartements thérapeutiques. Un accompagnement ambulatoire doit être mis en place en relais.
Dans tous les cas, il existe un intérêt à travailler en réseau.

Principe des indications

On propose un niveau de soins adapté à l’évaluation initiale du sujet, à sa motivation et à sa demande, par paliers, en commençant par le plus simple (essai de maîtrise, sevrage ambulatoire). Si nécessaire, l’intensité est modifiée en fonction des réussites et des échecs.
Les cas les plus simples ont une prise en charge purement ambulatoire, éventuellement uniquement avec le médecin traitant, et des résultats très satisfaisants.
Les cas plus complexes nécessitent un accompagnement multidisciplinaire et prolongé, alternant les soins ambulatoires résidentiels, en essayant d’éviter les ruptures de suivi.
Message auteur

Addiction à l'alcool

Les conduites d’alcoolisation constituent une thématique très transversale qui intéresse à peu près toute la médecine. La plupart des cas cliniques sont donc construits de cette façon. De ce fait, tous les items traités dans cette question peuvent être associés, à des degrés variables, dans les cas cliniques proposés.

Du point de vue alcoologique, il est indispensable de connaître :

➜ le repérage : qui ? quand ? comment ?

➜ la notion d’intervention brève

➜ l’évaluation globale, qui permet un diagnostic complet et qui intègre :

– l’évaluation de la conduite d’alcoolisation elle-même, en particulier le type de catégorie d’usage ;

– les comorbidités somatiques, psychiatriques et sociales, très fréquentes ;

– les coaddictions, qui sont un enjeu très important. Il faut donc savoir les rechercher et proposer une stratégie thérapeutique adaptée ;

– le niveau de motivation de la personne pour changer son comportement de consommation

➜ la clinique et le traitement de l’alcoolisation aiguë

➜ la clinique et le traitement du sevrage (prévention, traitement des complications)

➜ le traitement de la conduite d’alcoolisation, qui implique de définir un objectif thérapeutique (réduction de consommation ou abstinence) puis de connaître ce qu’est l’accompagnement psychosocial et les médicaments utilisables dans chacun des deux objectifs de consommation.

Points forts

Le mésusage d’alcool est très fréquent en France. Les complications sont très nombreuses, aiguës ou chroniques. 

Pourtant, la prise en soins des personnes qui le nécessitent reste très insuffisante (10 à 20 %). 

Un repérage large et le plus précoce possible est une nécessité pour éviter l’évolution vers les formes graves et les complications. 

Les interventions brèves, faciles à réaliser, notamment en médecine générale, sont surtout efficaces lorsque la dépendance n'est pas encore installée, bien qu’elles soient utiles à tous les stades. 

Il est indispensable de connaître la notion de verre standard, les repères d’usage à faible risque acceptés en France et les différents comportements d’alcoolisation, en particulier les définitions des différentes formes de mésusage (usage à risque, usage nocif et dépendance). 

Les troubles liés à l’usage d’alcool, surtout la dépendance, peuvent induire de nombreuses complications impliquant une évaluation globale et une prise en compte dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. 

L’objectif de consommation à privilégier en cas de dépendance est l’abstinence. Dans ce cas, le traitement comporte deux phases : une phase courte de sevrage (une semaine) puis une phase de maintien de l’abstinence à long terme. 

La réduction de la consommation est un objectif réaliste, d’abord chez les personnes présentant une forme moins sévère de mésusage (usage à risque ou nocif) ou chez les dépendants qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas être abstinents. 

Quel que soit l’objectif, le traitement au long cours repose sur un accompagnement psychosocial, lui-même intégré dans une approche centrée sur le patient et motivationnelle. Parmi les thérapies structurées, les thérapies cognitivo-comportementales sont les mieux validées. D’autres thérapies sont possibles. 

Des médicaments peuvent être prescrits :

  • pour réduire la consommation : nalméfène ou baclofène en deuxième ligne ;
  • pour maintenir l’abstinence : acamprosate ou naltrexone en première ligne ; disulfirame en deuxième ligne.
Questionnaire AUDIT-C
POUR EN SAVOIR PLUS

Aubin HJ, Auriacombe M, Reynaud M, Rigaud A. Implication pour l’alcoologie de l’évolution des concepts en addictologie.De l’alcoolisme au trouble de l’usage d’alcool.Alcoologie et Addictologie 2013;35:309-15.

Batel P. Trouble de l’usage de l’alcool. Rev Prat 2019;69(8):885-921. Dematteis M, Perney P. Complications somatiques de l’alcool. Alcoologie et Addictologie 2014;36:189-206.

Rigaud A. Prise en charge des malades alcooliques. Quelle stratégie aujourd’hui? Alcoologie et Addictologie 2014;36:27-33.

Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement.Recommandations de bonnes pratiques de la Société française d’alcoologie. Alcoologie et Addictologie 2015;37: 5-84. Version actualisée, 2023. https://vu.fr/gBUf

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