En France, chaque année, un diagnostic de cancer est porté chez environ 2 000 adolescents et jeunes adultes (AJA) âgés de 15 à 25 ans. Les principaux : lymphomes hodgkiniens, sarcomes osseux et extra-osseux, tumeurs germinales, leucémies aiguës et tumeurs du système nerveux central. Même si le pronostic s’est amélioré au cours du temps avec plus de 80 % des AJA vivant à 5 ans (
En hématologie comme en cancérologie, les raisons de ce retard tiennent à plusieurs facteurs : différences de biologie de la tumeur, disparités entre schémas thérapeutiques pédiatriques et adultes, mais aussi raisons propres aux AJA : retard au diagnostic du cancer, défaut de couverture sociale, d’adhésion thérapeutique, enfin difficultés psychologiques préexistantes ou exacerbées par la maladie et les traitements.
Les 2 derniers Plans cancer ont souligné la fragilité de ces sujets à la frontière entre pédiatrie et médecine adulte. Suite aux propositions des professionnels de santé du groupe d’oncohématologie AJA (Go-AJA, www.go-aja.fr) et d’associations de patients, une régionalisation de la prise en charge des AJA atteints de cancer est effective depuis 2016. La mise en place d’une décision thérapeutique commune (pédiatrie/médecine adulte) et d’une organisation spécifique des soins de support est recommandée.
Mieux caractériser les hémopathies
Le lymphome de Hodgkin est le premier cancer dans cette tranche d’âge. Les AJA ont des formes plus sévères et disséminées et des atteintes médiastinales plus fréquentes que l’enfant (respectivement 85 % et moins de 50 % des cas).2 Cela n’est pas clairement expliqué par des variations biologiques de la tumeur. Toutefois, comme dans d’autres formes de cancers, notamment les sarcomes, le délai entre les premiers signes cliniques et le diagnostic s’allonge avec l’âge, de 7 semaines pour les adolescents à 11 semaines pour les jeunes adultes.3
Autre illustration : la biologie des leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL), très différente entre enfant et adulte. Dans la population AJA se produit une véritable transition oncogénique : disparition des formes de bon pronostic majoritaires chez l’enfant et fréquence croissante avec l’âge d’entités plus résistantes comme celles associées au chromosome Philadelphie (Ph). La prise en charge repose sur les inhibiteurs de tyrosine kinase. De nouvelles LAL appelées « Ph-like » représentant près de 25 % des formes touchant les AJA ont été identifiées. Elles sont associées à une activation des voies de signalisation qui offrent de nouvelles opportunités de thérapies ciblées.4
Pédiatrie ou médecine adulte ?
Selon les parcours de soins, les adolescents peuvent être pris en charge soit en pédiatrie, soit en médecine adulte et recevoir, à pathologie égale, des traitements parfois très différents avec des conséquences potentielles en termes de risque de rechute ou de toxicité à court et long terme. Dans les années 2000, de nombreux groupes coopérateurs ont ainsi montré que les adolescents atteints de LAL hospitalisés en pédiatrie avaient une meilleure survie que ceux pris en charge par des hématologues d’adultes. Ces derniers se sont alors beaucoup inspirés des confrères pédiatres pour traiter les jeunes adultes jusqu’à 45 ans avec une nette amélioration des taux de survie au prix d’une toxicité parfois plus importante.
Dans le lymphome de Hodgkin, les approches pédiatriques et adultes semblent donner des résultats assez proches mais les classes et les doses de chimiothérapies ainsi que les stratégies de radiothérapies ont pu diverger. L’essai européen actuellement proposé aux jeunes jusqu’à 25 ans (EURONET PHL C2) vise à limiter les toxicités au long cours, notamment en réduisant les doses d’anthracyclines et de radiothérapie.
Préserver la fertilité
L’accès à un programme de préservation est primordial. Pour les hommes, une cryoconservation de sperme est systématiquement envisagée au diagnostic avant exposition à la chimiothérapie (lymphomes, leucémies aiguës, autres hémopathies plus rares). En cas d’échec, on dispose de techniques alternatives de recueil de spermatozoïdes (ponction des canaux déférents, électrostimulation…) sauf si l’hémostase est altérée (leucémies aiguës). Une cryopréservation de la pulpe testiculaire peut également être tentée à distance du début des traitements.
Aux femmes, une cryoconservation du tissu ovarien est proposée avant traitement ou une fois la rémission complète établie, généralement avant l’intensification thérapeutique (auto- ou allogreffe). La greffe de tissu ovarien permet une restauration des fonctions exocrines mais également endocrines chez des jeunes patientes prématurément ménopausées. Il existe toutefois un risque de contamination du greffon ovarien par des cellules tumorales, notamment dans les leucémies aiguës et donc un risque de réimplantation de la maladie.
Répondre à des besoins spécifiques
Les longues hospitalisations ou les phases d’aplasie ne sont pas toujours compatibles avec la poursuite d’une vie « normale ». Une approche pluriprofessionnelle est indispensable, a fortiori dans cette tranche d’âge où se mêlent des problématiques physiologiques (sexualité, transformation du corps...), psychologiques (sentiment d’invincibilité, conduites à risque, addictions, émergence anxieuse et dépressive...) et sociales (transition vie scolaire/vie professionnelle, autonomisation financière…).
Les équipes en charge ont à cœur de considérer ces jeunes comme des interlocuteurs directs. Pour chacun, la place des parents, de la fratrie, des éventuels compagnons et des amis est différente. Afin de maintenir les liens existants, les organisations de soins classiques doivent s’adapter à ces situations individuelles et dans le temps. A contrario, les difficultés relationnelles qui peuvent survenir à cet âge, notamment avec les parents, compliquent parfois la prise en charge, le retour à domicile et l’adhésion thérapeutique.
La continuité de l’éducation est un enjeu majeur auxquels répondent in situ des enseignants dépendant directement des rectorats ou d’associations (comme L’école à l’hôpital) ou la transmission de contenus éducatifs dématérialisés par les établissements supérieurs. Passer des partiels ou des examens doit être rendu possible durant l’hospitalisation.
Trouver ou retrouver un emploi en justifiant d’un trou dans le curriculum vitae est parfois compliqué. Des associations comme Juris Santé ou 20Ans1Projet s’engagent pour anticiper de nouvelles formations ou accompagner la recherche d’un emploi.
Au centre du dispositif d’accompagnement, l’infirmière de coordination AJA a de multiples missions, de la consultation d’annonce à la coordination du parcours intra- et extrahospitalier, en passant par le déploiement d’outils d’éducation thérapeutique. Elle est l’interlocutrice privilégiée du jeune malade et de sa famille. Tout en veillant au respect des divers rendez-vous, elle s’attache à renforcer l’autonomie et l’adhésion globale, notamment aux traitements oraux au long cours : phase d’entretien des leucémies aiguës, immunosuppression post-allogreffe ou thérapeutiques ciblées.
La qualité de vie au long cours est un enjeu majeur. Comme la scolarité ou la préservation de la fertilité, l’après-cancer se prépare dès le diagnostic avec de nombreux dispositifs, par exemple l’activité physique adaptée (APA). La poursuivre permet de lutter contre la fonte musculaire, améliore la qualité du sommeil, et préserve une bonne image de soi. Le suivi au long terme est essentiel mais complexe car il sollicite de nombreuses compétences à la fois dans le champ de la médecine d’organe, préventive, de la santé sexuelle, de l’accompagnement psychologique et social… Cette prise en charge globale – médecine de ville, hospitalière, multiples acteurs du soin – est cruciale.
1. Trama A, Botta L, Foschi R, et al.; EUROCARE-5 Study Group. Survival of European adolescents and young adults diagnosed with cancer in 2000-07: population-based data from EUROCARE-5. Lancet Oncol 2016;17:896-906.
2. Bigenwald C, Galimard JE, Quero L, et al. Hodgkin lymphoma in adolescent and young adults: insights from an adult tertiary single-center cohort of 349 patients. Oncotarget 2017;8:80073-82.
3. Desandes E, Brugieres L, Molinie F, et al. Adolescent and young adult oncology patients in France: Heterogeneity in pathways of care. Pediatr Blood Cancer 2018;65:e27235.
4. Boissel N, Baruchel A. Acute lymphoblastic leukemia in adolescent and young adults: treat as adults or as children? Blood 2018;132:351-61.
5. Raze T, Lacour B, Cowppli-Bony A, et al. Cancer among adolescents and young adults between 2000 and 2016 in France: Incidence and improved survival. J Adolesc Young Adult Oncol 2020 (in press).