Les objectifs thérapeutiques en matière de risque cardiovasculaire sont de plus en plus stricts, et l’automesure de la pression artérielle est aujourd’hui privilégiée. Mais la prise en charge de l’HTA chez les personnes âgées s’inscrit-elle dans cette évolution ? Les réponses du Pr Athanase Benetos, cardiologue et gériatre, président de l’European Geriatric Medicine Society, chef du pôle Maladies du vieillissement-Gérontologie-Soins palliatifs du CHRU de Nancy et directeur de la fédération hospitalo-universitaire « CARTAGE » (Cardiovascular and Arterial Ageing) de l’université de Lorraine.
À partir de quel âge peut-on parler de personne âgée ?
Aucune définition ne fait l’unanimité. Mais peu importe le nombre d’années, ce qui compte est davantage l’autonomie de la personne et ses capacités fonctionnelles. Dans la société actuelle, à partir de 80 ans, une grande partie de la population est très fragile, a plusieurs comorbidités, une polymédication et des troubles importants des capacités fonctionnelles et de l’autonomie. Ainsi, dans cette tranche d’âge, il s’agit de distinguer les plus robustes des plus fragiles, car les objectifs et les stratégies thérapeutiques seront différents. Nous avons récemment repris une échelle visuelle de l’état fonctionnel et du profil de fragilité et d’autonomie du patient âgé, proposée il y a plusieurs années par une équipe canadienne.1 Elle permet d’adopter un « langage commun » car l’interprétation des termes de fragilité et de fonctionnalité peut diverger selon les acteurs (figure ).2
La définition de l’hypertension artérielle (HTA) est-elle différente chez ces patients ?
Non, la définition de l’HTA est la même pour tous les patients (hormis les enfants et les femmes enceintes) : pression artérielle systolique (PAS) ≥ 140 mmHg ou pression artérielle diastolique (PAD) ≥ 90 mmHg en consultation. Mais il faut différencier le diagnostic d’HTA de sa prise en charge. Ce n’est pas parce que l’on a une maladie (ou un facteur de risque) que la mise en place d’un traitement a un intérêt pour le patient. Il faut en évaluer la balance bénéfices-risques et les modalités optimales.
Chez le patient âgé, le raisonnement ne doit pas se faire sur le chiffre de PAD. En effet,la PAD diminue à partir de 60 ans environ, du fait de la rigidification de l’aorte, et est donc un mauvais indicateur de surveillance. Ce sont les chiffres de PAS qui sont à prendre en compte qui, eux, augmentent avec la rigidité artérielle.
Entre 60 et 79 ans, on peut globalement affirmer que la prise en charge doit être la même que pour un adulte plus jeune, avec des cibles thérapeutiques identiques, soit une PAS < 140 mmHg, voire pour les sujets les plus robustes une PAS < 130 mmHg. À partir de 80 ans, pour les patients du groupe des sujets robustes (premier groupe de la figure), les objectifs thérapeutiques sont très proches de ceux proposés à des patients plus jeunes mais avec une stratégie moins « agressive » (« start low, go slow ») pour éviter les changements tensionnels trop brutaux.
Concernant les patients avec une perte significative de l’autonomie (troisième groupe de la figure), le traitement ne peut pas être standardisé, par manque de données cliniques (cette population a toujours été exclue des essais). Il faut donc prendre des décisions individuelles, sans preuves solides, en tenant compte des comorbidités et des risques iatrogéniques ; un traitement peut éventuellement être proposé si les chiffres de PAS sont trop élevés (> 160 mmHg) et réduit si la PAS est trop basse (< 130 mmHg).
Pour les patients du deuxième groupe (ralentis au niveau physique et/ou cognitif sans perte importante d’autonomie), c’est une évaluation gériatrique détaillée qui permet d’orienter les objectifs et stratégies vers ceux du premier ou du troisième groupe.
Au total, jusqu’à 80 ans, les objectifs et la prise en charge sont les mêmes que chez le sujet jeune, à l’exception de quelques sujets de cette tranche d’âge avec une altération sévère de leurs capacités fonctionnelles, où nous devons suivre l’approche que nous proposons pour les plus de 80 ans. Au-delà de 80 ans, la prise en charge dépend du bilan fonctionnel gériatrique du patient : si l’autonomie est préservée, les cibles sont similaires à celles des patients plus jeunes ; en cas d’altération de l’autonomie, les objectifs sont moins drastiques.
Chez le patient âgé, le raisonnement ne doit pas se faire sur le chiffre de PAD. En effet,la PAD diminue à partir de 60 ans environ, du fait de la rigidification de l’aorte, et est donc un mauvais indicateur de surveillance. Ce sont les chiffres de PAS qui sont à prendre en compte qui, eux, augmentent avec la rigidité artérielle.
Entre 60 et 79 ans, on peut globalement affirmer que la prise en charge doit être la même que pour un adulte plus jeune, avec des cibles thérapeutiques identiques, soit une PAS < 140 mmHg, voire pour les sujets les plus robustes une PAS < 130 mmHg. À partir de 80 ans, pour les patients du groupe des sujets robustes (premier groupe de la figure), les objectifs thérapeutiques sont très proches de ceux proposés à des patients plus jeunes mais avec une stratégie moins « agressive » (« start low, go slow ») pour éviter les changements tensionnels trop brutaux.
Concernant les patients avec une perte significative de l’autonomie (troisième groupe de la figure), le traitement ne peut pas être standardisé, par manque de données cliniques (cette population a toujours été exclue des essais). Il faut donc prendre des décisions individuelles, sans preuves solides, en tenant compte des comorbidités et des risques iatrogéniques ; un traitement peut éventuellement être proposé si les chiffres de PAS sont trop élevés (> 160 mmHg) et réduit si la PAS est trop basse (< 130 mmHg).
Pour les patients du deuxième groupe (ralentis au niveau physique et/ou cognitif sans perte importante d’autonomie), c’est une évaluation gériatrique détaillée qui permet d’orienter les objectifs et stratégies vers ceux du premier ou du troisième groupe.
Au total, jusqu’à 80 ans, les objectifs et la prise en charge sont les mêmes que chez le sujet jeune, à l’exception de quelques sujets de cette tranche d’âge avec une altération sévère de leurs capacités fonctionnelles, où nous devons suivre l’approche que nous proposons pour les plus de 80 ans. Au-delà de 80 ans, la prise en charge dépend du bilan fonctionnel gériatrique du patient : si l’autonomie est préservée, les cibles sont similaires à celles des patients plus jeunes ; en cas d’altération de l’autonomie, les objectifs sont moins drastiques.
Si l’on manque d’études concernant la prise en charge de l’HTA chez le patient âgé dont l’autonomie est altérée, certaines équipes s’y intéressent-elles cependant ?
Les recommandations de prise en charge de l’HTA ne se fondent que sur des études ayant exclu les patients âgés dont les capacités fonctionnelles et l’autonomie sont altérées. Il est donc difficile de les appliquer à cette population.
Toutefois, des études observationnelles ont été publiées ; elles montrent que plus la PAS est basse sous traitement chez les patients âgés ayant des troubles de l’autonomie, plus le déclin cognitif et la mortalité sont importants.3,4 C’est sur cet argument que l’on se fonde pour éventuellement proposer une diminution du traitement lorsque la PAS est inférieure à 130 mmHg chez les patients de plus de 80 ans aux fonctions altérées.
Notre équipe a, quant à elle, lancé une grande étude nationale multicentrique randomisée interventionnelle (étude RETREAT-FRAIL) pour évaluer l’effet de la diminution du nombre des traitements antihypertenseurs sur la mortalité toute cause, chez des sujets âgés de 80 ans et plus, vivant en institution, traités par plus d’une molécule anti-HTA, et ayant une PAS < 130 mmHg. Deux groupes sont constitués : dans le premier, le traitement est inchangé ; dans l’autre, il est diminué. L’étude inclut déjà 780 patients et doit s’étendre sur deux ans.
Toutefois, des études observationnelles ont été publiées ; elles montrent que plus la PAS est basse sous traitement chez les patients âgés ayant des troubles de l’autonomie, plus le déclin cognitif et la mortalité sont importants.3,4 C’est sur cet argument que l’on se fonde pour éventuellement proposer une diminution du traitement lorsque la PAS est inférieure à 130 mmHg chez les patients de plus de 80 ans aux fonctions altérées.
Notre équipe a, quant à elle, lancé une grande étude nationale multicentrique randomisée interventionnelle (étude RETREAT-FRAIL) pour évaluer l’effet de la diminution du nombre des traitements antihypertenseurs sur la mortalité toute cause, chez des sujets âgés de 80 ans et plus, vivant en institution, traités par plus d’une molécule anti-HTA, et ayant une PAS < 130 mmHg. Deux groupes sont constitués : dans le premier, le traitement est inchangé ; dans l’autre, il est diminué. L’étude inclut déjà 780 patients et doit s’étendre sur deux ans.
La définition de l’HTA est donc la même, mais les cibles thérapeutiques diffèrent selon l’état de santé et d’autonomie global du patient âgé. Comment mettre en place le traitement ?
Chez la personne vieillissante, la bithérapie d’emblée (actuellement préconisée pour les patients jeunes)5 ne doit pas être la règle, car ces patients ont une ordonnance souvent déjà bien fournie, les exposant à des interactions médicamenteuses. Entre 60 et 79 ans, elle est indiquée en cas de risque cardiovasculaire élevé ; elle doit rester l’exception au-delà de 80 ans car, bien qu’à haut risque cardiovasculaire, ces patients cumulent d’autres risques associés à l’âge (chute, dépression, dénutrition…).
Il s’agit donc bien de considérer le patient dans sa globalité et d’agir avec prudence. Instaurer le traitement par une monothérapie et en surveiller la tolérance paraît raisonnable, quitte, éventuellement, à y associer ensuite une autre molécule. Il est essentiel de prévenir le patient, dès le début de la prise en charge, qu’il est fort probable qu’il faille ajouter un deuxième médicament ultérieurement.
Il s’agit donc bien de considérer le patient dans sa globalité et d’agir avec prudence. Instaurer le traitement par une monothérapie et en surveiller la tolérance paraît raisonnable, quitte, éventuellement, à y associer ensuite une autre molécule. Il est essentiel de prévenir le patient, dès le début de la prise en charge, qu’il est fort probable qu’il faille ajouter un deuxième médicament ultérieurement.
Y a-t-il des familles d’antihypertenseurs à privilégier ?
En première intention, les thiazidiques et les inhibiteurs calciques sont préférés car leur surveillance est moins lourde.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 restent également des traitements de première intention et sont en général bien tolérés. Ces derniers sont priorisés en présence de certaines pathologies cardiovasculaires associées, notamment une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) basse ou une cardiopathie post-infarctus.
Les bêtabloquants ne sont pas proposés en première intention, sauf en présence d’arythmie complète par fibrillation atriale, d’antécédent d’infarctus du myocarde, de pathologie cardiaque ischémique ou d’insuffisance cardiaque à FEVG basse. En effet, outre la surveillance électrocardiographique nécessaire, ils occasionnent de la fatigue (voire des symptômes dépressifs et des cauchemars), qui s’ajouterait à l’asthénie inhérente au grand âge.
Le furosémide n’est pas un traitement de première intention hors insuffisance cardiaque ou insuffisance rénale oligurique. Les antihypertenseurs centraux et les alphabloquants périphériques ont une place en deuxième ou troisième intention. Enfin, les antagonistes de l’aldostérone doivent être maniés avec précaution et ne pas être associés à d’autres molécules du système rénine-angiotensine, au risque de provoquer une hyperkaliémie et aggraver une insuffisance rénale.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 restent également des traitements de première intention et sont en général bien tolérés. Ces derniers sont priorisés en présence de certaines pathologies cardiovasculaires associées, notamment une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) basse ou une cardiopathie post-infarctus.
Les bêtabloquants ne sont pas proposés en première intention, sauf en présence d’arythmie complète par fibrillation atriale, d’antécédent d’infarctus du myocarde, de pathologie cardiaque ischémique ou d’insuffisance cardiaque à FEVG basse. En effet, outre la surveillance électrocardiographique nécessaire, ils occasionnent de la fatigue (voire des symptômes dépressifs et des cauchemars), qui s’ajouterait à l’asthénie inhérente au grand âge.
Le furosémide n’est pas un traitement de première intention hors insuffisance cardiaque ou insuffisance rénale oligurique. Les antihypertenseurs centraux et les alphabloquants périphériques ont une place en deuxième ou troisième intention. Enfin, les antagonistes de l’aldostérone doivent être maniés avec précaution et ne pas être associés à d’autres molécules du système rénine-angiotensine, au risque de provoquer une hyperkaliémie et aggraver une insuffisance rénale.
L’automesure est-elle une modalité de surveillance raisonnable pour ces patients ?
Oui, l’automesure est toujours une bonne idée, quel que soit le statut physique ou cognitif du patient. D’abord parce qu’elle est d’autant plus utile chez le patient âgé que ses systèmes d’homéostasie fonctionnent moins bien (et donc la PA est très variable). Ensuite, comme à tout âge, elle permet une implication du patient.
Mais peut-on vraiment parler de fiabilité des automesures lorsque le patient a une altération des fonctions supérieures ?
Si les fonctions cognitives du patient sont trop altérées, l’automesure assistée est la solution : les aidants (infirmière, famille…) doivent être formés à cette automesure et à son relevé.
La mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) n’est-elle pas une meilleure option lorsque le patient a une perte d’autonomie ?
Ce serait en effet l’examen de diagnostic et de surveillance idéal si elle n’était pas si mal supportée par les patients très âgés… Cette méthode garde un intérêt majeur pour les patients traités par plusieurs antihypertenseurs afin de connaître la stabilité de l’action hypotensive sur vingt-quatre heures.
Qu’en est-il des mesures hygiénodiététiques ? Quel intérêt chez la personne âgée ?
L’activité physique est à recommander, comme à tout âge. Mais elle doit bien sûr être adaptée aux capacités du patient, et lui procurer du plaisir pour qu’il s’y tienne sur la durée et que cela ne devienne pas une corvée. Pour le reste, les seules recommandations sont de ne pas être excessif sur la consommation de sel (ne pas se nourrir que d’huîtres, par exemple !) et de surveiller que la consommation d’alcool ne mette pas le patient en péril de chute.
Qu’en est-il des mesures hygiénodiététiques ? Quel intérêt chez la personne âgée ?
L’activité physique est à recommander, comme à tout âge. Mais elle doit bien sûr être adaptée aux capacités du patient, et lui procurer du plaisir pour qu’il s’y tienne sur la durée et que cela ne devienne pas une corvée. Pour le reste, les seules recommandations sont de ne pas être excessif sur la consommation de sel (ne pas se nourrir que d’huîtres, par exemple !) et de surveiller que la consommation d’alcool ne mette pas le patient en péril de chute.
Il ne faut donc pas faire maigrir les patients en surpoids ?
Certes, le patient obèse vieillit en moins bonne santé, mais imposer un régime restrictif à un âge avancé de la vie ne peut occasionner qu’une perte de masse maigre et donc être délétère pour le patient. C’est bien plus tôt dans la vie qu’il faut prendre en charge l’obésité, de même que tous les autres facteurs de risque cardiovasculaires ! En effet, si l’HTA est un facteur de risque de démence (et pas seulement de démence vasculaire, mais également de maladie neurodégénératives de type maladie d’Alzheimer) et de mal-vieillir, c’est surtout lorsqu’elle est installée depuis des années ! Avant tout, il faut donc la prévenir (avec notamment des interventions sur le mode de vie) et, le cas échéant, la prendre en charge dès son apparition et de façon très stricte.
Références
1. Rockwood K, Song X, MacKnight C, et al. A global clinical measure of fitness and frailty in elderly people. CMAJ 2005;173(5):489-95.
2. Benetos A, Petrovic M, Strandberg T. Hypertension Management in Older and Frail Older Patients. Circ Res 2019;124(7):1045-60.
3. Benetos A, Labat C, Rossignol P, et al. Treatment with multiple blood pressure medications, achieved blood pressure, and mortality in older nursing home residents: the PARTAGE study. JAMA Intern Med 2015;175(6):989-95.
4. Streit S, Poortvliet R, Gussekloo J. Lower blood pressure during antihypertensive treatment is associated with higher all-cause mortality and accelerated cognitive decline in the oldest-old. Data from the Leiden 85-plus Study. Age Ageing 2018;47(4):545-50.
5. De Fréminville B, Cornu É, Lorthioir A. Bithérapie antihypertensive. Rev Prat Med Gen 2021;35(1061):444-6.
2. Benetos A, Petrovic M, Strandberg T. Hypertension Management in Older and Frail Older Patients. Circ Res 2019;124(7):1045-60.
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4. Streit S, Poortvliet R, Gussekloo J. Lower blood pressure during antihypertensive treatment is associated with higher all-cause mortality and accelerated cognitive decline in the oldest-old. Data from the Leiden 85-plus Study. Age Ageing 2018;47(4):545-50.
5. De Fréminville B, Cornu É, Lorthioir A. Bithérapie antihypertensive. Rev Prat Med Gen 2021;35(1061):444-6.
Dans cet article
- À partir de quel âge peut-on parler de personne âgée ?
- La définition de l’hypertension artérielle (HTA) est-elle différente chez ces patients ?
- Si l’on manque d’études concernant la prise en charge de l’HTA chez le patient âgé dont l’autonomie est altérée, certaines équipes s’y intéressent-elles cependant ?
- La définition de l’HTA est donc la même, mais les cibles thérapeutiques diffèrent selon l’état de santé et d’autonomie global du patient âgé. Comment mettre en place le traitement ?
- Y a-t-il des familles d’antihypertenseurs à privilégier ?
- L’automesure est-elle une modalité de surveillance raisonnable pour ces patients ?
- Mais peut-on vraiment parler de fiabilité des automesures lorsque le patient a une altération des fonctions supérieures ?
- La mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) n’est-elle pas une meilleure option lorsque le patient a une perte d’autonomie ?
- Il ne faut donc pas faire maigrir les patients en surpoids ?