objectifs
Diagnostiquer une agitation et un délire aigus.
Identifier les caractéristiques d’urgence de la situation et planifier leur prise en charge pré-hospitalière et hospitalière (posologies).
L’apparition aiguë d’un état d’agitation ou d’idées délirantes est une situation fréquemment rencontrée dans un contexte d’urgence. Ces deux tableaux syndromiques sont considérés de manière indépendante, car ils ne sont pas systématiquement associés, et la démarche diagnostique et thérapeutique peut différer selon la présence conjointe ou non des deux syndromes.

Diagnostiquer une agitation

L’agitation est définie, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), comme « une activité motrice excessive associée à un état de tension intérieure. L’activité est en général improductive et stéréotypée. Elle se traduit par des comportements tels que la marche de long en large, le fait de gigoter, d’agiter ses mains, de triturer ses vêtements, et l’incapacité à rester assis ».

Interrogatoire

L’interrogatoire du patient et, si possible, de tout autre informant disponible doit préciser :
  • les circonstances de survenue : date de début, mode d’apparition (brutale en quelques heures ou dans un contexte de modification progressive du comportement depuis plusieurs jours ou semaines) ; au décours d’un événement particulier (maladie, post-partum, accident, voyage, événement de vie récent)… ;
  • les antécédents : documenter de manière très détaillée tous les médicaments récemment consommés (y compris en automédication ou dans le cadre d’une tentative de suicide) ou récemment interrompus (y compris à l’initiative du patient) ; la prise récente ou l’arrêt récent d’alcool ou d’autres substances psychoactives ; les antécédents personnels et familiaux médicaux et psychiatriques.

Examen clinique

Il a pour objectif de rechercher :
  • un syndrome confusionnel : désorientation temporo-spatiale, obnubilation, trouble de vigilance, troubles mnésiques (amnésie antérograde, fausses reconnaissances) ;
  • les symptômes non psychiatriques associés afin d’identifier une urgence mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel : dyspnée, cyanose, myosis, mydriase, hyperthermie, symptômes méningés, signes de localisation neurologiques, morsure de langue, sueurs profuses, globe urinaire, etc. ;
  • les symptômes psychiatriques associés :
. symptômes thymiques de type maniaque ou hypomaniaque (humeur euphorique exaltée ou irritable, excitation psychomotrice avec hyperactivité/logorrhée, augmentation de l’estime de soi, réduction du besoin de sommeil, désinhibition avec conduites à risque) ;
. symptômes thymiques de type dépressif (tristesse de l’humeur, anhédonie, péjoration de l’avenir, autodépréciation, culpabilité, idées suicidaires) :
. symptômes anxieux, notamment attaque de panique avec multiples symptômes somatiques (palpitations, sensation d’étouffement, vertige, paresthésies, etc.), symptômes cognitifs avec sensation de mort imminente ou de perte de contrôle (« devenir fou »), symptômes dissociatifs (déréalisation, dépersonnalisation) ; état de stress aigu à la suite de l’exposition (directement, en tant que témoin, en tant que proche) à un événement traumatique (mort effective, menace de mort, blessure grave, violence sexuelle) ;
. symptômes psychotiques positifs (idées délirantes, hallucinations), négatifs (émoussement affectif, incurie, repli sur soi) et à type de désorganisation (bizarrerie, troubles du langage) ;
. symptômes catatoniques, où les phases d’agitation non influencées par des stimuli externes peuvent alterner avec des phases de stupeur ou de catalepsie ;
. risque suicidaire et dangerosité pour autrui : à évaluer de manière systématique quelle que soit l’hypothèse diagnostique.

Examens complémentaires

Ils doivent comprendre au minimum :
  • une mesure de la glycémie au doigt et de la saturation artérielle en oxygène ;
  • un bilan biologique avec glycémie et ionogramme, calcémie, hémogramme, hémostase (avant injection intramusculaire) ;
  • un ECG (avant l’administration d’un traitement antipsychotique).
Les autres examens sont à déterminer en fonction de l’anamnèse et de l’examen clinique ; il faut notamment discuter :
  • alcoolémie, dosage urinaire de toxiques ;
  • ponction lombaire, scanner cérébral, EEG ;
  • CRP, ECBU, goutte épaisse, radio pulmonaire ;
  • D-dimères ;
  • la TSH est souvent demandée en urgence, mais le résultat n’est pas immédiatement disponible et elle est souvent perturbée dans ce contexte. Elle doit être contrôlée à distance en cas d’anomalie.

Diagnostic étiologique

La liste des diagnostics étiologiques d’un état d’agitation est extrêmement longue. Il faut dans tous les cas éliminer une cause médicale non psychiatrique, et ce même si la personne a des antécédents connus de trouble psychiatrique. Il est donc essentiel ici d’appliquer un raisonnement probabiliste, que ce soit pour l’ECN ou dans la pratique clinique, en distinguant plusieurs situations types.

Agitation d’apparition aiguë chez un adulte jeune sans antécédents connus

Diagnostics étiologiques à évoquer de manière prioritaire :
  • une intoxication aiguë à des substances psychoactives : alcool, cannabis et autres hallucinogènes (LSD), psychostimulants (cocaïne, amphétamine, ecstasy) ;
  • un sevrage de substance psychoactive, notamment alcool, héroïne, autres morphiniques, benzodiazépines ;
  • une iatrogénie médicamenteuse :
. les antidépresseurs sont le plus fréquemment en cause (syndrome sérotoninergique, virage maniaque ou hypomaniaque) ;
. il faut également connaître les effets paradoxaux des benzodiazépines, plus fréquents chez l’adulte jeune, avec un état d’agitation parfois incoercible ;
. les autres traitements médicamenteux à risque sont (entre autres) les corticoïdes, les antipaludéens (dans un contexte de voyage), les agonistes dopaminergiques (notamment bromocriptine), les anticholinergiques, l’isoniazide, l’interféron… ;
  • une pathologie métabolique (hypoglycémie) ou endocrinienne (hyperthyroïdie) ;
  • une pathologie infectieuse : méningo-encéphalite herpétique, neuropaludisme ;
  • une pathologie neurologique non infectieuse : crise convulsive, accident vasculaire cérébral hémorragique… ;
  • une intoxication au monoxyde d’azote ;
  • une embolie pulmonaire.
Une fois ces diagnostics éliminés, on peut envisager un diag­nostic de trouble psychiatrique. L’agitation est un symptôme totalement aspécifique, et tous les troubles psychiatriques peuvent entraîner un état d’agitation. En l’absence d’antécédents connus, les diagnostics étiologiques les plus fréquents sont :
  • une attaque de panique isolée ou dans le cadre d’un trouble panique ;
  • un épisode maniaque, hypomaniaque ou mixte dans le cadre d’un trouble bipolaire ou pharmaco-induit par les antidépresseurs, associé ou non à des symptômes psychotiques ;
  • un épisode dépressif majeur avec agitation anxieuse, associé ou non à des symptômes psychotiques ;
  • un trouble psychotique bref, caractérisé par la survenue depuis plus d’un jour et moins d’un mois d’idées délirantes, hallucinations, désorganisation du discours et du comportement. Il peut ou non succéder à un facteur de stress marqué ou survenir dans le cadre du post-partum. Ce diagnostic est souvent posé par excès chez des patients présentant des épisodes maniaques ou mixtes avec caractéristiques psychotiques ;
  • un trouble psychotique chronique débutant (trouble schizophréniforme si < 6 mois, schizophrénie ou trouble schizo- affectif si > 6 mois, trouble délirant persistant si > 1 mois) ;
  • un trouble de la personnalité (surtout borderline, antisociale ou histrionique), en soulignant qu’un tel diagnostic est quasiment impossible à poser dans un contexte d’urgence.

Agitation d’apparition aiguë chez un patient avec des antécédents psychiatriques

Même si cause la plus probable de l’état d’agitation est le trouble psychiatrique déjà connu, il faut rester vigilant et garder la même démarche étiologique, c’est-à-dire éliminer systématiquement une autre pathologie intercurrente. Il faut notamment penser à rechercher une étiologie iatrogène à l’état d’agitation, et ne pas confondre un effet secondaire du traitement psycho­trope avec un symptôme du trouble. Il faut ainsi évoquer :
  • un syndrome sérotoninergique chez un patient débutant un traite­ment antidépresseur ;
  • un virage maniaque, hypomaniaque ou mixte sous antidépresseur ;
  • un effet paradoxal des benzodiazépines et apparentés (composés Z) ;
  • un syndrome extrapyramidal des antipsychotiques (dyskinésie aiguë ou akathisie, tous deux très anxiogènes) ;
  • un syndrome confusionnel induit par les psychotropes à action anticholinergique (antidépresseurs tricycliques, antipsychotiques sédatifs type lévomépromazine ou cyamémazine, correcteurs des effets secondaires extrapyramidaux des antipsychotiques) ;
  • un syndrome confusionnel dans le cadre d’une intoxication au lithium.

Agitation d’apparition aiguë chez une personne âgée

La plus grande vigilance s’impose dans ce contexte concernant l’élimination d’une cause médicale non psychiatrique. Les diag­nostics étiologiques à évoquer de manière prioritaire sont :
  • une iatrogénie médicamenteuse : cette population est très exposée aux médicaments psychotropes qui peuvent tous induire un état d’agitation, notamment :
. les benzodiazépines (syndrome confusionnel à l’instauration ou au sevrage après arrêt brutal) ;
. les antidépresseurs (confusion, syndrome sérotoninergique, virage maniaque ou hypomaniaque) ;
. les autres médicamenteux à risque sont les mêmes que chez l’adulte jeune (notamment corticoïdes, agonistes dopaminergiques, anticholinergiques) ;
  • un trouble hydro-électrolytique ;
  • une infection (urinaire, pulmonaire, etc.) ;
  • un globe vésical ou un fécalome ;
  • une pathologie neurologique ou neurochirurgicale : accident vasculaire cérébral, hématome sous-dural ou extradural, crise convulsive ;
  • une pathologie cardiovasculaire : embolie pulmonaire, infarctus du myocarde.
Ce n’est qu’après un bilan somatique complet que l’on évoque une éventuelle pathologie psychiatrique, car l’agitation est rarement un symptôme inaugural d’un trouble psychiatrique de la personne âgée. Si c’est le cas, les diagnostics les plus fréquents sont :
  • épisode dépressif majeur avec agitation anxieuse, associé ou non à des symptômes psychotiques ;
  • épisode maniaque, hypomaniaque ou mixte dans le cadre d’un trouble bipolaire à début tardif ou pharmaco-induit par les antidépresseurs ;
  • attaque de panique isolée ou dans le cadre d’un trouble panique si répétition des épisodes ;
  • trouble délirant persistant à type de jalousie ou de persécution.

Diagnostiquer un délire aigu

Une idée délirante est définie, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), comme « une croyance erronée fondée sur une déduction incorrecte concernant la réalité extérieure, fermement soutenue en dépit de l’opinion très généralement partagée et de tout ce qui constitue une preuve incontestable et évidente du contraire. Il ne s’agit pas d’une croyance habituellement partagée par les autres membres du groupe ou du sous-groupe culturel du sujet (par exemple il ne s’agit pas d’un article de foi religieuse) ». On définit son caractère aigu par l’apparition récente depuis moins d’un mois.

Interrogatoire, examen clinique, et examens complémentaires

Les règles de base sont similaires à celles décrites dans le chapitre agitation, avec quelques éléments supplémentaires.

Caractériser les idées délirantes :

Thème : le plus fréquent est la persécution ; il faut dans ce cas rechercher s’il existe un « persécuteur désigné », c’est-à-dire une personne nominativement désignée comme étant à l’origine des persécutions ou du complot. Les autres thèmes fréquents sont la mégalomanie, la jalousie, l’érotomanie, l’hypochondrie (incluant le syndrome de Cotard avec négation d’organe : « je n’ai plus d’estomac »), la culpabilité, la ruine, les idées de référence (« on parle de moi à la radio, à la télé »). Certains thèmes traduisent une perte de l’intimité psychique : syndrome d’influence (« je suis télécommandé à distance comme un robot »), lecture/devinement de la pensée, vol de la pensée, diffusion de la pensée (ces symptômes sont parfois dénommés « hallucinations intra­psychiques » même s’ils n’ont aucun caractère sensoriel). Il faut noter que les thèmes n’ont pas de spécificité diagnostique, et que chaque thème peut être trouvé dans plusieurs types de trouble psychiatrique.
Mécanisme : il peut être interprétatif, une interprétation délirante est donnée à un fait réel (« les gens me regardent bizarrement et se moquent de moi ») ; intuitif, l’idée délirante émerge sans aucun fait événement extérieur (« j’ai tout d’un coup compris que j’étais l’élu de Dieu ») ; hallucinatoire, une explication délirante est donnée à des hallucinations (« des savants font des expériences sur moi en me faisant entendre des voix ») ; imaginatif, avec création d’univers délirants de type science-fiction ou fantasy (« j’ai construit une soucoupe volante pour rejoindre la planète Gaïa »).
Systématisation/organisation/structuration : les idées délirantes sont dites non systématisées si elles sont à thèmes multiples (polymorphes), sans cohérence ni lien logique entre elles. Les idées délirantes systématisées portent en général sur un thème unique (persécution, jalousie, érotomanie) et ont une organisation interne respectant la logique, même si le postulat de base est faux.
Adhésion : dans les idées délirantes d’apparition aiguë, elle est souvent totale, avec absence de critique, le patient est plongé dans un univers de cauchemar (plus rarement de rêve) qu’il vit aussi intensément que si cet univers était réel. Le patient peut par épisode sortir de cet univers onirique, avec une perplexité anxieuse.
Retentissement : il doit être évalué systématiquement, avec notamment évaluation du niveau d’anxiété qui est souvent majeur, du risque suicidaire, et du risque de passage à l’acte hétéro- agressif. La dangerosité pour soi-même ou pour autrui peut être la conséquence directe des idées délirantes (échapper au complot, expier de ses fautes, se venger d’un persécuteur).
Congruence à l’humeur : ce n’est pas un point essentiel à retenir, mais plutôt une explication car ce critère est souvent retrouvé dans les manuels. Une idée délirante est dite congruente à l’humeur quand son thème est en adéquation avec l’humeur prédominante, par exemple des thèmes de culpabilité ou de ruine quand l’humeur est triste, ou mégalomaniaque quand elle est euphorique.

Rechercher les autres symptômes psychotiques

On recherche notamment les hallucinations, définies comme des perceptions sans objet à percevoir. Elles peuvent être :
  • acoustico-verbales : voix unique ou multiples, connues, inconnues, parlant à la 2e ou 3e personne, généralement hostiles ;
  • visuelles : zoopsies, monstres, figures. La plus grande vigilance s’impose dans ce cas, toujours suspecter une cause médicale non psychiatrique ;
  • cénesthésiques : sensibilité profonde (ondes, décharges électriques...) ou tactiles (piqûre, brûlure, grouillement d’insectes) ;
  • olfactives : odeurs de gaz, de putréfaction ;
  • gustatives : goût amer, de pourriture, souvent associées à des idées d’empoisonnement.

Rechercher de manière systématique les symptômes thymiques

On recherche aussi si possible la chronologie d’apparition des symptômes thymiques et psychotiques (concomitante ou non).

Évaluer le niveau d’adaptation prémorbide

On évalue le fonctionnement familial, social, scolaire ou professionnel.

Diagnostic étiologique

En cas de symptômes psychotiques d’apparition aiguë, la même démarche étiologique que celle décrite précédemment s’applique concernant la recherche systématique d’une pathologie médicale non psychiatrique, quels que soient l’âge et les antécédents du patient.
Chez la personne âgée, on recherche les mêmes causes médicales non psychiatriques que celles évoquées précédemment, avec là encore de manière prioritaire une étiologie iatrogène, un trouble hydro-électrolytique, une cause neurologique, une infection. Chez l’adulte jeune, on recherche de manière prioritaire une étiologie toxique (intoxication ou sevrage), iatrogène, infectieuse, métabolique ou endocrinienne.
En l’absence de pathologie médicale non psychiatrique, les diagnostics psychiatriques à évoquer sont :
  • un épisode maniaque ou mixte avec caractéristiques psychotiques dans le cadre d’un trouble bipolaire ou pharmaco-induit par les antidépresseurs. Les idées délirantes sont le plus souvent à thème mégalomaniaque ou de persécution, mais tous les thèmes peuvent se rencontrer. À noter, un piège diagnostique si les idées de persécution prédominent : l’humeur est dans ce cas le plus souvent irritable, et très rarement euphorique. Les critères sémiologiques importants sont l’existence d’une accélération (excitation psychomotrice, logorrhée) et une diminution du besoin de sommeil. Le niveau de fonctionnement prémorbide est généralement bon ;
  • une « psychose puerpérale » qui est dans la quasi-totalité des cas un épisode maniaque ou mixte du post-partum ;
  • un épisode dépressif majeur avec caractéristiques psychotiques. Les idées délirantes sont le plus souvent à thème de culpabilité, de ruine, ou d’hypochondrie. L’existence d’un ralentissement psychomoteur est un critère sémiologique important. Le niveau de fonctionnement prémorbide est généralement bon, sauf si la dépression évolue sans traitement depuis plusieurs mois ;
  • un trouble psychotique bref (v. supra.) ;
  • un trouble psychotique chronique débutant ou non diagnostiqué (trouble schizophréniforme, schizophrénie, trouble schizo-affectif, trouble délirant persistant). Le caractère aigu est ici apparent, le patient est vu en urgence le plus souvent dans le cadre d’une agitation ou d’un passage à l’acte alors que les symptômes psychotiques évoluent depuis plusieurs mois voire plusieurs années.

Identifier les situations d’urgence et planifier leur prise en charge

Principes généraux de la prise en charge

Quelle que soit l’origine, les règles générales suivantes s’appliquent :
  • toujours tenter d’instaurer une relation thérapeutique quel que soit le degré d’agitation ou d’envahissement délirant : attitude calme et empathique, répéter que l’aide est le seul objectif, ne pas tenter de raisonner, ne pas menacer, ne pas ordonner de se calmer ;
  • sécurisation de l’environnement pour prévenir l’auto- et l'hétéro- agressivité y compris involontaire : limiter les temps d’attente, faire sortir les proches, environnement le plus calme possible, chambre éclairée, ne pas rester seul avec le patient, ne pas laisser le patient sans surveillance, disposer d’un système d’alerte ou d’appel (PTI, protection travailleur isolé), ne pas laisser d’objets possiblement dangereux à portée du patient, fermer les fenêtres ;
  • la contention physique doit toujours être une mesure de dernier recours, prise sur décision médicale. Elle doit avoir pour seul objectif l’administration d’un traitement sédatif, dont le délai d’action doit être le plus bref possible ;
  • évaluer la nécessité d’une mesure de soins sans consentement : un patient peut donner son accord pour une hospitalisation en psychiatrie même en cas d’agitation ou de symptômes psychotiques. Si le patient présente un trouble psychiatrique nécessitant des soins, mais refuse d’être hospitalisé, une mesure d’admission en soins psychiatriques à la demande du représentant de l’État peut être envisagée si ces troubles menacent l’ordre public ou la sécurité des personnes, ou une mesure d’admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en péril imminent si le patient est dangereux pour lui-même.

Traitement médicamenteux

La prise en charge thérapeutique relève du traitement symptomatique et étiologique adapté à chaque situation. Si un traitement médicamenteux sédatif symptomatique est nécessaire du fait de l’intensité de l’agitation et/ou du retentissement émotionnel et comportemental des symptômes psychotiques, les règles générales suivantes s’appliquent quelle que soit la cause :
  • l’objectif est d’obtenir très rapidement une sédation, afin de pouvoir calmer le patient si possible sans induire de sommeil, pour permettre une évaluation clinique ;
  • toujours privilégier la monothérapie et la voie per os ;
  • toujours s’assurer de l’absence de contre-indication avec risque létal : insuffisance respiratoire, allongement du QTc, trouble de la coagulation (IM).
Trois classes de traitements psychotropes peuvent être utilisées à visée sédative dans un contexte d’urgence.
Les benzodiazépines : les molécules ayant une autorisation de mise sur le marché pour les états d’agitation sont l’oxazépam (per os), le diazépam et le clorazépate (per os et IM). Les benzodiazépines sont contre-indiquées en cas d’intoxication alcoolique, de coprescription d’olanzapine IM, d’insuffisance respiratoire et de myasthénie. Ces molécules sont recommandées en première intention à fortes doses dans le sevrage à l’alcool. Les risques sont essentiellement la dépression respiratoire, la confusion (personne âgée : privilégier les molécules à demi-vie courte) et les effets paradoxaux (enfants/adolescents). Les limites principales sont leur faible biodisponibilité en IM, et leur faible niveau de preuve en monothérapie dans l’agitation psychotique.
Les antipsychotiques de première génération : l’halopéridol est l’anti­psychotique dont l’efficacité est la plus documentée en urgence. Cette molécule a un effet minime sur les fonctions vitales, pas d’effet anticholinergique et peu d’interactions avec les traitements non psychotropes. Les risques sont essentiellement liés aux effets extrapyramidaux, notamment à type de dyskinésie aiguë (traitement par anticholinergiques IM, par exemple tropatépine). Même s’ils restent encore très largement utilisés en France, les autres antipsychotiques de première génération ne sont pas recommandés en urgence du fait d’un rapport bénéfice/risque défavorable (cyamémazine, lévomépromazine : allongement QTc, hypotension, effets anticholinergiques, abaissement du seuil épileptogène) ou d’un très faible niveau de preuve (loxapine).
Les antipsychotiques de seconde génération : ces molécules sont actuellement recommandées en première ligne dans les états d’agitation psychiatriques avec symptômes psychotiques ou avec confusion (hors sevrage en benzodiazépines ou alcool). L’olanzapine est à ce jour la molécule dont l’efficacité dans l’agitation, notamment psychotique, est la plus documentée aussi bien par des essais thérapeutiques financés par l’industrie pharma­ceutique que par des essais indépendants. Elle peut s’administrer per os ou par voie IM. Son efficacité est comparable à celle de l’halopéridol, avec un moindre risque d’effets extrapyramidaux, et pas d’allongement significatif du QTc. Le principal risque est la dépression respiratoire si l’olanzapine est administrée en IM avec une coprescription de benzodiazépines. L’aripiprazole, qui existe également par voie IM, est une alternative possible, avec un moindre risque de dépression respiratoire, mais plus de risque d’effets extrapyramidaux à type d’akathisie.

Conclusion

Il est essentiel de bien connaître les étiologies médicales non psychiatriques pouvant induire l’apparition aiguë d’un état d’agitation ou d’idées délirantes, car les erreurs diagnostiques et retards de prise en charge peuvent mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel du patient.
Points forts
Agitation et délire aigus

Une cause médicale non psychiatrique doit être systématiquement envisagée chez toute personne présentant un état d’agitation ou des idées délirantes d’apparition récente.

Chez la personne âgée, on recherche de manière prioritaire une iatrogénie médicamenteuse, un trouble hydro-électrolytique ou métabolique, une cause neurologique. Chez l’adulte jeune, on recherche de manière prioritaire une cause toxique (intoxication ou sevrage), iatrogène, infectieuse.

L’agitation et les idées délirantes n’ont pas de spécificité diagnostique et peuvent se rencontrer dans de nombreux troubles psychiatriques. Les symptômes thymiques (maniaques ou dépressifs) doivent être recherchés systématiquement.

La prise en charge thérapeutique en urgence est celle de la pathologie sous-jacente en cas d’organicité. Elle est symptomatique (sédation et anxiolyse) en cas de trouble psychiatrique.

La prévention du risque suicidaire et l’évaluation de la dangerosité pour autrui doivent être systématiques.

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À titre illustratif, un exemple de cas clinique

M. X., âgé de 23 ans, arrive au service des urgences de l’hôpital général après un rapatriement sanitaire alors qu’il était en voyage touristique en Thaïlande. Sa compagne a organisé son retour, inquiète devant le changement brutal de comportement de son ami et ses propos incohérents. À l’admission, le patient est prostré, mutique, il regarde fixement le mur d’un air terrifié, en se bouchant les oreilles. Brusquement, il devient très agité, se met à courir dans la salle d’urgence, en criant « Arrêtez-les, je vais mourir ! ». Il s’effondre en larmes, disant qu’il est responsable d’un tsunami qui va submerger l’Asie. Puis il se met à rire aux éclats et déclare qu’il vient de recevoir un message de Dieu, et qu’il a le pouvoir de sauver tous ces gens. D’après les informations données par son entourage, il s’agit d’un jeune homme bien intégré, ayant une excellente adaptation universitaire, sans aucun antécédent médical.

Face à une telle situation clinique, dans la vraie vie comme à l’ECN, il est indispensable de bien connaître les situations où une erreur/retard de décision peut mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel. Les questions sur un tel cas clinique pourront donc concerner :

➥ la démarche diagnostique visant à éliminer une pathologie médicale non psychiatrique pour lesquelles l’agitation et/ou les idées délirantes sont au premier plan du tableau clinique : par exemple, ici, prise de toxique, neuropaludisme… ;

➥ les indications, contre-indications, le bilan préthérapeutique et la surveillance des médicaments psychotropes pouvant être utilisés pour traiter les états d’agitation ; par exemple, ne pas prescrire de benzodiazépine en cas d’insuffisance respiratoire ; faire un électrocardiogramme avant de prescrire un antipsychotique ;

➥ les modalités d’hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement, notamment les certificats exigés par la loi et leur rythmicité.

Pour en savoir
HAS. Haute Autorité de santé, 2017. Isolement et contention en psychiatrie générale. Recommandations. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2055362/fr/isolement-et-contention-en-psychiatrie-generale

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