Voilà des chiffres accablants. Toujours les mêmes, hélas ! depuis si longtemps. Cette terrible constance au fil des ans nous rappelle le désastre de santé publique qu’ils illustrent, irrémédiablement.
La stabilité de ce comptage morbide pourrait nous pousser à croire que les réponses sanitaires sont inefficaces et qu’il conviendrait peut-être, modestement, de « ne pas emmerder » les Français avec leur consommation d’alcool, comme le suggère notre président. Ainsi les médecins généralistes pourraient se contenter de faire ce qu’on leur demande toujours : soigner les dégâts plutôt que tenter vainement de s’attaquer à leur cause.
Ne prenez-vous pas déjà en charge les millions d’hypertendus de l’Hexagone en leur évitant accidents coronaires ou vasculaires cérébraux ? N’accompagnez-vous pas des patients atteints des six cancers alcoolo-induits (voies aérodigestives supérieures, œsophage, foie, sein chez la femme, côlon, rectum) ? Les maladies alcooliques du foie, les pancréatites, les ostéonécroses de la tête fémorale ? Les dépressions résistantes, les insomnies rebelles, les arrêts maladie itératifs aux motifs déguisés pour protéger du licenciement ? Les violences domestiques, les souffrances inavouées ? Et l’entourage épuisé, désespéré et honteux qui ne peut trouver qu’auprès de vous cette écoute chronophage mais si précieuse ? Sans parler du tabagisme, de l’obésité et du diabète souvent en embuscade comorbide chez les gros buveurs… Avez-vous assez d’addictologues, de nutritionnistes et de diabétologues disponibles dans votre réseau pour vous soulager à votre tour et tenter de freiner ce décompte macabre ?
45 000 décès sont, chaque année, attribuables à la consommation d’alcool !
Pourtant, d’après les épidémiologistes, ces morts précoces sont « évitables ». Pourquoi pas mais par qui et comment ? Ces chercheurs ont pu établir les seuils de consommation à moindre risque. Inspirées de leurs travaux, les recommandations assez récentes de Santé publique France perturberont les repères que vous aviez acquis de longue date (pas plus de 3 verres par jour pour les hommes et 2 pour les femmes) : moins de 10 verres standard par semaine (avec 1 ou 2 jours d’abstinence) et pas plus de 4 en une seule occasion. Voilà donc, pour le coup, des chiffres en baisse ! Vous vous demandez peut-être si ces objectifs plus stricts ne découlent pas d’une dérive prohibitionniste… Ces seuils peuvent vous paraître si bas que vous seriez tentés de renoncer et d’adresser les 15 millions de Français concernés par le risque alcool à des spécialistes addictologues…
Pourtant, nombre d’études démontrent que vous êtes plus efficaces qu’eux. La très grande majorité de vos patients considèrent désormais que l’alcool est globalement dangereux pour leur santé et que ceux à qui ils la confient (vous) doivent s’en préoccuper. Une fois par an, faire le point avec les adultes sur la consommation de la semaine précédente est déjà une intervention. Elle est utile plus d’une fois sur deux pour faire baisser leur consommation sous le niveau de risque que vous aurez en même temps rappelé. Vous en doutez ? Jetez-vous donc à l’eau.