Les déclarations du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, sur « le vin, un alcool pas comme les autres », montrent combien, encouragé par l’attitude complaisante du président de la République, le lobby viticole manœuvre avec efficacité.
Le ministre qui n’a jamais vu « un jeune qui sort de boîte de nuit, et qui est saoul, parce qu’il a bu du côtes-du-rhône » et qui a vraiment besoin d’une visite guidée des services d’urgence, s’est vu « recadré » par Agnès Buzyn qui lui a rappelé que « si le vin fait partie de notre patrimoine […] la molécule d’alcool contenue dans le vin est exactement la même que celle contenue dans n’importe quelle boisson alcoolisée ». Sur Europe 1, Didier Guillaume a fait cette étonnante réponse : « Une molécule de vin et de whisky a le même degré d’alcool, mais je ne bois pas des molécules, je bois des verres ». Comme on lui faisait remarquer que ses propos rappelaient ceux de la déléguée générale du lobby « Vin et société » qui martèle : « Essayons de ne pas limiter le vin à une simple molécule d’alcool », le ministre s’est défendu en proclamant sa volonté de « lutter contre l’alcoolisme, contre l’addictologie ». Contre l’addictologie ? Était-ce un lapsus révélateur ou une cible parfaitement identifiée ? On peut s’interroger tant il est vrai qu’avec un président de la République qui n’est pas un ami de la loi Évin, sa conseillère à l’Agriculture qui n’est autre qu’Audrey Bourolleau, ancienne responsable de « Vin et société », et les commentaires de Didier Guillaume, la ministre de la Santé et avec elle les addictologues (et tous les soignants) ont bien du souci à se faire pour tenter de réduire une consommation responsable de 50 000 morts par an en France… Le paragraphe « Agir sur les prix de l’alcool et du tabac » du récent Plan national de mobilisation contre les addictions (Alcool, Tabac, Drogues, Écrans) 2018-2022 est à cet égard édifiant.1 On y lit que (comme pour le tabac) : « l’action sur le prix apparaît dans toutes les études comme l’une des mesures les plus efficaces pour réduire la consommation d’alcool et les dommages qui en découlent ». L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est citée, qui estime « qu’une hausse des taxes ayant pour résultat l’augmentation de 10 % du prix des boissons alcoolisées et l’adoption d’une série de mesures réglementaires pourraient produire des effets considérables ». À ce stade de la lecture, la conclusion logique de ce texte officiel préfacé par le Premier ministre serait donc que… Eh bien non ! Car voilà la fin du paragraphe : « En France, l’étude “Alcoprihaut” en 2013-2014 a exploré l’efficacité [de la fixation] d’un prix minimum [une mesure jugée efficace], en partant de l’insuffisance d’un changement de fiscalité des boissons alcooliques vendues à un prix très bas du gramme d’alcool, notamment le vin, pour atteindre les objectifs de santé publique. Cette mesure permettrait de mieux protéger les jeunes et gros consommateurs. Ces données doivent être complétées par une évaluation de l’ampleur des effets escomptés en matière de santé publique, induits par la baisse de consommation, ainsi que de l’impact d’une telle mesure sur les différents secteurs économiques concernés ». Traduction de ce jargon : gagnons encore du temps avec une réévaluation inutile, puisque finalement ce qui compte c’est de limiter l’impact de la mesure sur la « bonne santé » de la filière viticole… et tant pis si, par exemple, la consommation explose chez les femmes et génère chez elles des dégâts considérables (v. page 179)… Quand cessera le temps du déni ? V

1. In: Priorité 4 « Promouvoir le bien-être et la réussite des jeunes ». Plan national de mobilisation contre les addictions (Alcool, Tabac, Drogues, Écrans) 2018-2022. https://www.drogues.gouv.fr/la-mildeca/le-plan-gouvernemental/mobilisation-2018-2022 ou https://bit.ly/2FEX0Xj

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