Aborder l’allergie alimentaire, qui atteint 4 % des adultes et 8 % des enfants, avec un regard neuf et moderne est désormais une nécessité. L’interrogatoire permet de contextualiser le phénomène et de préciser la chronologie des manifestations, leur nature et les conditions de déclenchement.
Modes particuliers de sensibilisation
Petit rappel : la période asymptomatique de sensibilisation se caractérise uniquement par la fabrication d’anticorps IgE. L’allergie IgE médiée et son cortège de symptômes, allant de l’urticaire au choc anaphylactique, s’installe ensuite après des contacts répétés avec l’allergène.
Par contact avec la peau
On sait aujourd’hui que, chez le nourrisson, le contact avec un allergène alimentaire par voie cutanée (contenu dans un cosmétique) est sensibilisant, d’autant plus lorsque le bébé a un eczéma atopique et qu’il a moins de 3 mois. En revanche, le contact par voie orale est en grande partie préventif, en induisant une « tolérance physiologique ».
Ce mode de sensibilisation cutanée est aussi connu chez l’adulte : par exemple, on a identifié un nouvel allergène sensibilisant dans le lait d’ânesse contenu dans certains cosmétiques. C’est une protéine thermostable (Equ a6*) qui a 99 % d’homologie de structure avec l’allergène Equ c6* du lait de jument, avec un risque non négligeable de sensibilisation et d’allergie croisées.
Morsure de tique
Contrairement aux allergènes alimentaires classiques qui sont protéiques, il s’agit, dans ce cas, d’un glucide appelé « galactose-alpha-1,3-galactose-bêta-1,4-N-acétylglucosamine », plus communément appelé « alpha-gal », normalement absent chez l’être humain mais présent chez certains mammifères (bovins, ovins, porcins, équins, caprins, lapins). Sa transmission à l’homme par morsure de tique le sensibilise, avec pour conséquence la fabrication d’anticorps IgE anti-alpha-gal. L’allergie alimentaire se déclenchera après ingestion de viandes et d’abats gorgés de ce glucide.
Attention, cette allergie à la viande n’a rien de commun avec le syndrome « porc-chat » lié à une allergie croisée entre le sérum albumine de la viande de porc consommée et celle (Feld 2) de l’animal de compagnie : le chat.
Piqûres de méduses
Depuis peu, un lien est établi entre la pratique du surf et le choc anaphylactique par ingestion de natto (fèves de soja fermenté). Le surfeur se sensibilise par des contacts fréquents avec les tentacules de méduses bardés d’organites venimeux (nématocystes) remplis de PGA (acide poly-gamma-glutamique). Ce même PGA est obtenu après fermentation de haricots de soja cuits sous l’action du Bacillus subtilis, d’où le risque d’allergie sévère lors de leur consommation par ces sportifs sensibilisés. Attention : la sensibilisation au PGA est aussi rencontrée en cas de traitement par cétuximab, qui en contient.
Par transplantation d’organe
Cette nouvelle voie de « transmission » est décrite depuis 1997 : c’est le risque d’allergie alimentaire ou respiratoire chez le receveur d’un greffon (initialement indemne de toute histoire allergique) issu d’un donneur compatible allergique connu. Citons, par exemple, le cas de cette femme ayant bénéficié d’un don de foie et de rein d’un donneur décédé d’un choc anaphylactique à l’arachide. Trois mois plus tard, elle fait un choc anaphylactique après avoir consommé des cacahuètes.
Les allergies alimentaires IgE médiées survenant chez des enfants transplantés hépatiques sont les plus documentées. Leur prévalence est estimée entre 6 et 38 % selon les études.
Facteurs de déclenchement de l’allergie alimentaire
L’interrogatoire en allergologie ressemble à une enquête policière qui répond à plusieurs critères : horaire, contenu du repas… sans négliger aucune piste.
Par ingestion
Il est important de bien répertorier tous les aliments ingérés soit sous forme naturelle soit « cachés » dans la composition d’une préparation industrielle (l’étude de l’étiquetage alimentaire est très importante avec les 14 allergènes à déclaration obligatoire !). En ce qui concerne les bébés, il ne faut pas négliger la piste du passage des allergènes alimentaires à travers le lait maternel (protéines de lait de vache, œuf).
Attention aussi à la présence de pollens dans la composition d’un miel : il y a un risque de choc anaphylactique après ingestion par un sujet ayant une allergie respiratoire connue à ces pollens.
Le « pancake syndrome » est décrit chez l’allergique aux acariens, après consommation de plats préparés à base de farines de blé ou de maïs contaminées par des acariens domestiques ou de stockage. On estime que 7 % des farines mal stockées sont concernées ou le seront dans les 2 mois qui suivent l’ouverture du paquet. La concentration peut varier de 1 680 à 52 200 acariens par gramme de farine de blé.
Enfin, l’anaphylaxie à l’effort est déclenchée par l’ingestion de l’aliment suivi d’un effort (sport, danse …) dans les 3 à 4 heures suivantes. La particularité est que la consommation de l’aliment en cause en l’absence d’activité n’entraîne aucune réaction.
Par inhalation
Les aliments d’origine animale ou végétale contiennent plusieurs familles allergéniques résistantes ou non à la cuisson. Les allergènes thermorésistants persistent et peuvent être présents dans les vapeurs de cuisson (poissons et crustacés par exemple). Leur inhalation peut suffire à déclencher en quelques minutes une réaction souvent sévère chez une personne préalablement sensibilisée ou déjà allergique à ces produits de la mer.
L’inhalation de poussière de bâtiments contenant des allergènes alimentaires peut induire un choc anaphylactique chez un sujet allergique. Cet événement, certes rare, a causé en 2017 le décès d’un homme ayant respiré des poussières après décapage utilisant du sable contenant de la noix auquel il était allergique.
L’inhalation d’un allergène alimentaire dans la carlingue d’un avion est favorisée par la ventilation en circuit fermé. Il suffit que 25 passagers ouvrent chacun un sachet de cacahuètes pour favoriser la dispersion d’allergènes d’arachide dans cet environnement clos.
Par contact avec la peau
La peau n’est pas seulement une voie de sensibilisation mais aussi une source de réactions allergiques par le biais de cosmétiques dont l’un des ingrédients est une protéine végétale ou animale (l’amande, par exemple).
L’allergène alimentaire peut se cacher aussi – exceptionnellement – dans un objet : des gants de boxe neufs contenant des protéines de lait de vache non signalées ont déclenché un choc anaphylactique chez une adepte de kick-boxing dont l’APLV était connue.
Enfin, n’oublions pas l’allergie par procuration : l’exemple le plus significatif est l’allergie induite par le baiser d’une personne ayant consommé un allergène alimentaire comme l’arachide. Si la personne recevant le baiser est allergique à cet aliment, elle peut avoir des symptômes pouvant aller de l’urticaire jusqu’au choc anaphylactique avec décès (kiss of death).
Par contamination croisée
Il s’agit de la présence inattendue d’un allergène sur une surface plane, mal nettoyée : tablette de repas dans les avions ou trains, plan de travail, trancheuse chez le boucher ou le boulanger pour portion à la coupe... Ce phénomène s’applique également aux chaînes de production, avec l’apport accidentel, lors de la fabrication de plats industriels, d’un allergène alimentaire ne faisant pas partie de la recette initiale.
Les allergènes d’arachide peuvent se déposer sur un clavier d’ordinateur, un jeu de cartes ou tout objet manipulé préalablement par des personnes en ayant consommé. Dans toutes ces circonstances, leur utilisation par une personne allergique est potentiellement à risque.
Par le sperme
Certains allergènes sont résistants à la digestion et se retrouvent inopinément dans le sperme. En 2007, une Anglaise allergique à la noix du Brésil, lors d’un rapport non protégé avec son partenaire, a eu un choc anaphylactique. Le jeune homme avait consommé ces fruits à coque 3 heures auparavant. Pourtant, connaissant les risques, il avait pris soin, avant l’acte, de se brosser les dents, se rincer la bouche, se laver les ongles et les mains. Mais le test cutané au sperme riche en allergène de noix du brésil était positif !
Attention aux allergies croisées
En cause : une homologie de structure entre deux protéines allergisantes de sources différentes. Ainsi, l’allergique déclenche une réaction IgE médiée à l’une et à l’autre.
Les associations croisées d’allergies alimentaires et polliniques doivent être recherchées systématiquement. L’allergie moléculaire permet de cibler la famille allergénique responsable.
Quelques exemples de réactions croisées entre pneumallergènes et trophallergènes :
– pollens de bouleau et fruits crus (pomme, poire, pêche, cerise, abricot, kiwi), endive, pomme de terre, céleri, carotte, arachide, châtaigne ;
– cyprès et pêche, agrumes ;
– graminées et poivron, piment, paprika, aubergine, tomate, céréales ;
– armoise et céleri, carotte, mangue, pêche, épices (poivre, anis, cumin, coriandre, fenouil, estragon).
Allergies croisées entre trophallergènes :
– arachide et autres légumineuses (pois, lentilles, lupins) ;
– noix de cajou et pistache, noix, poivre rose, sumac, agrumes, mangue.
Mise en garde : tous ces événements déclencheurs d’allergies peuvent être aggravés par des cofacteurs tels que l’effort, la prise d’AINS, d’aspirine, d’alcool, de bêtabloquants, d’IEC ou même d’IPP.
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