Les crustacés sont une cause fréquente d’allergie. Il faut connaître les différents tableaux cliniques (dont la dermite de contact), les allergies croisées (insoupçonnées !) et le bilan à prescrire en MG. Le point dans cet article, avec une fiche sur les conseils de prévention à destination des patients.

Tableaux cliniques

Les signes cliniques classiques

Si l’allergie aux crustacés est prédominante dans les pays asiatiques, elle n’en reste pas moins une cause d’allergie IgE-médiée fréquente dans notre pays et en Europe. Les crustacés font donc partie des 14 allergènes à étiquetage obligatoire.

Les manifestations cliniques IgE-médiées apparaissent dans les quelques minutes à 2 heures après le contact par ingestion, par inhalation de vapeur de cuisson, par procuration ou contamination croisée. Il peut s’agir d’urticaire ou d’un angiœdème pouvant évoluer vers une réaction anaphylactique sévère. Les allergies non IgE-médiées restent anecdotiques. En raison de sa consommation plus fréquente, l’allergie à la crevette reste l’exemple de référence, d’autant plus que les allergies croisées avec les autres crustacés sont courantes.

Une forme particulière

La dermite de contact aux protéines alimentaires, dont les crevettes font partie, est une entité clinique particulière décrite plutôt dans un contexte professionnel.

Dépendante d’un mécanisme IgE-médiée, elle se manifeste par un eczéma chronique localisé au niveau des mains (espaces interdigitaux, pouce, éminence thénar), des poignets et des avant-bras.

Initialement, les poussées aiguës se déclenchent dans les 30 à 60 minutes qui suivent les contacts avec les protéines alimentaires. Les métiers de bouche (boucher, charcutier, poissonnier) et les cuisiniers sont les professions les plus touchées. Ce phénomène peut être également observé avec des protéines animales chez les vétérinaires. L’amélioration des symptômes lors de périodes de congés fait évoquer le diagnostic.

Allergènes incriminés des crevettes et du homard

Plusieurs allergènes ont été identifiés, qui varient en fonction de la zone géographique de provenance (tableau).

La tropomyosine est l’allergène majeur (thermostable). Chaque crustacé possède sa propre tropomyosine avec de similarités de structure plus ou moins importantes avec celles des autres, ce qui explique les nombreuses allergies croisées (v. ci-après). Cette protéine est également à l’origine d’allergies croisées avec les acariens, les mollusques et les insectes comestibles.

L’arginine kinase est un allergène moins connu et thermosensible et une possible source d’allergie croisée entre acarien et crevette. La fréquence de l’allergie à la crevette par ce biais est évaluée à 10 - 50 % des cas. L’arginine kinase Pen a2 de la crevette Penaeus aztecus serait à l’origine de pathologie professionnelle chez les employés de l’industrie qui manipulent des produits de la mer.

Autres allergènes :

  • la protéine sarcoplasmique liant le calcium (Pen m4) est plus souvent incriminée lors de l’allergie à la crevette de l’enfant (73 % vs 10 % chez l’adulte) ;
  • la chaîne légère de la myosine (Lit v3) identifiée dans la crevette blanche (Litopenaeus vannamei), thermorésistante, est considérée comme un allergène mineur seul ou le plus souvent en association avec la protéine sarcoplasmique.

Possibles allergies croisées

On constate des allergies croisées :

  • entre les différents crustacés (99 % de structure moléculaire identique entre Pen m1 de la crevette Penaeus monodon et Pen a1 de la Penaeus aztecus) ;
  • avec l’acarienDermatophagoides pteronyssinus (Der p10 ayant 81 % d’homologie avec Pen a1) ;
  • avec l’allergène Bla g7 de la blatte germanique (82 % d’homologie) ;
  • avec Ani s3 de l’Anisakis simplex (74 %) ;
  • avec l’allergène Hel as 1.0101 de l’escargot de jardin brun (Helix aspersa) ;
  • avec Sac g 1.0101 de l’huître australienne (Saccostrea glomerata) ;
  • avec les insectes comestibles (v. ci-après).

Faire le diagnostic

Corrélation entre signes cliniques et biologie

Comme pour toute allergie IgE-médiée, l’interrogatoire permet de situer les circonstances de déclenchement.

Tests de dépistage : la crevette fait partie du mélange fx 28 du Trophatop enfant et du mélange fx 24 du Trophatop adulte.

Vient ensuite l’étape du bilan allergologique chez l’allergologue avec des tests cutanés. En cas de suspicion d’allergie croisée acariens-crevette (via la tropomyosine), l’allergologie moléculaire est une aide non négligeable. La possibilité d’une allergie croisée par le biais de l’arginine kinase n’est explorée que par des biopuces programmées en milieu hospitalier.

Un test de provocation orale peut être réalisé en dernier recours pour compléter le bilan.

Cas particulier de la dermatose de contact aux protéines

Le bilan allergologique repose dans ce cas précis sur la concordance entre les symptômes cliniques et la positivité des prick-tests (avec de la crevette fraîche) et/ou des dosages d’IgE spécifiques. Les patch-tests n’ont aucun intérêt dans ce type de dermatose.

Quelles précautions en cas d’allergie aux crustacés ?

Une version téléchargeable de cette fiche est disponible sur ce lien : https ://www.larevuedupraticien.fr/outil/fiche-pratique-quelles-precautions-en-cas-dallergie-aux-crustaces 

Éviter l’ITA aux acariens en cas d’allergie croisée crustacés-acariens

En raison de la possible présence de l’allergène tropomyosine dans les extraits allergéniques utilisés pour l’immunothérapie allergénique (ITA) aux acariens, celle-ci est déconseillée en cas d’allergie ou de sensibilisation croisée car elle peut aggraver des symptômes d’allergie alimentaire ou une sensibilisation préexistante aux crustacés ou aux mollusques.

Gare à la consommation d’insectes (farines dans les produits industriels)

Une personne allergique aux acariens et aux crustacés ou, dans une moindre mesure, aux mollusques doit éviter d’ingérer des insectes comestibles ou des farines issues de ces derniers, surtout s’il y a une notion de sensibilisation à la tropomyosine. Le risque d’anaphylaxie est réel. Depuis quelques années, des industriels de production d’insectes ont sollicité auprès de la Commission européenne une autorisation de mise sur le marché d’insectes comestibles pour les inclure dans l’alimentation humaine sous différentes formes (congelée, séchée ou broyée). Actuellement, quatre insectes l’ont obtenue et entrent dans la composition de différents plats industriels allant de la boulangerie à la pâtisserie en passant par les pâtes alimentaires et autres denrées : Acheta domesticus (grillon domestique), Locusta migratoria (criquet migrateur), Tenebrio molitor (ver de farine) et dernièrement les larves d’Alphitobius diaperinus (petit ténébrion mat). Ce dernier est également présent dans certains compléments alimentaires. Même si ces insectes comestibles ne font pas partie des 14 allergènes à déclaration obligatoire, aujourd’hui un étiquetage particulier leur est consacré, avec le libellé est « Ce produit est déconseillé aux personnes allergiques aux crustacés, mollusques et acariens ». Par ailleurs, s’ils entrent dans la composition d’un produit industriel (cookies), cela doit être indiqué dans la liste des ingrédients.

Éviter : vapeurs et exposition par procuration

En raison du caractère thermostable des allergènes de crevettes et des autres crustacés (tropomyosine), il est déconseillé de se trouver à proximité d’une source de cuisson à la vapeur ou fritures (cuisine, restaurants asiatiques, etc.) sous peine de voir apparaître des réactions sévères de type anaphylactique.

Attention au risque de contamination croisée des ustensiles de cuisine en contact avec des crustacés.

L’allergie par procuration est réelle avec un risque d’anaphylaxie. Par précaution, un allergique aux crustacés doit éviter d’embrasser une personne qui en a mangé auparavant.

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