Être attentif à la chronologie
L’APLV est l’une des allergies alimentaires pédiatriques les plus fréquentes. Elle touche entre 5 à 10 % de la population infantile.
Tout d’abord, l’horaire d’apparition des symptômes après l’ingestion oriente vers le mécanisme incriminé : IgE-médié (manifestations immédiates) ou non-IgE-médié (manifestations retardées ou chroniques). Il ne faut pas négliger les différentes voies de sensibilisation ou de déclenchement de l’allergie :
- ingestion d’une préparation pour nourrisson ;
- allaitement maternel (protéines de lait de vache ingérées par la mère) ;
- contact cutané avec des cosmétiques ou des objets contenant des PLV ;
- consommation de plats préparés à base de PLV ;
- possibles allergies croisées avec les laits de chèvre, de brebis, de jument.
APLV IgE-médiée
Cette APLV est loin d’être une « banale allergie alimentaire » comme certains pourraient le croire : deux jeunes enfants sont décédés en France ces 10 dernières années. On considère que 50 % des APLV guérissent avant l’âge de 5 ans et 80 % à l’adolescence ; mais en cas de persistance, l’enfant, en grandissant, risque d’avoir des signes plus sévères, avec d’emblée un choc anaphylactique. Dans les formes IgE-médiées, les symptômes cliniques (urticaire, œdème de Quincke et anaphylaxie) apparaissent dans les quelques minutes à 2 heures après l’ingestion de lait de vache (allaitement artificiel), de lait maternel (contenant des protéines de lait de vache ingérées par la mère) ou de plats industriels. La voie cutanée est aussi sensibilisante et donc source d’allergie alimentaire secondaire. Pour mémoire, lors d’un entraînement de kick-boxing, une sportive a eu un choc anaphylactique après l’utilisation de nouveaux gants contenant des protéines de lait de vache.
Quels allergènes responsables ?
Les protéines de lait de vache se partagent en caséines pour 80 % et en lactosérum pour 20 %. Les caséines (alpha s1, alpha s2, bêta et kappa) sont thermorésistantes, ce qui explique la persistance de leur pouvoir allergisant malgré la cuisson. Un taux d’IgE spécifiques anti-caséine supérieur à 20 ku/L est un signe prédictif de persistance de l’APLV.
Le lactosérum est constitué d’alphalactalbumine (Bos d4), qui est détruite par la cuisson, et d’autres PLV thermorésistantes, mais à des températures variables : bêtalactoglobuline ou Bos d5 (10 %) ; albumine sérique ou Bos d6 (1 %) ; immunoglobulines ou Bos d7 (3 %), traces de lactoferrine. Par exemple, la bêtalactoglobuline peut voir son pouvoir allergénique diminuer sous l’effet de la cuisson en raison de la liaison avec d’autres protéines alimentaires.
Environ 70 % des APLV sont réactives à plusieurs allergènes.
Comment confirmer le diagnostic ?
Le diagnostic repose sur la positivité du prick-test réalisé avec du lait frais (l’extrait commercial n’est plus disponible depuis plusieurs années) et du dosage des IgE spécifiques dirigées contre les différentes protéines (encadré ci-dessous). Attention : pour que l’allergie soit affirmée, il faut absolument qu’il y ait concordance avec l’histoire clinique. L’étape suivante est la réalisation d’un test de provocation orale en milieu hospitalier, indiqué surtout en cas de multi-allergies ou de projet d’induction de tolérance alimentaire après l’âge de 4 ans.
Possibles réactions croisées
Les allergies croisées sont inhérentes à une homologie de structure moléculaire entre deux allergènes d’origine différente. C’est par exemple le cas du lait de vache et des laits de chèvre ou de brebis par l’intermédiaire des caséines dans 80 % des cas. Il y a également de possibles réactions croisées avec le lait de jument et avec le soja (plus rarement). Il faut également connaître les risques d’allergies croisées avec la viande de bœuf et de veau ou les phanères d’animaux (chien et chat) par le biais de la sérumalbumine.
Conduite à tenir
L’éviction des PLV est impérative pendant 6 mois (un test de provocation orale permet d’évaluer une possible réintroduction après ce délai et en fonction de l’âge de l’enfant et du résultat).
Les préparations infantiles doivent être remplacées par des hydrolysats poussés, des préparations infantiles à base de riz ou à formule d’acides aminés. Les laits hypoallergéniques H.A. (partiellement hydrolysés) n’ont de place ni en prévention ni en substitution. Les laits d’autres espèces animales (chèvre, jument, brebis…) sont contre-indiqués (risque d’allergie croisée, non adaptés au nourrisson sur le plan diététique). Les boissons végétales (soja, amandes…) sont à proscrire dès la naissance et jusqu’à l’âge de 3 ans.
Les cosmétiques comportant les PLV (dont certaines sont communes avec le lait de chèvre ou de brebis) sont aussi à bannir.
Le patient doit traquer les PLV lors de ses courses. Les protéines de lait de vache font partie des 14 ADO (allergènes à déclaration obligatoire). Attention à certains pièges : la mozzarella traditionnelle AOC à base de lait de bufflonne peut être consommée (ce lait ne donne pas d’allergie croisée), mais certaines mozzarellas de bufflonne industrielles commercialisées en France contiennent aussi du lait de vache.
En prévention primaire, d’après les nouvelles recommandations de l’EAACI (European Academy of Allergy & Clinical Immunology), il ne faut pas introduire de lait de vache dans la première semaine de vie. Le groupe de travail de la Société française d’allergologie accompagne cette consigne de ces conseils :
- Si l’allaitement maternel exclusif est souhaité, la complémentation par un lait 1er âge engendre un risque accru d’APLV. Le choix d’un hydrolysat poussé de PLV ou préparation infantile à base de riz ou d’acides aminés est plus judicieux. Cette précaution évite donc ce que l’on appelle l’effet « dangerous bottle ». On peut discuter avec la famille, chez le nourrisson à risque atopique, l’introduction précoce des PLV (10 mL/j à la petite cuillère ou à la seringue pour préserver l’allaitement maternel).
- Si l’option allaitement mixte est retenue, introduire le lait 1er âge de façon quotidienne dès les premières semaines en complément de l’allaitement.
APLV non-IGE-médiée
Encore trop méconnues, ces formes non-IgE-médiées sont essentiellement à expression digestive.
Dans ces cas, les prick-test sont négatifs ainsi que le dosage des IgE spécifiques (excepté en cas de forme mixte, avec un passage vers la forme IgE-médié dans 10 à 15 % des cas). L’intérêt des « atopy patch tests » reste discutable.
Il est important de distinguer les différentes situations cliniques :
- La forme semi-retardée débute plus de 2 à 3 heures et jusqu’à 72 heures après le contact avec les PLV. Les symptômes peuvent être de nature digestive avec reflux gastro-œsophagien, météorisme abdominal, diarrhée aiguë ; si cette dernière devient chronique, elle entraîne une cassure de la courbe de poids. On peut également observer des poussées d’eczéma associées, récidivantes, rebelles au traitement par corticoïdes locaux.
- Le SEIPA (syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires) se caractérise par l’apparition de vomissements répétés et profus dans les 3 à 6 heures après l’ingestion. S’y associe une diarrhée profuse qui peut aboutir à une déshydratation rapide entraînant une hypotonie et d’autres symptômes (choc hypovolémique) nécessitant une hospitalisation en urgence.
- L’œsophagite à éosinophiles aux PLV s’exprime chez le nourrisson par un RGO ne cédant pas sous IPP, des vomissements, de possibles blocages alimentaires, des douleurs abdominales. La réalisation d’une endoscopie avec biopsies œsophagiennes confirme le diagnostic avec une concentration enpolynucléaireséosinophiles> 15 par champ examiné.
Dans ces trois tableaux cliniques, l’éviction du lait de vache est impérative, avec substitution identique à celle recommandée dans l’APLV IgE-médiée. La durée de cette attitude est à moduler en fonction de la forme clinique. Cependant, la recherche systématique de l’évolution vers une forme mixte est de rigueur avant toute réintroduction, avec tests cutanés et dosage des IgE spécifiques.
Bilan biologique en cas de suspicion d’APLV IgE-médiée ou d’APLV mixte
Tests de dépistage Fx5 et Fx26.
Dosages des IgE spécifiques disponibles :
- IgE spécifique anti-alphalactalbumine (Bos d4)
- IgE spécifique anti-bêtalactoglobuline (Bos d5)
- IgE spécifique anti-albumine bovine sérique (Bos d6)
- IgE spécifique anti-caséine
- IgE spécifique anti-lait bouilli
- IgE spécifique anti-lait de vache
Attention : le diagnostic d’APLV nécessite la positivité d’un ou plusieurs dosages d’IgE spécifiques couplée à une histoire clinique concordante.
Rappel : cinq dosages d’IgE spécifiques sont autorisés sur une même ordonnance et ne doivent pas être associés à un test de dépistage allergénique, ni à un dosage d’IgE totales.
Le dosage des IgE spécifiques ne nécessite pas d’arrêt des antihistaminiques.
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