Antibiothérapie. Une allergie à la pénicilline est souvent évoquée à tort chez beaucoup d’enfants, ce qui n’est pas sans risques. Comment limiter ce surdiagnostic et quelles sont les alternatives liées au risque d’allergies croisées ?
Les antibiotiques font partie des médicaments les plus prescrits avec, au premier plan, les bêtalactamines principalement prescrites pour des infections des voies respiratoires.1 Or en pédiatrie ambulatoire, les parents rapportent dans les antécédents de leurs enfants des réactions allergiques à la pénicilline dans 5 à 20 % des cas.2 La prise en charge de patients nécessitant une prescription antibiotique avec des antécédents allégués de « réaction allergique à la pénicilline » est donc loin d’être rare.

L’allergie aux pénicillines constitue une perte de chance

Le fait d’être étiqueté allergique à un antibiotique de la famille des pénicillines est associé non seulement à une éviction de l’antibiotique en question mais fréquemment à une éviction large (autres pénicillines, céphalosporines, voire carbapénèmes). Cette éviction se poursuit parfois, à la demande du médecin ou de la famille, même après que l’allergie a été éliminée.3
L’amoxicilline est l’antibiotique de choix contre le pneumocoque, le streptocoque du groupe A et contre la majorité des souches d’Haemophilus influenzae. L’amoxicilline est donc l’antibiotique de choix en pédiatrie dans plus de deux tiers des cas (otites moyennes aiguës, angine à streptocoque du groupe A, pneumopathies aiguës suspectées à pneumocoque…).1 La prescription de macrolides, de céphalosporines de 2e ou 3e génération orales est une perte de chance réelle pour les malades. Pour les premiers, la résistance des pneumocoques et des streptocoques du groupe A est significativement plus importante. Pour les seconds, l’activité microbiologique pour les pneumocoques est sensiblement moins bonne.
L’allergie suspectée ou prouvée aux bêtalactamines a été décrite comme une perte de chance chez l’adulte. Chez les patients vus en consultation, l’éviction des bêtalactamines est associée à une augmentation des événements indésirables (insuffisance rénale aiguë, infection à Clostridium difficile, effet indésirable lié à l’antibiotique, réadmission).4 Chez les patients hospitalisés, elle est associée à une augmentation de la durée d’hospitalisation, une augmentation du recours aux soins intensifs ainsi qu’à une augmentation de la mortalité.5 L’impact écologique de prescriptions d’antibiotiques à plus large spectre est aussi à prendre en compte avec la sélection de souches résistantes. Ainsi, pour le problème essentiel de l’émergence d’entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu, il est clairement démontré que la prescription de céphalosporines ou de quinolones augmente le risque de porter ou d’être infecté par ce type de bactéries.6
Il paraît donc nécessaire, en cas de non-recours aux antibiotiques de première ligne lié à une allergie alléguée, de mesurer l’impact pronostique direct que cela entraîne pour le patient.

« Allergie à la pénicilline » : le vrai du faux

La notion de réactions allergiques à la pénicilline regroupe un ensemble hétérogène de manifestations cliniques, allant d’éruptions cutanées aspécifiques au choc anaphylactique. Dans les faits, elles correspondent le plus souvent à des prescriptions d’antibiotiques inappropriées au cours d’épisodes de fièvre éruptive virale (roséole, mononucléose infectieuse, infection à entérovirus, infection à parvovirus B19…). Une histoire caractéristique de roséole (fièvre élevée durant de 2 à 4 jours puis apparition d’un rash cutané non prurigineux lors de la défervescence thermique) ou encore une mononucléose infectieuse confirmée par sérologie rendent très improbable l’allergie aux bêtalactamines. La meilleure prévention des suspicions d’allergie aux bêta-lactamines reste la juste prescription d’antibiotiques.
Une méta-analyse récente7 a montré que les allergies immédiates (réaction immédiate après test cutané ou après test de réintroduction orale en cas de test cutané négatif, situation la plus à risque de manifestations sévères) sont présentes chez environ 2 % des patients étiquetés allergiques aux bêtalactamines.7
Afin d’apprécier plus finement la probabilité d’une vraie allergie à la pénicilline, les symptômes présentés nécessitent d’être catégorisés en différents groupes de risque. Ainsi, une large étude a été menée aux États-Unis2 auprès de 500 enfants reçus aux urgences pédiatriques avec une notion d’allergie à la pénicilline. Les manifestations rapportées ont pu être classées en deux groupes de risque à la suite d’un interrogatoire simple :
– manifestations à bas risque d’allergie (éruption urticarienne ou non, prurit, diarrhée, vomissements, rhinorrhée, nausées, toux, céphalées, vertiges, antécédents familiaux d’allergie à la pénicilline) ; elles représentaient 76 % des cas avec à l’anamnèse principalement des éruptions aspécifiques ou un prurit ;
– manifestations à haut risque d’allergie (choc anaphylactique, œdème facial, œdème de Quincke, œdème labial, œdème des voies aériennes [gêne respiratoire, wheezing], lésions phlycténulaires ou bulleuses, symptômes systémiques).
Parmi 100 enfants ayant des manifestations à « bas risque » et ayant fait des tests cutanés allergiques puis un test de provocation-réintroduction orale, aucun ne s’est avéré être effectivement allergique à la pénicilline.8 Ce travail confirme donc que devant un antécédent de « réaction allergique », il faut tout d’abord préciser les symptômes rapportés, puis être rassuré en cas de manifestations à « bas risque » quant au risque réel d’allergie médicamenteuse. Le cas précis de l’urticaire, symptôme très fréquent chez l’enfant, fait l’objet de l’encadré ci-contre.
Une autre étude,10 réalisée auprès de 1 431 enfants consultant dans un service d’allergologie pour suspicion d’allergie à la pénicilline, a mis en évidence que seuls 15,9 % des patients avaient une allergie confirmée à la pénicilline. On notera que dans cette étude les réactions immédiates (dans l’heure suivant la prise médicamenteuse) sont associées à une plus forte probabilité d’allergie vraie que les réactions non immédiates (30,9 %vs13,9 %; p < 0,001). De même, les réactions de type anaphylactique, ou réactions cutanées sévères (syndrome de Stevens-Johnson, érythème polymorphe, exanthème pustuleux aigu généralisé, DRESS syndrome [drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms]) sont associées à une fréquence plus élevée d’allergie vraie (50 % et 37,5 % respectivement).
Ainsi, il apparaît que, même au sein d’une population très sélectionnée (consultation allergologique d’un centre spécialisé et reconnu dans ce domaine), en cas d’éruption maculo-papuleuse ou de rash aspécifique, ou encore en cas de réaction non immédiate, le risque d’allergie avérée est extrêmement faible (10-14 %).
Ces données nous permettent donc, en cas de suspicion d’allergie en consultation, d’apprécier le risque réel d’hypersensibilité à la pénicilline en fonction des symptômes rapportés, et d’être rapidement rassurés dans la grande majorité des cas. Il ne faut pas laisser traîner le terme d’allergie à l’amoxicilline dans les carnets de santé sans avis allergologique, essentiellement en cas de réaction immédiate et sévère.

Risque d’allergie croisée

Dans la minorité des cas où une allergie à la pénicilline est identifiée, ou dans le cas de manifestations à « haut risque » en attendant le résultat de tests diagnostiques, se pose la question du risque d’allergie croisée avec d’autres classes de bêtalactamines, et notamment les céphalosporines de 3e génération, qui représentent l’alternative recommandée en cas d’antibiothérapie pour infection des voies respiratoires de l’enfant avec allergie à l’amoxicilline.11, 12Or ces allergies croisées sont exceptionnelles, bien loin de la règle des 10 % longtemps enseignée.
Les pénicillines et les céphalosporines ont une configuration chimique similaire avec un noyau bêtalactame responsable de l’activité microbiologique. La principale différence vient du fait qu’un des deux anneaux composant ce noyau comporte 5 atomes pour les pénicillines et 6 atomes pour les céphalosporines. Alors que le noyau à 5 atomes des pénicillines est stable, celui des céphalosporines ne l’est pas et est rapidement dégradé. Cela explique en partie la relative rareté des réactions immunologiques croisées. Cependant, sur ce noyau bêtalactame sont disposées des chaînes latérales en position 7 et 3 qui sont les supports principaux des réactions allergiques. Les allergies croisées, quand elles sont présentes, ne sont théoriquement possibles qu’entre certains antibiotiques dont les chaînes latérales sont identiques ou présentent de fortes similarités.13 Or les chaînes latérales des pénicillines diffèrent des principales céphalosporines de 3e génération (céfotaxime, ceftriaxone, cefpodoxime), mais ont des similarités avec celles de certaines céphalosporines de 1re et de 2e génération (tableau 1).14
Deux méta-analyses confirment ce risque en mettant en évidence un surrisque d’allergie croisée aux céphalosporines de 1re génération en cas d’allergie à la pénicilline (odds ratio [OR] : 4,8 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 3,7-6,2), mais une absence de surrisque pour les céphalosporines de 3e génération (OR : 0,5 ; IC à 95 % : 0,2-1,1)15, 16(tableau 2).
Ces résultats montrent clairement que, même en cas d’allergie avérée à la pénicilline, les céphalosporines de 3e génération ne doivent pas être évitées sous prétexte du risque d’allergie croisée.13, 15 En cas de suspicion d’allergie médiée par les immunoglobulines de type E (choc anaphylactique, hypotension, œdème laryngé, wheezing, angiœdème, urticaire survenant dans l’heure suivant la prise médicamenteuse), certaines céphalosporines de 1re et de 2e génération (tableau 1) doivent être évitées en raison du risque de réaction allergique.14

Le pneumocoque en 1re ligne

La notion d’allergie à la pénicilline, bien que très souvent rapportée par les patients, ne conduit que très rarement à l’authentification d’une allergie vraie. Les symptômes classés à « bas risque » doivent clairement faire reconsidérer ce diagnostic. Dans les autres cas, le diagnostic doit être confirmé ou le plus souvent infirmé par un allergologue.
De plus, même en cas d’allergie vraie, le risque de réaction croisée concerne principalement quelques céphalosporines de 1re et de 2e génération qui possèdent des similarités dans leurs chaînes latérales, et non les céphalosporines de 3e génération, qui peuvent donc être prescrites sans danger, et ce sans nécessité de tests allergiques préalables.
Le pneumocoque reste une des principales bactéries impliquées dans les infections des voies respiratoires de l’enfant. Au vu de la résistance fréquente aux macrolides de cette espèce bactérienne, l’amoxicilline reste l’antibiotique de choix en cas de « bas risque » d’allergie aux pénicillines. Dans les rares cas d’allergie avérée ou de forte suspicion d’allergie aux pénicillines, les céphalosporines de 3e génération par voie orale représentent la meilleure alternative en termes d’efficacité et de sécurité. 
Encadre

Quid de l’urticaire aigu dans les manifestations à risque d’allergie ?

Chez l’enfant, l’urticaire aiguë est un symptôme extrêmement fréquent et, le plus souvent, aucune cause n’est trouvée. Les infections, notamment virales, sont considérées comme la cause la plus fréquente.9 Dans de très rares cas, l’urticaire peut être le stigmate d’une allergie médicamenteuse médiée par les immunoglobulines de type E (IgE). La chronologie des symptômes est alors l’élément clé : une urticaire étendue survenant dans l’heure suivant la prise médicamenteuse doit faire évoquer une réaction IgE-médiée, et justifie des explorations allergologiques. À l’inverse, une urticaire survenant plusieurs heures ou plusieurs jours après la prise de traitement est banale et ne doit pas entraîner l’éviction de ce dernier. Plus la manifestation est immédiate et sévère, plus elle est à risque d’allergie.

Références
1. Sellam A, Chahwakilian P, Cohen R, Béchet S, Vie Le Sage F, Lévy C. Impact des recommandations sur la prescription en consultation de ville d’antibiotiques à l’enfant. Arch Pediatr 2015;22:595-601.
2. Vyles D, Chiu A, Simpson P, Nimmer M, Adams J, Brousseau DC. Parent-Reported Penicillin Allergy Symptoms in the Pediatric Emergency Department. Acad Pediatr 2017;17:251-5.
3. Gerace KS, Phillips E. Penicillin allergy label persists despite negative testing. J Allergy Clin Immunol Pract 2015;3:815-6.
4. MacFadden DR, LaDelfa A, Leen J, et al. Impact of reported beta-lactam allergy on inpatient outcomes: a multicenter prospective cohort study. Clin Infect Dis 2016;63:904-10.
5. Charneski L, Deshpande G, Smith SW. Impact of an antimicrobial allergy label in the medical record on clinical outcomes in hospitalized patients. Pharmacotherapy 2011;31:742-7.
6. Birgy A, Cohen R, Levy C, et al. Community faecal carriage of extended-spectrum beta-lactamase-producing Enterobacteriaceae in French children. BMC Infect Dis 2012;12:315.
7. Harandian F, Pham D, Ben-Shoshan M. Positive penicillin allergy testing results: a systematic review and meta-analysis of papers published from 2010 through 2015. Postgrad Med 2016;128:557-62.
8. Vyles D, Adams J, Chiu A, Simpson P, Nimmer M, Brousseau DC. Allergy testing in children with low-risk penicillin allergy symptoms. Pediatrics 2017;140. pii: e20170471.
9. Pite H, Wedi B, Borrego LM, Kapp A, Raap U. Management of childhood urticaria: current knowledge and practical recommendations. Acta Derm Venereol 2013;93:500-8.
10. Ponvert C, Perrin Y, Bados-Albiero A, et al. Allergy to betalactam antibiotics in children: results of a 20-year study based on clinical history, skin and challenge tests. Pediatr Allergy Immunol 2011;22:411-8.
11. Cohen R, Haas H, Lorrot M, et al. Antimicrobial treatment of ENT infections. Arch Pediatr 2017;24:S9-S16.
12. Cohen R, Angoulvant F, Biscardi S, Madhi F, Dubos F, Gillet Y. Antibiotic treatment of lower respiratory tract infections. Arch Pediatr 2017;24:S17-S21.
13. Pichichero ME, Zagursky R. Penicillin and cephalosporin allergy. Ann Allergy Asthma Immunol 2014;112:404-12.
14. Pichichero ME. A review of evidence supporting the American Academy of Pediatrics recommendation for prescribing cephalosporin antibiotics for penicillin-allergic patients. Pediatrics 2005;115:1048-57.
15. Campagna JD, Bond MC, Schabelman E, Hayes BD. The use of cephalosporins in penicillin-allergic patients: a literature review. J Emerg Med 2012;42:612-20.
16. Pichichero ME. Use of selected cephalosporins in penicillin-allergic patients: a paradigm shift. Diagn Microbiol Infect Dis 2007;57:13S-18S.

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