Allergies IgE-médiées : multiples voies de sensibilisation et de déclenchement
La prévalence de l’allergie à l’œuf est estimée entre 1,8 et 2 % chez les enfants de moins de 5 ans. Cette valeur fluctue selon les pays et leurs habitudes culinaires. L’évolution vers la guérison s’observe dans 50 % des cas entre l’âge de 2 à 9 ans pour atteindre 75 % des cas avant l’âge de 16 ans. La persistance à l’âge adulte est souvent associée à un taux élevé d’IgE spécifiques à plusieurs allergènes du blanc d’œuf, un asthme ou une rhinite. L’apparition exceptionnelle chez l’adulte est due au « syndrome œuf-oiseau » (voir plus bas) ou à une rupture de la tolérance alimentaire acquise dans l’enfance ou à une sensibilisation professionnelle par voie inhalée.
Classiquement, les manifestations cliniques (de l’urticaire jusqu’à l’anaphylaxie, poussées d’eczéma atopique) apparaissent dans les quelques minutes à deux heures après ingestion ou contact par voie cutanée. Attention aux modes d’exposition peu connus : inhalation de poussières contenant des protéines d’œuf (réfection de monuments anciens comme une cathédrale aux murs de pierre patinés à l’œuf) ou d’allergènes lors de manipulation d’œuf cru (battu en neige) ; contact avec les peintures à tempera composés d’un mélange d’œuf et de peinture à l’eau utilisées pour la réalisation de tableaux et dans certains loisirs créatifs, ou avec les colles œnologiques à base d’œuf utilisées pour la clarification du vin.
Attention : hormis les formes classiques IgE-médiées, il faut tenir compte des allergies alimentaires non IgE-médiées comme le SEIPA aigu ou chronique à l’œuf de poule mais aussi à l’œuf de caille, ou l’œsophagite à éosinophiles (non abordées ici). Dans ces cas précis, les tests allergologiques sont négatifs et les signes cliniques touchent principalement l’appareil digestif.
Le blanc d’œuf
Il est capital de connaître le ou les allergènes responsables. L’ovomucoïde est le plus préoccupant en raison de sa thermorésistante. La sensibilité à la cuisson conditionne une grande partie de la prise en charge. En dénomination internationale, le nom des allergènes commence par Gal (Gallus) suivi d’un d (domesticus) et d’un numéro (ordre d’identification) [tableau 1].
La réaction au lysozyme concerne 35 % des enfants allergiques à l’œuf. Ses propriétés antibactériennes lui valent d’être utilisé comme additif alimentaire (E 1104) dans les fromages, certains plats industriels ou même des médicaments. Gal d 1, Gal d 2 et Gal d 4 sont cités comme cause d’asthme professionnel chez les boulangers ou métiers de bouche par inhalation (manipulation de poudre d’œuf ou d’œuf battu en neige).
Les allergies croisées
Il existe de réactions croisées entre l’œuf de poule et les ovalbumines de différents volatiles. Par ordre décroissant : œuf de dinde > de canard > d’oie > de mouette (mais sa consommation est anecdotique).
Le dosage des IgE spécifiques
Hormis les prick-tests, les dosage des IgE spécifiques – IgE anti-blanc d’œuf (f1), anti-ovomucoïde (f233), anti-ovalbumine (f233) – sont une aide précieuse dans l’évaluation du régime d’éviction et de l’évolution à long terme. Souvent ils suffisent à orienter le praticien en complément des prick-tests ou en cas d’impossibilité des tests cutanés.
Deux groupes distincts de patients se dégagent en fonction des résultats (tableau 2). Si l’ingestion d’œuf cru est impossible dans tous les cas, un patient réactif à l’ovomucoïde (thermorésistant) ne peut pas manger d’œuf cuit contrairement à un patient qui est allergique à l’ovalbumine détruite par la cuisson. Attention : la capacité à tolérer les œufs cuits est généralement un gage d’allergie transitoire à l’œuf.
Le terme « cuit » inclut : préparations cuites au four dans une recette (gâteaux…), œuf dur bouilli pendant au moins 10 minutes ou omelette très cuite. Le terme « cru » inclut les îles flottantes, les œufs battus en neige dans la mousse au chocolat, mais aussi les omelettes très « baveuses » ou les œufs au plat dont le temps de cuisson est très court.
Le jaune d’œuf
Plusieurs allergènes contenus dans le jaune peuvent être responsables d’allergies croisées :
- L’alpha-livétine ou Gal d 5 est largement impliquée dans le « syndrome œuf-oiseau », lié à l’homologie partielle structurelle avec des antigènes aviaires inhalés contenus dans les plumes et déjections d’oiseaux (coucous, mandarins, colombes-diamant...). Quelques semaines ou mois après exposition à ces derniers, peut survenir une allergie à l’œuf, associée occasionnellement à une réaction locale lors du contact avec la viande de volaille crue ou insuffisamment cuite. Le dosage des IgE spécifiques anti-livétine (f600) fera alors parti du bilan.
- YGP42 ou Gal d 6 est une glycoprotéine qui possède une chaîne terminale d’acides aminés correspondant au fragment du précurseur de la vitellogénine-1 (œufs de poissons).
- Quatre autres allergènes du jaune d’œuf répertoriés depuis 2015-2016 sont étiquetés responsables d’allergies au poulet. Gal d 7 est cause d’allergie primaire à la viande de poulet. Les trois autres sont incriminés dans l’allergie croisée « syndrome poisson-poulet » : parvalbumine (Gal d 8) présente dans la cuisse et l’aile de poulet ; énolase (Gal d 9) et aldolase (Gal d 10), plus concentrés dans le blanc.
Immunothérapie orale : pour qui ?
Après un interrogatoire précis, les tests allergologiques sont programmés (prick-tests et dosage des IgE spécifiques). Les atopy patch-tests n’ont pas totalement fait la preuve de leur innocuité. Dans des indications précises, l’allergologue prescrit un test de provocation orale (TPO), qui permet d’évaluer le seuil de réactivité et d’envisager sereinement l’immunothérapie orale (ITO) à l’œuf à partir de l’âge de 4 à 5 ans ; ce test a également un intérêt en cas d’histoire clinique douteuse (évaluation de la tolérance à l’œuf cuit). Cependant, en cas d’asthme mal équilibré, d’œsophagite à éosinophiles ou de néoplasie chez l’enfant, l’ITO ne peut pas être envisagée.
Vaccination… ou pas ?
Avant 2010, la vaccination ROR était réalisée en milieu hospitalier chez l’enfant allergique à l’œuf. Dès 2011, les recommandations du National Institute of Allergy and Infections Diseases considèrent que le vaccin antigrippal peut être délivré sans risque à toute personne ayant une allergie à l’œuf, même en cas d’antécédents d’anaphylaxie. Ces vaccins antiviraux sont en réalité cultivés sur un milieu riche en fibroblastes embryonnaires de poulet, donc pauvres en allergène d’œuf ; par ailleurs, depuis 1998, la concentration maximale en ovalbumine est fixée à 1,2 mg par mL de vaccin.
L’allergie à l’œuf ne contre-indique donc pas les vaccins antiviraux contre grippe, rougeole, oreillons, rubéole. Pour ces derniers, en cas de réaction allergique, il faut plutôt orienter sa recherche vers une allergie rare à la gélatine ou à la néomycine qu’ils contiennent.
Il reste cependant deux restrictions : la vaccination contre la fièvre jaune, recommandée ou même obligatoire lors de déplacements dans certains pays du continent africain ou d’Amérique du Sud. Chez la personne allergique à l’œuf, quelques précautions préalables sont à respecter : prick-test et IDR au vaccin dilué chez l’allergologue. En cas de positivité, la vaccination est réalisée en 3 injections sous surveillance médicale. Les mêmes précautions sont appliquées pour les vaccins contre l’encéphalite à tiques.
L’étiquetage alimentaire
La présence d’œuf (dans les ingrédients d’un plat industriel, d’un gâteau et autres préparations culinaires) est à étiquetage obligatoire, sur les produits préemballés ou vendus en vrac. De même, les restaurateurs et métiers de bouche sont dans l’obligation de donner la composition exacte des plats en contenant, dès la commande.
Depuis 2012, la clarification d’un vin avec ajout de plus de 0,25 mg/L d’ovalbumine ou de lysozyme est également soumise à l’obligation d’étiquetage sur la bouteille.
Prévention : comment introduire l’œuf chez le nourrisson ?
Avant la survenue de toute sensibilisation ou allergie chez le nourrisson (prévention primaire), il est préconisé chez tous les enfants, atopiques ou non, d’introduire les principaux aliments à fort potentiel allergisant entre le 4e et 6e mois de vie.
En revanche, chez les bébés qui ont déjà eu un eczéma sévère ou une allergie alimentaire, il est recommandé d’effectuer un bilan allergologique avec tests cutanés ou à défaut un dosage d’IgE spécifiques anti-blanc d’œuf et anti-ovomucoïde avant introduction. Leur positivité impose systématiquement une introduction en milieu hospitalier. Leur négativité permet le début de la diversification à domicile.
Le principe est de pouvoir apporter dès 4 mois 2 g/semaine de protéinesd’œuf cuit (blanc et jaune), selon le protocole proposé par le groupe de travail de la Société française d’allergologie (SFA) :
- à 4 mois : 1 boudoir écrasé dans de la purée ou de la compote par jour ;
- à 5 mois : 1 cuillère à café bombée d’œuf dur mixé 2 fois par semaine mélangé dans l’alimentation ;
- à 6-8 mois : 2 cuillères à café, 2 fois par semaine ;
- entre 9 et 12 mois : 4 cuillères à café, 2 fois par semaine.
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