Les allergies alimentaires sont de plus en plus fréquentes chez l’adulte, mais également chez l’enfant. La ­démarche diagnostique est bien codi­fiée : interrogatoire et enquête alimentaire détaillés, puis tests cutanés. Une fois l’allergie confirmée, il s’agit de repérer les patients nécessitant, ou non, une prescription d’adrénaline et pouvant, ou non, bénéficier d’une immunothérapie orale.

Allergie alimentaire IgE-médiée et anaphylaxie

L’allergie alimentaire se définit par l’ensemble des réactions immunitaires anormales consécutives à l’exposition à une protéine alimentaire de nature animale ou végétale (fig. 1). Le mécanisme immunologique est principalement dépendant des immunoglobulines E (IgE), se traduisant par une réaction immédiate.
Un contact préalable avec l’allergène suspecté est indispensable pour occasionner une sensibilisation et la production d’IgE spécifiques.
Les manifestations cliniques de l’allergie alimentaire immédiate médiée par les IgE peuvent être cutanées (urticaire, œdème, prurit), respiratoires (rhinoconjonctivite, asthme et œdème laryngé), digestives (douleurs abdominales, vomissements et diarrhées), cardiovasculaires (choc anaphylactique avec hypo­tension et tachycardie).
Ces manifestations cliniques surviennent la plupart du temps moins de deux heures après l’ingestion d’un allergène alimentaire.
L’anaphylaxie est l’expression de la sévérité de l’allergie alimentaire. La définition de Sampson et al. est celle d’une atteinte d’au moins deux organes dans les minutes ou les heures suivant l’exposition à un allergène potentiel identifié avec la possible survenue d’une hypotension artérielle ou d’un malaise.2
Les réactions anaphylactiques sont classées selon leur gravité (tableau 1).

Comment s’orienter devant une suspicion d’allergie alimentaire ?

Face à une suspicion d’allergie alimentaire, l’interrogatoire explore l’anamnèse, analyse les symptômes et comprend l’enquête alimentaire, puis des tests cutanés ciblés sur les aliments suspects sont réalisés.

D’abord, interroger le patient

L’étape primordiale devant la suspicion d’une allergie alimentaire est l’interrogatoire : il précise la date et le lieu des réactions allergiques, les aliments consommés, le délai entre l’ingestion et la réaction – qui ne doit pas excéder deux heures dans la majorité des cas (tableau 2). La description de la réaction permet principalement de rechercher les signes cliniques évocateurs ainsi qu’une éventuelle anaphylaxie. Le mode et le délai de prise en charge ainsi que les différents traitements administrés doivent être précisés. Il faut également rechercher les cofacteurs qui majorent la réaction : l’effort, les infections intercurrentes, l’exposition à la chaleur, les périodes d’exposition allergénique, dont les périodes polliniques, la prise d’anti-­inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ou d’aspirine, mais aussi la consommation d’alcool, le stress, la période menstruelle douloureuse... Si le patient a été hospi­talisé, un dosage de tryptase peut aider au diagnostic d’anaphylaxie.
Un interrogatoire diététique complète la recherche d’allergie alimentaire sur la consommation antérieure d’allergènes.

Exploration allergologique

La deuxième étape, effectuée par un allergologue, est la réalisation de tests cutanés allergologiques (TCA), ou prick-tests, à l’aide d’extraits commerciaux ou d’aliments natifs. Les TCA sont orientés par l’interrogatoire et permettent de détecter la sensibilisation, confirmée ensuite par le dosage des IgE spécifiques unitaires et leurs éventuels recombinants.

Trois situations possibles

Au terme de l’interrogatoire, des TCA et du bilan biologique, plusieurs cas de figure sont possibles (fig. 2) :
• si une allergie médiée par les IgE est confirmée – histoire clinique compatible et tests allergologiques positifs –, la mise en place d’un régime d’éviction du ou des aliments incriminés avec la prescription d’une trousse d’urgence est indispensable. Pour les enfants, il ne faut pas oublier la mise en place d’un projet d’accueil individuel (PAI) pour la collectivité. L’une des étapes indispensables est l’éducation thérapeutique sur les étique­tages de précaution et les signes cliniques de l’allergie alimentaire, en ­insistant sur les signes sévères et sur le maniement du stylo auto-injecteur d’adrénaline ;
• en cas de doute diagnostique – histoire clinique et tests allergologiques peu contributifs –, un test de provocation orale (TPO) en milieu hospitalier pour l’allergène en cause peut être nécessaire. Le patient doit alors être adressé dans un centre spécialisé. La trousse de secours doit être maintenue jusqu’à la fin des explorations ;
• si l’allergie alimentaire médiée par les IgE n’est pas confirmée – histoire clinique non compatible et tests allergologiques négatifs –, il faut lever le régime d’éviction.

À qui prescrire de l’adrénaline ?

Les indications de prescription de l’adrénaline auto-injectable (AAI) sont résumées dans le tableau 3.4

Induction de tolérance orale

Depuis plusieurs années, des protocoles d’immunothérapie orale alimentaire ont été mis en place dans le cadre des allergies IgE-médiées au lait, à l’œuf, à l’arachide et à certains fruits à coque. Cette prise en charge doit être personnalisée en tenant compte de l’âge, des comorbidités, de la sévérité, des aliments mis en cause et du bilan ; elle doit se faire dans le respect des objectifs de l’induction de la tolérance orale (ITO) et de la motivation du patient. En effet, ce traitement peut provoquer des effets indésirables relativement fréquents et possiblement graves. Le but est de permettre la consommation de l’allergène, empêchant ainsi la survenue d’accidents anaphylactiques.
Il s’agit de protocoles toujours pratiqués dans des centres spécialisés en allergie alimentaire, étalés sur plusieurs mois, en deux étapes : une phase de montée des doses et une phase palier.
De nouvelles voies d’immunothérapie sont en cours de recherche, notamment cutanée et sublinguale.

Prévenir les allergies avec une diversification alimentaire optimisée

Une augmentation des allergies et des anaphylaxies alimentaires est observée ces dernières années, avec une prévalence de 6 % environ durant les cinq premières années de vie. Les raisons en sont multiples et probablement liées à l’évolution du mode de vie ainsi qu’à des modi­fications épigénétiques. Des stratégies de prévention primaire ont été mises en place au moment de la diversification.5
La plupart des sociétés savantes recommandent ainsi l’introduction d’aliments solides à partir de 4 à 6 mois chez tous les nourrissons, indépendamment de la présence d’un risque d’atopie : fruits et légumes, œufs, viande, poisson, blé mais aussi lait de vache, arachide et fruits à coque.6

Quelques exemples pratiques d’introduction d’aliments

Concernant l’introduction de l’œuf, les sociétés savantes d’allergologie recommandent de commencer avec des biscuits du commerce (Blédina ou boudoir Brossard, par exemple) de manière progressive et d’adapter en fonction de l’âge, jusqu’à l’introduction de l’œuf pur vers 5 à 6 mois.
Concernant l’arachide et les fruits à coque, il existe désormais des pâtes (beurre ou purée) qui peuvent être ajoutées dans un biberon ou une compote.

Tout aliment introduit doit ensuite être régulièrement consommé

Il est important de ne pas introduire le lait de vache pendant la première semaine de vie chez l’enfant qui est allaité (fig. 3). En effet, une supplémentation dans les premiers jours de vie sans poursuite ultérieure (en cas d’allaitement) favoriserait l’allergie aux protéines de lait de vache (APLV) lors d’une réexposition ultérieure. En cas de nécessité, l’utilisation d’un hydrolysat poussé de protéines de lait de vache ou de protéines de riz peut être discutée.
De fait, une fois introduit dans l’alimentation, l’allergène doit être consommé régulièrement durant toute l’enfance pour éviter la survenue d’une allergie ; en effet, la consommation d’un allergène suivie d’une période d’éviction risquerait d’entraîner une allergie.
Encadre

Gare à la voie transcutanée en cas d’atopie sévère !

Les enfants ayant une dermatite atopique modérée à sévère ou une mutation de la filaggrine ont un risque augmenté de développer des allergies alimentaires. La peau, dont la barrière cutanée est altérée, est alors une voie de sensibilisation préférentielle. Il faut conseiller aux parents d’éviter l’exposition à des protéines alimentaires par l’application d’émollients en contenant (huile d’amande, de coco, crème à base de sésame, avocat, lait, avoine). Un traitement précoce et actif de l’eczéma du nourrisson par des émollients et dermocorticoïdes pour restaurer la barrière cutanée est recommandé dans cette population. Une évaluation sans tarder par un allergologue peut permettre de guider les réintroductions alimentaires et éviter l’apparition d’allergie.

Références
1. Kindt TJ, Goldsby RA, Osborne BA. Immunologie. Le cours de Janis Kuby avec questions de révision. 6e édition. Paris: Dunod, 2008.
2. Sampson HA, Muñoz-Furlong A, Campbell RL, et al. Second symposium on the definition and management of anaphylaxis: summary report--Second National Institute of Allergy and Infectious Disease/Food Allergy and Anaphylaxis Network symposium. J Allergy Clin Immunol 2006;117(2):391‑7.
3. Ring J, Brockow K, Behrendt H. History and classification of anaphylaxis. Novartis Found Symp 2004;257:6‑16; discussion 16-24, 45‑50, 276‑85.
4. Pouessel G, Beaudouin E, groupe de travail « Anaphylaxie » de la Société française d’allergologie. Quelle trousse d’urgence dans l’allergie alimentaire chez l’enfant ? Rev Fr Allergol 2009;60(6-7):571-5.
5. Sabouraud-Leclerc D, Bradatan E, Moraly T, et al. Primary prevention of food allergy in 2021: Update and proposals of French-speaking pediatric allergists. Arch Pediatr Organe Off Soc Francaise Pediatr 2022;29(2):81‑9.
6. Sabouraud-Leclerc D, Bradatan E, Moraly T, et al. Prévention primaire de l’allergie alimentaire du jeune enfant, actualités et propositions. Rev Fr Allergol 2022;62(4):407‑22.

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essentiel

L’interrogatoire minutieux est primordial dans la démarche diag­nostique de l’allergie alimentaire.

Le mécanisme immunologique est principalement dépendant des IgE, se traduisant par une réaction immédiate (en moins de deux heures).

L’anaphylaxie est l’expression de la sévérité de l’allergie alimentaire.

Si un stylo auto-­injecteur d’adrénaline est prescrit, le patient et son entourage doivent être éduqués à son utilisation.

Pour prévenir la survenue d’allergie, la diversification doit toujours débuter entre 4 et 6 mois et tout aliment introduit doit ensuite être régulièrement consommé