Présentes dans les habitats, et aussi à l’extérieur, dans des endroits souvent insoupçonnés, les spores des moisissures se diffusent dans l’air et sont à l’origine de différentes pathologies respiratoires. Elles sont impliquées de plus en plus souvent dans l’apparition d’allergies alimentaires croisées, par exemple aux levures de la bière ou aux champignons de Paris. Les nouvelles connaissances et les repères diagnostiques pour le MG dans cet article accompagné d’une fiche-conseils sur les mesures de prévention/éviction.

Le sujet est complexe étant donné la diversité des espèces de moisissures et de leurs caractéristiques de développement (chaleur, humidité relative et obscurité). Il en va de même pour la multiplicité des pathologies liées à leur présence dans les bâtiments professionnels ou au domicile (mycotoxicité, pneumopathie d’hypersensibilité...). Nous aborderons ici principalement les réactions allergiques IgE-médiées, sources d’asthme et rhinoconjonctivite allergiques.

Un quatuor de moisissures

En 2016, on estimait que 14 à 20 % des logements étaient contaminés par des moisissures visibles macroscopiquement. La reproduction de ces organismes eucaryotes unicellulaires (levures) ou pluricellulaires s’effectue par l’intermédiaire de leurs spores sexuées ou asexuées.

Quatre moisissures sortent du lot :

  • Alternaria alternata est l’une des plus connues. Elle est la cause de rhinite permanente ou d’asthme tout au long de l’année en raison de sa présence constante dans l’habitat par infestation de différents supports (papiers muraux, murs, tissus, mastic, matelas...). Cependant, elle peut être responsable d’une rhinite saisonnière estivale (pic observé en juin, juillet et août, favorisé par les moissons) et qui peut à tort être confondue avec unerhinite saisonnière aux graminées (il faut donc y penser en cas d’IgE négatives aux graminées). Dans le doute, seul le bilan allergologique peut trancher. Pour l’instant 17 allergènes sont identifiés mais Alt a1 reste le seul allergène majeur : plus de 80 % des allergiques à cette moisissure y réagissent ! Les autres allergènes, mineurs, expliquent les allergies croisées avec d’autres moisissures comme le Cladosporium, le Penicillium et l’Aspergillus ou certains champignons comestibles. Enfin, n’oublions pas le risque d’asthme professionnel chez les céréaliers, les maraîchers, les ouvriers du tabac, de la pâte à bois, les horticulteurs, les brasseurs.
  • Cladosporium herbarum contient l’allergène Cla h8 qui a 75 % d’homologie de structure moléculaire avec Alt a8 de l’Alternaria, ce qui explique en grande partie les réactions concomitantes à ces deux moisissures. Il contamine souvent la nourriture mais aussi les matériaux de construction humides, les peintures, voire les voitures.
  • Aspergillus fumigatus, dont l’allergène majeur est Aspf, est présent sur les panneaux de placo-plâtre, les bois, les cartons ou les supports en cellulose, les humidificateurs, les systèmes de filtration et de climatisation, le cuir. Très invasif et agressif, il est cause de multiples pathologies respiratoires : asthme, pneumopathie d’hypersensibilité, effets toxiques…
  • Penicillium notatumest présent dans les végétaux en décomposition, dans les produits alimentaires (fruits et légumes) ou sur les murs, les matériels d’isolation endommagés par des infiltrations. Il peut aussi se nicher dans des lieux plus étonnants comme le rembourrage des cercueils (cas décrit chez un employé des pompes funèbres). Cette moisissure est aussi incriminée dans certaines pathologies professionnelles chez les brosseurs de saucissons et les laveurs de fromages. Sa présence à l’intérieur des instruments à vent ne doit pas être ignorée (décès d’un joueur de cornemuse en raison d’une pneumopathie d’hypersensibilité).
 

Attention : si l’humidité et la chaleur sont des facteurs favorisant le développement des moisissures, Alternaria et Cladosporium sont tout à fait capables de s’accommoder à un environnement très sec.

Les allergies croisées entre espèces fongiques

Rares sont les mono-sensibilisations aux moisissures. En effet, de nombreuses homologies de structures moléculaires sont observées entre les allergènes de différentes espèces (tableau), expliquant des allergies croisées fréquentes.

Des méthodes diagnostiques insuffisantes

Le bilan allergologique repose initialement sur un interrogatoire précisant la symptomatologie ressentie, sa chronologie et les conditions environnementales. Vient ensuite l’étape des tests cutanés qui peut être frustrante car les extraits allergéniques commerciaux ne sont pas légion ! Ils se résument, selon les laboratoires, à Alternaria +/- Aspergillus. Le dosage des IgE spécifiques offre un panel un peu plus large (Alternaria, Cladosporium, plusieurs espèces d’Aspergillus et de Penicillium…), mais ces tests ne suffisent pas toujours à bien cibler la moisissure responsable.

L’allergie est confirmée uniquement par la concordance entre les tests positifs et la symptomatologie clinique ; l’amélioration clinique après un déménagement dans un habitat sain est un argument supplémentaire. Outre la mise en place des mesures d’éviction (fiche ci-dessous), l’immunothérapie spécifique à l’Alternaria (seule disponible, en forme sublinguale) est surtout indiquée dans la rhinite allergique saisonnière due à cette moisissure.

Les moisissures dans l’assiette

L’allergie alimentaire aux champignons n’est pas courante mais doit être connue pour éviter de passer à côté d’un diagnostic. Plusieurs circonstances doivent y faire penser. Les symptômes touchent le système digestif (nausées, vomissements, diarrhée), la peau (urticaire) ou plusieurs organes (anaphylaxie). Elle peut être liée à :

  • l’ingestion de moisissures utilisées pour la fermentation des fromages comme le Penicillium roqueforti ou camemberti (risque d’anaphylaxie) ;
  • la consommation d’aliments contaminés par des moisissures. Citons le cas d’un patient ayant eu trois anaphylaxies après ingestion de croûte de tomme de Savoie et de peau et chair à saucisses infectés par du Penicillium italicum ;
  • l’allergie aux champignons comestibles, qui survient par sensibilisation primaire ou par réactions croisées avec des allergènes fongiques inhalés. On peut citer l’allergie croisée entre Alternaria inhalée et la consommation de champignons de Paris (Agaricus bisporus) cuits. L’allergie Alternaria-épinard est également possible par réaction croisée avec Alt a1 ;
  • la consommation de boissons alcoolisées obtenues par fermentation de levures. Les personnes allergiques aux moisissures inhalées doivent être conscientes du potentiel risque d’allergies alimentaires aux agents de fermentation que sont les levures Saccharomyces cerevisiae, S. carlsbergensis, S. pastorianus ou Torulaspora delbrueckii. Il faut y penser devant une réaction allergique survenant après ingestion de bières brunes et blondes ou de vins fermentés en l’absence d’allergie aux céréales ou raisins qui les composent. Pour l’illustrer, mentionnons le cas d’un jeune homme allergique aux quatre principales moisissures inhalées qui a eu plusieurs anaphylaxies après la consommation de bières, de vin rouge et de sauces à base de cette levure.

Un diagnostic différentiel : la dermatite flagellaire au Shiitake

Entre 2000 et 2013, 15 cas de dermatite au champignon Shiitake (Lentinus edodes) ont été déclarés dans les centres anti-poison en France. Un chiffre multiplié par 3 entre 2014 et 2019, avec 59 cas avérés chez 125 personnes suspectées d’avoir ce syndrome. De fait, l’Anses s’y intéresse dans un rapport récent de 2021.

Ce champignon, très apprécié au Japon et en Chine, est de plus en plus consommé en Europe. Ainsi, il est important de connaître ses effets délétères sur la peau lors de sa consommation cru ou insuffisamment cuit (au wok ou sur une pizza). Dans les 24 à 48 heures qui suivent, apparaît un prurit féroce accompagné de papules et de plaques linéaires érythémateuses sur le tronc, les membres supérieurs et inférieurs, qui peuvent persister une semaine voire un mois et demi (figure). Ces lésions sont souvent associées à des signes digestifs (douleurs abdominales, vomissements, diarrhée). Le mécanisme incriminé n’est nullement allergique mais probablement dû à l’action du lentinane (polysaccharide thermosensible). Le traitement est essentiellement symptomatique, fondé sur des corticoïdes et des antihistaminiques. Il est donc recommandé de cuire ces champignons à 150 °C pendant 15 minutes.

Encadre

Contamination par les moisissures : mesures de prévention (fiche-conseils pour les patients)

Le développement des moisissures dépend des conditions environnementales du substrat sur lequel elles se multiplient. Plusieurs mesures de précaution sont à respecter pour éviter l’apparition de ces micro-organismes dans un bâtiment professionnel ou individuel.

Recommandations face à la présence et la croissance de la plupart des moisissures, favorisées par l’humidité et la chaleur

  • Obtenir une humidité relative ambiante se situant entre 45 et 60 %.
  • Éviter l’utilisation d’un nettoyeur ou d’une centrale vapeur sans aération de la pièce. Pas d’aquarium dans les chambres à coucher.
  • Se souvenir que là où il y a des acariens, il y a des moisissures puisqu’il y a interactions entre eux. Les acariens se nourrissent de moisissures et peuvent disperser les spores à distance en les transportant sur leur dos.
  • Rechercher tout signe d’infiltration par capillarité, défaut de structure, isolation défectueuse ou fuite d’eau, de condensation sur les vitres.
  • Aérer toutes les pièces matin et soir pendant au moins 20 minutes.
  • Vérifier le bon fonctionnement des VMC et des grilles d’aération (nettoyage...).
  • Ne pas chauffer les pièces à plus de 19 °C.
  • Inspecter la terre de plantes vertes régulièrement arrosée qui peut favoriser le développement de moisissures.
  • Éviter les climatiseurs mal entretenus et humidificateurs qui favorisent le développement de moisissures dans les logements ou bureaux.

Préconisations du CES Air (comité d’experts spécialisés) lorsque les taches de moisissures sont installées (rapport de l’Anses de 2016)

  • En cas de surface contaminée inférieure à 0,2 m2 (niveau faible de contamination), le nettoyage par le particulier est possible, avec certaines précautions :

– utiliser un nettoyant tout usage ;

– lors du nettoyage, la personne doit se protéger des spores volatiles : lunettes de protection, gants en caoutchouc, masque FFP2 ou type N95, combinaison de protection ; bien aérer la pièce ; ne pas utiliser de brosse afin d’éviter la dispersion des spores ;

– laver la partie à traiter avec une éponge humide et produit d’entretien, puis rincer avec une autre éponge légèrement imbibée d’eau ; enfin, essuyer avec un linge et bien aérer ;

– l’utilisation d’eau de javel 1 volume pour 9 volumes d’eau, très efficace, est moins conseillée qu’auparavant en raison de son caractère irritant et polluant.

  • En cas de surface contaminée entre 0,2 et 3 m² (niveau moyen de contamination) l’intervention d’une entreprise spécialisée est nécessaire. Ne pas nettoyer la surface seul.
  • Une surface de plus de 3 m² de moisissures requiert l’intervention d’un professionnel labellisé pour la désinfection (niveau élevé de contamination avec critère d’insalubrité).
  • La solution ultime et la plus efficace reste le déménagement dans un nouveau logement sain exempt de toute contamination et d’humidité.

Faire appel à un conseiller médical en environnement intérieur

Cela fait également partie de l’arsenal mis à la disposition des allergiques. L’objectif est d’évaluer l’importance des surfaces contaminées et de prévoir des prélèvements pour identifier les espèces de moisissures. Cette visite à domicile est prise en charge uniquement sur prescription médicale de l’allergologue après un bilan.

Autres mesures/pièges

  • Pour les joueurs d’instruments à vent : nettoyer trompette, clarinette, flûte, cornemuse, car des moisissures se développant à l’intérieur peuvent entraîner des pathologies respiratoires.
  • En voiture : ne pas oublier de traquer les moisissures dans les véhicules (filtres de ventilation, sièges, coffre).
  • Les personnes allergiques à l’Alternaria doivent tenir compte d’une possible apparition d’une rhinite estivale confondue à tort avec une rhinite pollinique. Il faut donc consulter l’allergologue.
  • Pour éviter les allergies croisées alimentaires, ne jamais manger d’aliments contaminés par des moisissures même après les avoir nettoyés.

 

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