Durant des décennies, les allergies alimentaires liées à la consommation de viandes de mammifères se cantonnaient à une réaction à la sérum albumine avec le syndrome porc-chat. Cependant depuis les années 2000, de nouveaux tableaux cliniques ont fait leur apparition avec le syndrome α-gal dont les premiers cas sont initialement décrits aux États-Unis en 2009. Désormais, il faut compter avec les habitudes alimentaires de chaque pays ou continents mais aussi avec l’attraction du consommateur pour des viandes exotiques comme celle de crocodile (figure).
Allergies à la viande de mammifères
Réactions croisées
De nombreuses albumines sériques issues d’espèces animales différentes peuvent engendrer des réactions d’allergies alimentaires croisées. Les voies de sensibilisation initiale sont multiples.
Par inhalation
En ce qui concerne le syndrome porc-chat, l’appellation syndrome « chat-porc » serait plus appropriée d’un point de vue chronologique. En effet, dans un premier temps, on observe une sensibilisation initiale ou une réaction allergique préalable (rhinite et/ou asthme) à la sérum albumine du chat : Fel d2. Or cet allergène possède un pourcentage d’homologie de structure avec la sérum albumine de porc Sus s1 suffisant pour expliquer une possible allergie croisée alimentaire. Ainsi, dans un deuxième temps, la consommation d’aliments d’origine porcine (viande, rognons, confits de porc, jambon, saucissons, andouillette) peut engendrer des symptômes de mécanisme IgE-médié chez ces patients. Ils se plaignent alors dans les quelques minutes à deux heures après l’ingestion de poussées d’urticaire, d’angiœdème, de réaction anaphylactique ou de troubles digestifs (douleurs abdominales, diarrhée). L’influence de la cuisson sur le potentiel allergénique est variable selon la température – l’ingestion de porc cru ou fumé provoquant des symptômes plus marqués. Ce phénomène d’allergie croisée peut s’étendre à d’autres viandes dont celle de bœuf.
Le même principe s’applique également entre la sérum albumine du chien (Can f3) et celle de la viande de cheval Equi c3 (rare mais possible).
Par ingestion
Par le biais de l’albumine sérique Bos d6 du lait de vache, 10 à 20 % des enfants atteints d’APLV ont une allergie croisée avec Bos d6 contenue dans la viande de bœuf ou de veau.
Syndrome α-gal
Cette allergie alimentaire à la viande de mammifères, souvent sous-diagnostiquée, possède plusieurs particularités qu’il faut connaître.
Son mode de sensibilisation initiale est particulier. Il peut s’agir d’une morsure de tique* qui transmet à l’homme l’allergène α-gal qu’elle a initialement ingéré en mordant un autre mammifère. Autre possibilité : un traitement par l’anticorps monoclonal cétuximab qui en contient. Certaines personnes vont alors développer des IgE anti-α-gal et réagiront ensuite à l’ingestion de viande contenant l’allergène.
L’allergène (galactose-α- 1,3 -galactose) en cause n’est pas une protéine mais un glucide présent uniquement chez les mammifères non primates (bœuf, porc, agneau, cheval, chèvre, lapin, sanglier). Il est inexistant chez l’homme, les singes, gorilles ou les volailles. De plus, il est résistant à la cuisson et aux enzymes digestives.
Le délai d’apparition des symptômes après l’ingestion est plus long (3 à 6 heures) comparativement à celui observé habituellement dans les allergies IgE-médiées (quelques minutes à 2 heures). Cela est lié à une digestion plus lente de cet oligosaccharide combiné à des glycolipides.
Les manifestations cliniques sont parfois atypiques : vomissements et diarrhée, épisodes de douleurs abdominales sans atteinte cutanée, angiœdème, réaction anaphylactique sévère. Elles peuvent parfois être confondues à tort avec une urticaire chronique.
Ce syndrome atteint préférentiellement les adultes. En Europe, la prévalence de la sensibilisation à l’α-gal est estimée entre 10 à 20 % de la population.
Certaines professions sont à risque (morsure de tique) : chasseurs, randonneurs, professionnels travaillant en milieu extérieur (forestier, bûcheron, jardiniers).
Les patients de groupe B et AB seraient moins touchés. L’homologie de structure entre l’α-gal et l’antigène du groupe B en est l’explication la plus probable.
La possibilité d’une anaphylaxie à l’effort a été récemment décrite.
Quel bilan ?
En cas de suspicion d’allergie à la viande de mammifères, il faut rechercher à l’interrogatoire des facteurs favorisants (morsure de tique, viande consommée, délai d’apparition des symptômes, etc.).
Les tests cutanés sont peu parlants puisqu’il n’existe pas d’extraits commerciaux. Les prick-tests avec la viande fraîche ou cuite sont réalisables avec, par exemple, des rognons de porc cuits qui contiennent des quantité élevé d’α-gal, mais les résultats ne semblent pas fiables. Parallèlement, peuvent être envisagés des tests avec le cétuximab ou des gélatines dérivées de viande porc ou de bovins.
Le dosage des IgE spécifiques (IgE anti-Fel d2, IgE anti-Sus s1, IgE anti-α-gal, IgE anti-Bos d6 , IgE anti-gélatine) peuvent alors apporter une aide précieuse.
Le test de provocation orale en milieu hospitalier est rarement réalisé pour le syndrome l’α-gal car non standardisé. Son indication est discutée au cas par cas par l’équipe médicale experte.
Attitude thérapeutique
Lorsque le diagnostic est posé, l’éviction des viandes responsables est impérative. Dans le cas du syndrome α-gal, de nombreuses mesures de précaution sont à respecter selon les nouvelles recos (cf. fiche complémentaire dans l'encadré ci-dessous ; téléchargeable sur ce lien). Des tentatives d’immunothérapie orale sous couvert d’omalizumab ont été réalisées avec succès dans certaines indications, essentiellement dans le but de recherches.
Allergies à la viande de volailles
L’allergie IgE-médiée à la viande de volaille, dont celle au poulet est la plus représentative, s’exprime cliniquement par l’apparition d’urticaire, angiœdème et/ou réaction anaphylactique. Plusieurs modes de sensibilisation sont cependant répertoriés.
Allergie primaire à la viande de poulet
Il s’agit d’une réaction liée à la protéine Gal d7 (myosin light chain 1f). Cet allergène majeur est résistant à la cuisson et aux enzymes digestives. Il faut donc être vigilant vis-à-vis d’un possible déclenchement des symptômes lors du contact avec des vapeurs de cuisson ou la peau de la volaille. Dans un deuxième temps, des allergies croisées aux viandes des autres volailles sont possibles, essentiellement avec la dinde et, à moindre fréquence, avec l’oie ou le canard.
Syndrome œuf-oiseau
La sensibilisation initiale à l’albumine sérique Gal d5 résulte de l’exposition aux plumes d’oiseaux de compagnie (perruches, canaris, perroquets) ou aux antécédents d’allergie alimentaire au jaune d’œuf dans l’enfance. Dans un deuxième temps, par allergie croisée, la consommation de viande entraîne plutôt des symptômes buccaux ou gastro-intestinaux voire des réactions systémiques.
Syndrome poulet poisson
L’allergie croisée, inattendue, entre la viande de poulet et les poissons a été décrite récemment. Les allergènes en cause ont des homologies partielles de structure avec Gal d8 (α-parvalbumine), Gal d9 (β-énolase) et Gal d10 (aldolase) de la viande de poulet et leurs équivalents dans les muscles de poissons osseux ou cartilagineux.
Ce type d’allergie croisée existe avec des viandes plus exotiques comme celle de crocodile (Crocodylus porosus), avec ses allergènes Cro p1 (ß-parvalbumine) et Cro p2 (α-parvalbumine). Il existe un risque de réaction anaphylactique sévère lors de sa consommation (syndrome poisson-crocodile). La consommation de viande de grenouille est également concernée par le biais d’un allergène de la famille des ß-parvalbumines.
Comment faire le diagnostic ?
L’interrogatoire et les pricks-tests avec viande fraîche et cuite doivent être confortés par la réalisation de dosages des IgE spécifiques comme : IgE anti-dinde (f 284), IgE anti-poulet (f 83), IgE anti-nGal d5, albumine sérique du poulet (U770). Pour l’instant, peu de dosages sont disponibles.
Fiche : recommandations en cas d’allergie à la viande
1. Recommandations en cas d’allergie avérée aux viandes de mammifères non primates (α-gal)
Se protéger des morsures de tiques
En cas de nouvelles morsures, il y a un risque de faire perdurer ou même augmenter le taux d’α-gal et donc d’IgE anti-α-gal. Certaines études suggèrent que l’évitement de nouvelles morsures pendant 1 à 2 ans permettrait la réintroduction de la viande rouge.
Éviter la consommation de mammifères
Les viandes rouges, les abats (rognons, tripes, foie, cœur) de porc, de sanglier, de cerf, d’agneau, de chèvre, de cheval, de lapin, etc. sont à exclure de l’alimentation, ainsi que les boyaux de porc pour les saucisses.
Un suivi diététique est conseillé avec parallèlement l’évaluation de la nécessité d’une supplémentation en fer et vitamine B12.
Il faut prendre en compte les cofacteurs de morbidité : prise d’alcool et/ou d’AINS, fatigue, virose, IEC, ß-bloquants, etc.
Sont contre-indiqués :
- le cétuximab – qui contient de l’α-gal – ainsi que d’autres biothérapies comme l’abatacep et l’infliximab, mais aussi des produits médicamenteux à base de gélatine (gélofusine, Plasmion, Plasmagel, Haemaccel), de glycérine, l’acide lactique et le stéarate de magnésium d’origine animale ;
- des anti-venins.
La personne concernée doit être en possession d’un stylo auto-injecteur d’adrénaline (si antécédent d’anaphylaxie à l’α-gal avec ou sans effort).
D’autres mesures sont à appliquer en fonction de la sévérité du syndrome α-gal :
- éviter la consommation de lait et de produits laitiers chez les patients qui restent mal contrôlés malgré l’éviction des viandes de mammifères. Cette mesure n’est pas nécessaire pour 80 à 90 % des patients ;
- contre-indications relatives aux vaccins contenant de la gélatine : ROR, Zostavax, fièvre jaune ;
- pas de pose de valvules cardiaques d’origine animale porcine ou bovine ;
- l’utilisation de psychotropes à base de sertraline doit-être évaluée, en raison du risque de présence d’α-gal selon les laboratoires pharmaceutiques. Il en est de même pour le magnésium stéarate d’origine bovine rentrant dans la composition de certains médicaments (NB : acide stéarique et acide lactique peuvent contenir de l’α-gal s’ils sont d’origine animale mais pas si leur provenance est à base de plante) ;
- attention aux substituts d’enzymes pancréatiques d’origine porcine : pancrélipase et Enzynorm ;
- discuter la prise d’hormones thyroïdiennes et produits héparinés (dérivés de l’intestin de porc) ;
- vigilance accrue vis-à-vis de produits pouvant contenir des extraits provenant de mammifères dans leur composition (bonbons à base de gélatine, guimauve), boyaux de bœuf, saindoux.
En cas d’anaphylaxie à l’effort à l’α-gal
- Éviter tout effort 1 heure avant et 6 heures après la consommation de viande ou des produits laitiers.
- Ne pas pratiquer d’activité physique en solo.
- Stopper l’effort au moindre doute.
- Avoir à portée de main le stylo auto-injecteur d’adrénaline.
2. Conseils d’éviction en cas d’allergie alimentaire à la viande de volaille
- Faire attention à la présence de viande de volaille transformée dans des soupes industrielles ou certains plats préparés.
- Éviter les saucisses ou jambon à base de viande de dinde.
- Attention à la viande de volaille parfois utilisée en substitution de la viande de porc.
- Les viandes de volailles ne sont pas à étiquetage obligatoire, donc bien se renseigner auprès du fabricant ou des bouchers-charcutiers fournisseurs.
Pour en savoir plus :
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