Patiente de 15 h 40 : jeune femme sous contraception œstroprogestative, tabagique, qui consulte pour une toux sèche dans un contexte viral avec légère oppression thoracique et tachycardie. Pas assez suspecte pour le 15. Trop tard pour faire les D-dimères ou l’angioscanner en ville. Trop risqué d’attendre le lendemain. On aimerait lui éviter les six (voire douze) heures d’attente aux urgences (on est trop gentil, parfois). On décide donc de joindre notre collègue hospitalier (pneumologue dans ce cas, mais déclinable, bien sûr, à toutes les spécialités).
Et là commence la vraie vie…
Si on est chanceux, on a dans notre répertoire un contact (sympa de préférence) qu’on arrive à joindre.
Si on l’est un peu moins, on dispose d’un numéro d’appel direct « réservé aux médecins », glané dans un compte rendu d’hospitalisation ou dans un mail de communication que l’hôpital de proximité nous a envoyé (on constate parfois des sursauts d’envie d’améliorer la communication ville-hôpital). Il faut ensuite que quelqu’un décroche, et qu’il ne nous passe pas à la moulinette comme le réanimateur tout-puissant cuisine l’externe pendant la visite professorale à l’ancienne…
Si on est plutôt un vendredi 13, ou un vendredi tout court, on appelle le standard de l’hôpital. Après la jolie musique d’attente – Mozart pour l’AP-HP –, en général soit ça raccroche, soit on est mis en attente au service de prise des rendez-vous, et on sait bien que l’on ne pourra rien faire pour nous, ou plutôt pour la patiente.
Pendant l’internat, on apprend vite à évoquer le cas d’un patient efficacement et à le « vendre » si besoin au spécialiste. Dans la vraie vie de la ville, c’est pareil, sauf qu’il n’y a pas le répertoire de l’hôpital.
Il faut donc absolument développer un réseau de spécialistes, et cela se fait assez naturellement avec ceux installés en ville (via les amicales de médecins, le retour d’informations par les patients, la plus grande accessibilité des confrères en général).
Le lien avec l’hôpital de proximité peut se faire en participant à des réunions à l’hôpital quand elles sont ouvertes aux médecins généralistes – mais cela demande un vrai effort de communication et de temps de la part du service hospitalier. La pression actuelle sur la rentabilité de l’hôpital empêche malheureusement de développer ces réseaux, le temps médical hospitalier étant utilisé pour augmenter le turn-over des patients, afin de libérer des lits pour les patients des urgences. Or, si le lien était fait en amont, les médecins n’enverraient-ils pas moins de patients aux urgences ? Mais n’y a-t-il pas un délétère intérêt financier pour les hôpitaux à faire passer les patients par ces services ?
En revanche, un élément de la relation ville-hôpital qui s’est beaucoup amélioré est la transmission d’informations à la suite d’une hospitalisation. L’obligation pour le service de donner au patient une lettre de sortie a tout changé pour le médecin généraliste. L’informatisation des dossiers a permis que cette lettre de sortie corresponde très souvent au compte rendu quasi définitif. Bien sûr, on n’attend toujours pas que le médecin traitant soit le destinataire principal de ce compte rendu (ce n’est pas comme s’il était capable d’en comprendre le contenu !…), mais c’est le patient qui nous le transmet directement. L’emploi de plus en plus fréquent des messageries informatiques cryptées permet d’entrevoir encore des améliorations dans le partage des informations.
Le médecin généraliste doit donc être proactif dans sa volonté de tisser des liens personnalisés avec les spécialistes, car c’est la seule garantie de pouvoir adresser rapidement et à bon escient les patients. Le ministère de la Santé essaie actuellement de formaliser ce maillage, avec la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; il paraît néanmoins difficile de théoriser ce lien entre les médecins, qui sera toujours fragile, car devant être sans cesse travaillé (renouvellement des équipes à l’hôpital, départs à la retraite…).