La prévalence de l’anémie croît avec l’âge et les signes cliniques classiques sont souvent pris en défaut dans cette population. Quel bilan chez les seniors ? Quelles indications des explorations ? Quelle prise en charge ?

 

 

Une anémie est définie par un taux d’hémoglobine (Hb) < 12 g/dL chez la femme et < 13 g/dL chez l’homme. La prévalence augmente avec l’âge : 8 % entre 65 et 74 ans, 13 % entre 75 et 84 ans et 23 % après 85 ans.

La carence en fer est souvent en cause. Plusieurs mécanismes peuvent être impliqués dans l’anémie ferriprive : diminution de l’absorption de fer (achlorhydrie ou atrophie villositaire) ; perte excessive en raison d’un saignement chronique (surtout d’origine digestive) ; inflammation chronique ; carence d’apport (mais son impact est plus faible).

Chez le sujet âgé, les signes classiques sont souvent pris en défaut. L’asthénie est volontiers considérée comme banale et multifactorielle. L’anémie ferriprive peut être révélée par la décompensation d’une pathologie chronique, notamment cardiaque. Elle peut diminuer les capacités fonctionnelles et cognitives, augmenter le risque de chute et altérer la qualité de vie. Une carence martiale, associée ou non à une anémie, est observée chez 30 à 50 % des patients ayant une insuffisance cardiaque chronique. C’est un facteur indépendant de morbimortalité.

Pour poser le diagnostic, un taux de ferritinémie < 50 μg/L est considéré comme à la fois sensible (85 %) et spécifique (92 %) chez la personne âgée. En cas d’inflammation, le dosage du récepteur soluble de la transferrine est utile (non influencé par l’inflammation).

Une fois le diagnostic confirmé, il faut rechercher la cause. L’interrogatoire et l’examen clinique investiguent donc : prise d’aspirine ou d’AINS (même intermittente), régime alimentaire végétarien, douleurs épigastriques et antécédent d’ulcère, histoire personnelle ou familiale de polypose ou de cancer rectocolique, modification de la consistance, de la couleur et de l’odeur des selles, rectorragies, éléments en faveur d’une maladie hémorragique… La recherche de sang dans les selles par Hémoccult n’est pas recommandée dans ce cas, car ce test de dépistage de masse n’est pas un outil diagnostique à l’échelon individuel.

 

Quand transfuser ?

En phase aiguë, la politique transfusionnelle restrictive a montré son efficacité sur l’augmentation de la survie. Chez le sujet âgé, un avis d’experts émis en 2014 établit un seuil général de :
– 7 g/dL en l’absence d’insuffisance cardiaque et ou/coronaire ;
– 8 g/dL en cas d’insuffisance coronaire ou cardiaque stable ;
– 10 g/dL si l’anémie est mal tolérée.

 

Quelles explorations en 1re intention ?

La majorité des anémies ferriprives chez la personne âgée résultent d’un saignement d’origine digestive. Ainsi, devant une anémie sans cause évidente, une endoscopie bidirectionnelle (endoscopie œsogastroduodénale [EOGD] + coloscopie) est recommandée (figure ci-dessous).

L’indication exploratoire doit s’inscrire dans une stratégie aboutissant à une démarche potentiellement curative. Si l’EOGD sans anesthésie générale est un geste à faible risque, le plus souvent bien toléré, pour la coloscopie une analyse de la balance bénéfices/risques est indispensable (espérance de vie, diagnostic recherché, complications de l’examen* et des éventuels traitements) ; une évaluation gériatrique globale (autonomie, fonctions cognitives, comorbidités, qualité de vie) est utile dans les cas difficiles. La supplémentation martiale sans exploration est réservée aux patients pour lesquels les examens seraient trop risqués et/ou n’auraient pas de conséquences sur la prise en charge.

La rentabilité de l’endoscopie bidirectionnelle varie, selon les études, de 44 à 84 % : une lésion œsogastroduodénale est identifiée dans 19 à 57 % des cas, une atteinte colique chez 25 à 39 % des patients, un cancer du côlon (droit notamment) dans 7,5 à 28 % des cas.

Une exploration radiologique du côlon est discutée en cas de comorbidités contre-indiquant temporairement la coloscopie. Pour visualiser sa paroi, une préparation est nécessaire, suivie d’une distension soit par de l’eau (coloscanner à l’eau), soit par du gaz (CO2, coloscanner à l’air ou coloscopie virtuelle). Ce dernier, contrairement au coloscanner à l’eau, ne nécessite pas d’injection d’iode et a une meilleure sensibilité pour dépister les polypes ; cependant, les autres organes ne sont pas bien visualisés. Le coloscanner à l’eau permet l’analyse de la paroi du côlon et des viscères abdominaux, mais sa sensibilité est moindre pour les petites lésions.

*Selon une méta-analyse de 20 études, pour les coloscopies après 65 ans, l’incidence des perforations (pour 1 000 examens) était de 1,0 ; celle des hémorragies de 6,3 ; celle des complications cardiorespiratoires de 19. Le taux de décès s’élevait à 1 pour 1 000.

 

Exploration négative : que faire ?

Après une 1re endoscopie bidirectionnelle, aucune cause n’est retrouvée chez 10 à 40 % des patients âgés. Les origines sont probablement multiples (défaut de réponse à l’érythropoïétine, déficit androgénique, myélodysplasie a minima). Un traitement par fer et une surveillance clinicobiologique sont proposés.

Les explorations digestives de seconde intention ne sont réalisées qu’en cas de non-correction ou de récidive de l’anémie après traitement substitutif. Une 2e EOGD peut être effectuée, voire une coloscopie, si la 1re n’a pas été faite dans les conditions optimales (environ 10 % des lésions digestives hautes et 7 % de celles coliques peuvent passer inaperçues lors de la 1re endoscopie).

La vidéocapsule endoscopique (VCE) est indiquée pour rechercher une lésion du grêle (pas de contre-indication en dehors des troubles de la déglutition). Si une sténose est suspectée, un examen morphologique préalable est souhaitable (entéroscanner). Chez les plus de 70 ans, une lésion est identifiée dans 63 % des cas (73 % d’angiodysplasies). L’entéroscopie double-ballon (2 ballons sont gonflés dans un segment intestinal, permettant de raccourcir l’intestin grêle sur le surtube) a une visée diagnostique et thérapeutique (hémostase endoscopique des angiodysplasies visualisées à la VCE).

 

anémie

 

Quelle prise en charge ?

Le traitement est étiologique si la cause de l’anémie est identifiée. Une supplémentation martiale est recommandée afin de corriger l’anémie et restaurer les stocks de fer : 300 mg de fer sulfate pendant au moins 3 à 6 mois par Tardyferon, Fero-Grad, Timoferol. La voie intraveineuse (Ferinject ou Venofer) est préconisée en cas d’échec, inflammation chronique ou pathologie affectant l’absorption intestinale du fer. Un dépistage des carences vitaminiques (et un apport le cas échéant) est associé.

L’efficacité du traitement est évaluée à 6 semaines (dosage de l’hémoglobine et bilan martial).

 

Cinzia Nobile, La Revue du Praticien

 

D’après :

Nahon S. Anémie du sujet âgé : très souvent digestive.  Rev Prat Med Gen 2019;33(1024);493-4.

Le Vavasseur B, Godeau B. Anémie. VGM et réticulocytes à analyser en priorité.  Rev Prat Med Gen 2020;43(1052);866-70.

Delarue R. Anémie : quelles causes ?  Rev Prat Med Gen 2018;32(998);229-30.