Dans la majorité des situations, l’anémie peut être explorée et prise en charge en médecine générale. Comment s’orienter ? Quels dosages s’avèrent utiles ? Quelle prise en charge ? Quand passer la main ? Une fiche pratique illustrée d’arbres décisionnels. 

Définition : taux d’hémoglobine < 12 g/dL chez la femme et < 13 g/dL chez l’homme, indépendamment de l’âge. Seuil pendant la grossesse : 11 g/dL (10,5 g/dL au 2e trimestre).

Nécessite l’analyse complète : 

  • des paramètres des globules rouges : volume globulaire moyen (VGM normal : de 80 à 100 fl) ;
  • de l’hémogramme : y a-t-il d’autres anomalies ?
  • du compte des réticulocytes si anémie non microcytaire ;
  • du frottis sanguin si hémogramme anormal ;
  • des hémogrammes antérieurs.

Quels signes ?

Le syndrome anémique regroupe les signes pouvant révéler une anémie (inconstants et aspécifiques) : asthénie inhabituelle, céphalées, pâleur cutanéomuqueuse, palpitations (tachycardie) et/ou dyspnée d’effort d’intensité variable. Si l’anémie est profonde, les signes de souffrance d’organes (cœur, poumons, reins…) peuvent être au premier plan. Lorsqu’elle est secondaire à une hémolyse, un ictère d’intensité variable, des urines foncées et/ou des lombalgies (voire un syndrome « pseudogrippal » si hémolyse aiguë) sont possibles. 

L’indication d’une transfusion se discute avant tout en fonction de la tolérance, le seuil étant en général de 7 g/dL, voire 8 g/dL chez les patients atteints de cardiopathie ischémique ou d’insuffisance cardiaque non décompensée.

Orientation : fonction du VGM

Une fois l’anémie authentifiée sur l’hémogramme, et en l’absence de contexte évident (hémorragie aiguë extériorisée), la première étape repose sur l’analyse du VGM (fig. 1). 

Récupérer des hémogrammes anciens permet d’apprécier une possible chronicité.

Anémie microcytaire : regarder ferritine et CRP

VGM < 80 fl (situation la plus courante). Les dosages de la ferritine et de la CRP orientent (fig. 2). La cause principale est la carence martiale (fig. 2). Vient ensuite, par ordre de fréquence, une inflammation chronique (VGM compris entre 75 et 80 fl ; ferritinémie souvent élevée). 

Si ni carence martiale ni inflammation : penser à une thalassémie mineure. Une microcytose marquée évoluant depuis l’enfance oriente, surtout si l’origine ethnique est évocatrice. L’électrophorèse de l’Hb fait le diagnostic.

De façon exceptionnelle, une anémie microcytaire révèle une dysérythropoïèse congénitale ou un saturnisme.

Anémie macrocytaire : éliminer une carence vitaminique et une hémolyse

VGM > 100 fl. On raisonne selon le taux de réticulocytes (fig. 3). On distingue ainsi les anémies régénératives (réticulocytes ≥ 120 G/L) – secondaires à une hémolyse – des anémies arégénératives (réticulocytes < 120 G/L), liées à des carences vitaminiques, à une hypothyroïdie ou à des anomalies qualitatives de la lignée érythroïde (syndrome myélodysplasique notamment). Des médicaments peuvent également être responsables d’une macrocytose (méthotrexate, azathioprine, certains anticonvulsivants…). 

Devant une anémie macrocytaire régénérative, la confirmation d’une hémolyse repose sur la baisse de l’haptoglobine ; dans ce cas, 2 examens orientent vers la cause de l’hémolyse :

  • frottis sanguin : anomalies morphologiques des hématies (schizocytes orientant vers une micro­angiopathie thrombotique) ;
  • test de Coombs : sa positivité signe une anémie hémolytique auto-immune.

Ces 2 urgences hématologiques nécessitent une hospitalisation rapide.

En l’absence d’hémolyse après élimination d’une carence vitaminique et d’une hypothyroïdie, un avis spécialisé et un myélogramme par aspiration sternale s’imposent afin d’éliminer une hémopathie (syndrome myélodysplasique notamment).

Anémie normocytaire : regarder le taux de réticulocytes

VGM compris entre 80 et 100 fl. Il faut éliminer en priorité un saignement abondant aigu extériorisé (hémorragie digestive…) ou non (hématome profond, contexte postopératoire…).

En dehors de cette situation, elle est en général secondaire à une insuffisance de production médullaire (fig. 4)  : insuffisance rénale chronique (carence relative en érythropoïétine), hypothyroïdie, inflammation chronique (avant d’être microcytaire, l’anémie est normocytaire), érythroblastopénie (diminution des précurseurs érythroïdes dans la moelle osseuse) aiguë ou chronique, envahissement médullaire (tumoral ou infectieux), anomalies qualitatives des érythroblastes (myélodysplasie). L’anémie est alors arégénérative (réticulocytes < 120 G/L), voire réticulocytopénique (réticulocytes < 20 G/L) en cas d’érythroblastopénie sous-jacente.

Plus rarement, l’anémie normocytaire est régénérative (réticulocytes ≥ 120 G/L), après un saignement récent ou lors d’une hémolyse. Si celle-ci est importante et durable, sachant que le VGM des réticulocytes est supérieur à celui des hématies matures, l’anémie devient volontiers macrocytaire. 

Carence martiale : 4 mécanismes

Chronique, elle est à l’origine de symptômes non spécifiques : irritabilité, troubles mnésiques, perlèche, glossite avec atrophie des papilles linguales, ongles cassants et/ou mous ou en cupule (koïlonychies), alopécie, tendance à la dysgueusie.

Elle se traduit en premier lieu par une diminution de la ferritine sérique, qui reflète la réduction des réserves en fer ; puis on observe une baisse marquée du coefficient de saturation de la transferrine (principale protéine de transport du fer) et une augmentation de la capacité de fixation de la transferrine (optimisation de la captation ferrique). L’apparition de l’anémie correspond au stade « ultime » de la carence en fer.

Pour le diagnostic, la ferritinémie sérique sert de référence , un taux abaissé permettant à lui seul d’affirmer la carence martiale. Au contraire, un taux > à 2 fois la normale rend improbable ce diagnostic. La CRP est demandée pour ne pas méconnaître une inflammation chronique. Une thrombocytose peut accompagner l’anémie.

Seulement en cas de difficulté diagnostique (inflammation, insuffisance rénale chronique, pas de baisse de la ferritine malgré une suspicion clinique forte) : demander le coefficient de saturation de la transferrine.

Une fois la carence martiale confirmée, il faut rechercher une des 4 grandes causes :

  • saignement chronique ;
  • augmentation des besoins ;
  • malabsorption ;
  • carence d’apport.

L’interrogatoire et l’examen clinique investiguent donc : régime alimentaire végétarien, méno-/métror­ragie chez la femme, prise d’aspirine ou d’AINS (même intermittente), douleurs épigastriques et antécédent d’ulcère, histoire personnelle ou familiale de polypose ou de cancer rectocolique, modification de la consistance, de la couleur et de l’odeur des selles, rectorragies, éléments en faveur d’une maladie hémorragique…

Attention  : la recherche de sang dans les selles par Hémoccult n’est pas recommandée dans ce cas, car ce test de dépistage de masse n’est pas un outil diagnostique à l’échelon individuel.

Les explorations endoscopiques digestives indiquées dépendent de l’âge du patient (fig. 5).

Substituer en fer

Le traitement est d’abord étiologique. La complémentation repose sur le fer ferreux per os : 150 à 300 mg/j à prendre de préférence le matin à jeun ou en 2 prises, en dehors des repas.

Les effets secondaires digestifs (nausées, douleurs abdominales, troubles du transit) sont relativement fréquents et peuvent nuire à l’observance. La durée du traitement doit être au minimum de 3 à 4 mois jusqu’à normalisation de la ferritine (pour reconstituer les réserves en fer).

En cas d’intolérance digestive, une substitution par voie veineuse est possible en hospitalisation de jour (mais risque de réaction allergique grave et imprévisible).

L’hémogramme est contrôlé en général après 3 mois de substitution. En cas d’inflammation aiguë ou chronique, l’absorption en fer est fortement diminuée, et la supplémentation orale inefficace. Il faut donc traiter la carence martiale après cet épisode

Par ailleurs, le fer étant un facteur de croissance bactérien, on doit éviter les perfusions en période infectieuse.

Autres anémies carencielles : B9 et B12

Carence en folates (vitamine B9)

Elle est le plus souvent liée à une insuffisance d’apport (dénutrition, régime alimentaire déséquilibré, alcoolisme chronique…), mais elle peut être due à des besoins accrus (grossesses répétées, hémolyse chronique) ou, plus rarement, à une malabsorption intestinale (résection du grêle proximal) voire à la prise de médicaments (méthotrexate, triméthoprime, pyriméthamine, certains antiépileptiques, salazo­pyrine…).

Le diagnostic est biologique : dosage des folates sériques < 5 ng/L. Si une origine nutritionnelle est mise en évidence, le traitement substitutif par acide folique per os à 5 à 10 mg/j pendant 2 à 4 mois est en règle générale suffisant.

Carence en vitamine B12

Elle est volontiers secondaire à une maladie de Biermer (50 % des cas), gastrite atrophique chronique auto-immune responsable d’une malabsorption touchant surtout les femmes de plus de 60 ans. Glossite, dyspepsie, diarrhée et signes neuropsychiques sont parfois associés, ainsi que d’autres affections auto-­immunes (myxœdème ou thyroïdite de Hashimoto, maladie d’Addison, vitiligo, diabète insulinodépendant…). Les anticorps anti-facteur intrinsèque sont spécifiques.

Le principal diagnostic différentiel est la maldigestion des cobalamines alimentaires, favorisée par certains médicaments (metformine, IPP). Les fourchettes physiologiques de vitamine B12 étant mal connues, le diagnostic de carence ne doit pas être abusif en l’absence d’anémie macrocytaire.

La supplémentation se fait par voie orale, 1 000 µg/j (sauf maladie de Biermer), ou par voie IM, 1 000 µG/j, pendant 1 semaine, puis une fois par semaine pendant 1 mois, puis tous les 1 - 3 mois dès lors que le stock est reconstitué. En général, il s’agit d’un traitement au long cours, sauf cause réversible.

Quand passer la main ?

Une anémie profonde, mal tolérée, sans cause évidente ou secondaire à une hémolyse aiguë (même modérée) impose une hospitalisation urgente.

Pour les formes microcytaires, un avis spécialisé est demandé en l’absence d’étiologies évidentes, après élimination d’une carence martiale et d’une inflammation chronique.

Les anémies normo- ou macrocytaires arégénératives restant idiopathiques après le bilan doivent être référées au spécialiste pour discuter un myélogramme. 

Synthèse d’après :
Le Vavasseur B, Godeau B. Anémie. Rev Prat Med Gen 2020;43(1052):866-70.
Delarue R. Anémie : quelles causes ? Rev Prat Med Gen 2018;32(998):229-30.
Choquet S. Comment lire une NFS ? Rev Prat Med Gen 2019;33(1026):613-4

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