L’antibiogramme ciblé, un nouvel outil d’aide à la prescription en vue d’un meilleur usage des antibiotiques en ville, va être mis en place en France. Que doit savoir le MG ?

Le rendu ciblé des antibiogrammes influence le comportement des prescripteurs

Les recommandations sur le rendu des antibiogrammes ciblés dans les ECBU positifs à entérobactéries dans la population féminine à partir de 12 ans viennent d’être publiées1. Elles sont issues d’un travail commun entre la SFM (Société française de microbiologie) et la Spilf (Société de pathologie infectieuse de langue française), labellisées par la HAS.

Ces recommandations, établies à la demande du ministère de la Santé, font suite à la stratégie nationale 2022 - 2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance et répondent à un contexte inquiétant d’expansion de l’antibiorésistance au niveau national et international. En France, environ 125 000 patients développent une infection liée à une bactérie multirésistante, à l’origine d’environ 5 500 décès par an2. L’un des enjeux est de réduire la fréquence des antibiothérapies inappropriées, en fournissant les outils adaptés pour améliorer la pertinence de la prescription par l’ensemble des professionnels concernés.

Ce nouvel outil doit permettre de mieux ajuster la prescription en limitant le rendu des antibiotiques dits « critiques » sur les antibiogrammes, lorsque cela est possible, et en favorisant les molécules recommandées pour le traitement des infections urinaires de la femme. En effet, l’infection urinaire est la 2e infection communautaire la plus fréquente après les infections des voies respiratoires. C’est la première cause d’infection liée aux soins en milieu hospitalier. Les entérobactéries sont en cause le plus souvent. E. coli est retrouvée dans 70 à 95 % des cas d’infections communautaires et dans 30 à 50 % des cas d’infections acquises en milieu de soins. Les autres entérobactéries représentent 10 à 25 % des infections urinaires, particulièrement Proteus spp. et Klebsiella spp. La résistance d’E. coli aux antibiotiques, et en particulier aux céphalosporines de 3e génération et aux fluoroquinolones, est une préoccupation majeure ; or l’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques est en grande partie liée à l’utilisation non justifiée ou inappropriée des antibiotiques3,4.

Le rendu ciblé des antibiogrammes influence le comportement des prescripteurs. Des études, certes observationnelles, ont bien montré qu’en cas de non rendu des fluoroquinolones dans les antibiogrammes de E. coli, une réduction significative du nombre de prescriptions de ces molécules étaient mise en évidence avec, comme conséquence, une baisse de la résistance d’E. coli aux fluoroquinolones5,6. Par ailleurs, lors de la mise en place de l’antibiogramme ciblé pour les E. coli isolés dans les cultures d’urine dans 21 laboratoires de ville dans la région Grand-Est, l’outil a été très bien accepté par les laboratoires et les médecins généralistes, avec moins de prescriptions d’antibiotiques à large spectre, un rendu d’antibiogramme complet rarement sollicité et l’absence d’augmentation de l’incidence des hospitalisations pour infection urinaire complexe7,8.

Quelles implications pratiques ?

L’antibiogramme ciblé consiste à rendre une partie des résultats des antibiotiques testés afin d’épargner les antibiotiques dits « critiques » en raison de leur fort impact écologique dans le cadre de la lutte contre l’antibiorésistance9,10. Ainsi, lorsqu’un ECBU est positif chez une femme et que le profil de sensibilité de la souche l’autorise, cela permet de ne pas rendre au prescripteur les fluoroquinolones et les céphalosporines de 3e génération.

Par ailleurs, le rendu de l’antibiogramme ciblera les molécules recommandées pour le traitement des infections urinaires de la population féminine à partir de 12 ans selon les guidelines en vigueur établies par la Spilf, actualisées en 2021 via les fiches mémo Spilf/HAS pour le traitement des cystites et pyélonéphrites de la femme11,12. Le rendu ciblé évoluera selon les prochaines mises à jour.

Cette liste ciblée sera en cohérence avec les restrictions d’utilisation et les recommandations de bonnes pratiques émises par l’ANSM, la HAS et la Spilf pour certaines molécules comme les fluoroquinolones et les carbapénèmes, et avec les recommandations du comité de l’antibiogramme de la SFM (CA-SFM)13,14,15.

Il est fortement recommandé d’associer au rendu ciblé de ces antibiogrammes des commentaires pour le prescripteur précisant que le rendu complet sera toujours disponible sur appel auprès du laboratoire et que les antibiotiques testés et catégorisés résistants seront toujours rendus même si ceux-ci ne font pas partie de l’antibiogramme ciblé initial. De plus, seront précisées les règles de non-indication de l’ECBU (en cas de cystite simple) et de l’antibiothérapie (en cas de bactériurie asymptomatique, sauf à partir du 4e mois de grossesse et en cas de geste invasif sur les voies urinaires).

Enfin, il est recommandé que le prescripteur précise au laboratoire la situation clinique ayant motivé la prescription d’un ECBU, notamment le type d’infection suspecté. En effet, certains antibiotiques ne sont pas indiqués dans les cystites et/ou ne diffusent pas suffisamment dans le parenchyme rénal pour traiter une pyélonéphrite. Sachant que les laboratoires n’ont pas toujours accès à ces informations, mais en sont très demandeurs pour pouvoir au mieux orienter leur rendu de culture d’urine et d’antibiogramme, il est proposé 3 tableaux de rendu d’antibiogrammes ciblés selon les profils de résistance : en l’absence de renseignement clinique, en cas de cystite et en cas de pyélonéphrite aiguë.

Prenons l’exemple d’un ECBU positif à E. coli sensible à l’amoxicilline (figures ci-contre). En l’absence de renseignement clinique, seules les molécules de 1re ligne recommandées seront visibles. Ainsi, en cas de cystite, le prescripteur aura les antibiotiques recommandés pour le traitement de cette pathologie, avec une annotation pour celles ne devant être prescrites qu’en cas de cystite. Seront également rendus l’amoxicilline, qui permet de traiter une pyélonéphrite, et le triméthroprime-sulfaméthoxazole en cas d’allergie à la pénicilline.

En conclusion, l’antibiogramme ciblé doit être une aide à la prescription car il est en adéquation avec les recommandations thérapeutiques en vigueur, tout en favorisant les molécules avec le moins d’impact sur la résistance.

Une fois mis en place à grande échelle sur le territoire national, il sera important d’évaluer l’impact de ce nouvel outil sur la consommation d’antibiotiques critiques et sur l’évolution de l’antibiorésistance. Les Centre régionaux en antibiothérapie (CRAtb) auront un grand rôle à jouer dans l’accompagnement de la mise en place et de l’acceptation de cet outil et de son évaluation.

Références
1. HAS. Antibiogrammes ciblés pour les infections urinaires à Entérobactéries dans la population féminine adulte (à partir de 12 ans). 10 octobre 2023.
2. Ministère des solidarités et de la santé. Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance. 6 avril 2022.
3. Santé publique France. Surveillance de la résistance bactérienne aux antibiotiques en soins de ville et en établissements pour personnes âgées dépendantes. Mission Primo. Résultats synthétiques, année 2021. 6 juin 2023.
4. WHO. Antimicrobial resistance. 17 novembre 2021.
5. Bourdellon L, Thilly N, Fougnot S, et al. Impact of selective reporting of antibiotic susceptibility test results on the appropriateness of antibiotics chosen by French general practitioners in urinary tract infections: a randomised controlled case-vignette study.  Int J Antimicrob Agents 2017,50(2):258-62.
6. Langford BJ, Seah J, Chan A, et al. Antimicrobial stewardship in the microbiology laboratory: impact of selective susceptibility reporting on ciprofloxacin utilization and susceptibility of Gram-negative isolates to ciprofloxacin in a hospital setting.  J Clin Microbiol 2016,54(9):2343-7.
7. Le Dref G, Simon M, Bocquier A, et al. Selective reporting of antibiotic susceptibility testing results for urine cultures: feasibility and acceptability by general practitioners and laboratory professionals in France.  JAC Antimicrob Resist 2023,5(1):dlad013.
8. Simon M, Fougnot S, De Monchy P, et al. Impact of selective reporting of antibiotic susceptibility testing results for urinary tract infections in the outpatient setting: a prospective controlled before-after intervention study.  Clin Microbiol Infect 2023,29(7):897-903.
9. Spilf. Actualisation de la liste des antibiotiques critiques disponibles en France pour l’exercice libéral ET en établissements de santé. janvier 2022
10. WHO. The WHO AWaRe (Access, Watch, Reserve) antibiotic book. 9 décembre 2022.
11. HAS. Choix et durée de l’antibiothérapie : cystite aiguë simple, à risque de complication ou récidivante, de la femme. 27 août 2021.
12. HAS. Choix et durée de l’antibiothérapie : pyélonéphrite aiguë de la femme. 27 août 2021.
13. ANSM. Fluoroquinolones : à ne prescrire que pour des infections sévères. 2 juin 2023.
14. HAS. Antibiothérapie des infections à entérobactéries et à Pseudomonas aeruginosa chez l’adulte : place des carbapénèmes et de leurs alternatives. 4 juin 2019.
15. Société française de microbiologie. Comité de l’antibiogramme. Chapitre 5.1 Enterobacterales, recommandations CA-SFM, v1.0. juin 2023.

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